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Affaire Tefal : l'inspectrice du travail se retrouve au tribunal (Mediapart)

Article de Rachida El Azzouzi paru sur Mediapart.fr le jeudi 21/05/2015
L’inspectrice du travail qui avait subi des pressions de la part de la société d’électroménager est convoquée devant le tribunal correctionnel pour recels de documents volés. Les agissements de l’entreprise, en revanche, sont restés impunis.

Mediapart a longuement relaté ici et l’affaire Tefal, du nom de cette filiale du groupe Seb basée à Rumilly, près d’Annecy, principal employeur de Haute-Savoie, avec quelque 1 800 employés. En 2013, la société d’électroménager n’a pas lésiné sur les moyens pour se débarrasser de Laura Pfeiffer, une inspectrice du travail jugée trop regardante alors qu’elle n’effectuait que son travail en dénonçant un accord caduc sur les 35 heures.

Pour obtenir sa mutation, la direction de Tefal a instauré un véritable harcèlement, joué de ses pouvoirs et relations, du Medef local aux renseignements généraux, en passant par le préfet et, plus grave, par le supérieur hiérarchique de Laura Pfeiffer, Philippe Dumont. En témoignent des documents internes au service des ressources humaines de Tefal et des mails accablants, transmis à l’inspectrice du travail par un mystérieux informateur interne. Documents que Mediapart a consultés.
Comme cet échange : «Dan, j’ai échangé avec P. Paillard [responsable juridique de l’UIMM de l’Ain, le patronat de la métallurgie] au sujet de l’inspectrice. Il me dit que le DDTE [directeur départemental du travail] a le pouvoir de la changer de section administrative pour que Tefal ne soit plus dans son périmètre. Intéressant, non ?» Réponse du DRH : «Merci de nous prendre RDV avec Dumont dès mon retour. Je pense que nous devrons voir le préfet.»
Tout au long de cette affaire, tombée en plein démantèlement de l’inspection du travail au travers du plan Sapin, Laura Pfeiffer ne bénéficiera d’aucun soutien de sa hiérarchie régionale comme de son ministère de tutelle. Seul appui: les syndicats. Alors même que les pressions et l’atteinte à l’indépendance des inspecteurs du travail, garantie par l’OIT, étaient caractérisés, alors même qu’un avis du Conseil National de l’Inspection du Travail (CNIT) reconnaît clairement les pressions indues exercées sur l’inspectrice, elle subira l’acharnement de sa Direccte (direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) et du ministère, refusant de reconnaître son accident de service.
Dans son avis, le CNIT regrette «que, dès lors qu’elles (ces pressions) ont été rendues publiques, aucune intervention publique des autorités administratives ou de l’autorité centrale de l’inspection du travail ne soit venue les condamner (…) Le système de l’inspection du travail ne peut fonctionner que si la hiérarchie soutient et protège les inspecteurs au regard de potentielles influences extérieures indues».
Deux ans après les premières révélations de l’Humanité, l’affaire, emblématique des relations obscures entre les “Direccte” et les gros pourvoyeurs d’emplois, connaît un nouveau rebondissement. La jeune inspectrice vient de recevoir une citation à comparaître devant le tribunal correctionnel d’Annecy le 5 juin à 14 heures. Elle est prévenue pour recel de documents confidentiels (passible de 5 ans d’emprisonnement et de 375000 euros d’amende) et violation du secret professionnel (un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende).
Telles sont les suites données par le parquet d’Annecy (avec une célérité qu’on ne lui connaît pas dans les dossiers de droit du travail) à la plainte déposée par l’entreprise Tefal contre la fonctionnaire du ministère du Travail. Elle est citée aux côtés de Nicolas M., l’informateur qui a permis de dévoiler la vérité et de mesurer l’ampleur des pressions subies par l’inspectrice. C’est lui qui l’alerte en octobre 2013 d’un mail anonyme : «Je suis en possession de documents hyperconfidentiels, prouvant que vous avez été victime de pression, je sais que le groupe SEB et la société Tefal ont exercé via des personnes du Medef une pression sur votre responsable, M. Dumont, afin qu’il vous fasse taire».
Salarié de l’entreprise, informaticien, il a payé cher son courage : il a été licencié il y a un an pour faute grave après qu’il a été identifié comme étant «l’origine de la fuite» par la direction, qui a mené en interne une chasse aux sorcières et saisi les PC des salariés. Il est lui poursuivi pour vol et divulgation de documents confidentiels. «Ces documents circulaient en interne, Nicolas est tombé dessus par hasard», rappelle Jean-Claude Petit délégué syndical Force Ouvrière du groupe Seb. Il est «estomaqué» : «C’est fou, la justice en France. Grâce à Nicolas, on a la preuve des abus de pouvoir de l’entreprise Tefal sur une inspectrice de l’administration du travail et c’est le lanceur d’alerte et la harcelée qui finissent sur le banc des accusés, pas Tefal ». D’ores et déjà, l’intersyndicale de l’usine a prévu un rassemblement de soutien des salariés devant le tribunal correctionnel d’Annecy le jour de l’audience pour soutenir leur ancien camarade ainsi que l’inspectrice.
Cette dernière peut compter aussi sur le soutien des syndicats de l’administration du travail de la région Rhones-Alpes. «Hallucinés» de voir leur collègue aujourd’hui poursuivie par le parquet d’Annecy à la demande de Tefal «pour avoir fait son travail et dénoncé l’obstacle à ses fonctions». CGT, FSU, Sud, FO, CNT, appellent tous les agents du ministère du Travail à se mettre en grève et à se rassembler le 5 Juin à 13h30 devant le tribunal correctionnel d’Annecy en protestation.
Dans un communiqué, ils demandent au ministre du travail François Rebsamen de condamner publiquement et fermement cette attaque contre leur collègue et leurs missions et de lui assurer la protection fonctionnelle. Ce que la rue de Grenelle n’a jamais fait dans ce dossier. Pour les syndicats, «ce procès est éminemment politique ! C’est le procès de notre métier, de l’inspection du travail, démantelée depuis des années par les gouvernements successifs et qui doit faire face aux attaques incessantes du Medef et du patronat à travers la mise en cause de ses agents», écrivent-ils.