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Rapport IGAS ou le désaveu d'une hiérarchie

Le rapport de la mission l’IGAS sur l’UD de Haute-Savoie (74) commandé par le cabinet du ministère est paru. La lettre de mission indique que l’UD74 « connaît graves difficultés de fonctionnement […] depuis 2012 » et que « ces difficultés se sont traduites par de multiples instances judiciaires, des procédures de demande de reconnaissance d’accidents de service, un droit de retrait pour danger grave et imminent, des tracts parfois calomnieux visant personnellement des agents du service.

[…] Depuis des mois, la hiérarchie locale et les directions centrales (DRH et DGT) s’efforcent de trouver les moyens pour sortir de cette situation […]. Ces tentatives se sont avérées infructueuses et la situation ne cesse de se dégrader jusqu’à compromettre la santé des agents et le bon fonctionnement du service. »

Le rapport de l’IGAS, malgré le filtre de la litote administrative et sa fonction de sauvegarde de la hiérarchie, est finalement sévère avec cette dernière.

Personne au sein de la hiérarchie ministérielle n’est épargné de l’UD à la DGT tout le monde en prend pour son grade.

Les RUC

« Le travail collectif s’organise difficilement au sein des unités de contrôle. L’autorité des responsables d’unité de contrôle (RUC) est souvent contestée. Les RUC ne sont pas encore parvenus à exercer avec toute la reconnaissance nécessaire les fonctions d’animation de la politique de contrôle qui devraient être les leurs. Leur pouvoir hiérarchique est mal assuré. Ils ont le pouvoir d’évaluation, sans avoir la connaissance des activités des agents de contrôle, sans être autorisé à orienter leur travail, sans réelle capacité de leur apporter l’appui technique qui leur serait éventuellement nécessaire. »

DIRECCTE et UD

« La situation de l’UD 74 a été évoquée à plusieurs reprises, dès 2014, au CHSCT régional, » mais le DIRECCTE a freiné des quatre fers pour empêcher les CHSCT régional de traiter ce qui relève de sa compétence. « Une expertise, toujours en cours, a tout de même été confiée par le directeur régional à une société de conseil spécialisée dans le traitement des conflits en entreprise. Mais cette expertise a été engagée très tardivement (en septembre 2015). »

L’IGAS rapporte aussi que les organisations syndicales on jugé que « les délais trop longs pour statuer sur le caractère d’accident de service [de Laura Pfeiffer] ont pu contribuer au délitement de la situation, et le refus d’enquête à la suite de déclaration de danger grave et imminent, ou l’extrême lenteur de la mise en place de l’expertise demandée, ont pu laisser penser à une partie des agents qu’existait une volonté de la hiérarchie de laisser s’installer un « pourrissement » de la situation en Haute Savoie. »

L’action des « directions de l’UD et de la DIRECCTE » « a manqué de lignes directrices claires et a été brouillée par les interférences nationales qui, à partir de 2014, sont venues compliquer les prises de décision. »

Au sujet des services emploi de l’UD, « Par ailleurs, la pression du préfet sur le service est jugée très forte et, selon certains agents, mériterait d’être relayée de façon moins automatique par le directeur de l’UD. »

La DGT

La mission rapporte que « L’administration, au niveau départemental, régional et national, est accusée par plusieurs organisations syndicales de ne pas avoir dénoncé publiquement les pressions qu’aurait exercées l’entreprise Téfal pour obtenir une mutation de l’inspectrice, et de ne pas lui avoir apporté le soutien nécessaire. ».

L’IGAS ne défend pas la hiérarchie sur ce point, non seulement, elle rappelle (en note de bas de page) l’avis du CNIT sur le sujet « que même si ces pressions n’ont pas été suivies d’effet, il est regrettable que, dès lors qu’elles ont été rendues publiques, aucune intervention publique des autorités administratives ou de l’autorité centrale de l’inspection du travail ne soit venu les condamner et rappeler les principes de droit interne et international qui garantissent l’indépendance de l’inspection du travail, qu’il s’agisse tant des règles relatives à la mobilité géographique des inspecteurs du travail que de leur protection contre les influences extérieures indues ».

La mission ajoute quelques pages plus loin « en ne prenant pas une position publique forte pour condamner les pressions sur l’administration que Téfal a cherché à exercer, les directions départementale et régionale, mais aussi l’administration centrale, ont prêté le flanc à la critique d’un manque de protection de l’inspection du travail contre toute influence extérieure indue, ce qui n’a pas facilité l’instauration d’un climat de travail apaisé au sein de l’UD. »

Espérons que le ministère ait retenu la leçon : il faut défendre publiquement l’indépendance de l’inspection du travail si l’on ne veut pas apparaître comme complice des pressions extérieures indues. La stratégie de l’autruche est délétère pour l’inspection du travail et ses agents.

Les recommandations de la mission

Les recommandations de la mission si elles sont une critique de l’action de la hiérarchie passée ou en place vise avant tout à remettre « consolider la direction » quitte à s’asseoir sur celle en place et à lui rappeler son travail.

C’est en tout cas le sens de la recommandation n°1 : « préparation des ordres du jour des réunions et délais d’envoi, délais de production des comptes-rendus de réunion », « les congés des agents, pour les périodes d’été, de Noël et de Pâques, devraient faire l’objet d’une programmation prévisionnelle », « mieux organiser [la] circulation de l’information ».

Pour cela un secrétaire général doit pallier au fait que « la direction de l’UD est en difficulté pour redéfinir le cadre général de gestion interne et en suivre la bonne mise en œuvre ».

« La mission considère comme une priorité l’instauration d’un dialogue serein et constructif entre le parquet d’Annecy et l’inspection du travail. Cette tâche pourrait être confiée à un(e) adjoint(e) du directeur. »

La recommandation n°2 vise à faire promouvoir l’action disciplinaire de la hiérarchie, y compris dans le cas où un fonctionnaire « violerait le secret professionnel », si le nom de Laura Pfeiffer n’est pas cité, c’est bien elle qui est visée.

Enfin, désaveu éminent s’il est de la hiérarchie de l’UD : « Nommer en renfort un directeur pour une période de 6/8 mois, dont la mission, définie par une feuille de route établie par la DGT et la DRH, en lien avec le DIRECCTE et le responsable de l’UD 74 , a pour objet la réalisation du projet de service de l’UD 74 et de l’action d’échanges sur les pratiques et la déontologie des agents de contrôle. »

Très clairement il s’agit là d’une proposition de reprise en main totale du dossier par l’échelon national du ministère passant outre le DIRECCTE et le responsable de l’UD 74.

Le collectif, c’est mieux sans la hiérarchie

Enfin dans la thématique hiérarchique, la mission apporte une contribution intéressante : « Réinstaurer le travail collectif au sein de l’inspection du travail » et « Organiser un travail collectif sur les pratiques de contrôle et sur la déontologie ».

« La mission suggère d’organiser les échanges sur les pratiques professionnelles et la déontologie entre les agents de contrôle de l’inspection du travail de l’UD […] de tels échanges sur les pratiques professionnelles ont vocation à se dérouler entre pairs, sans la présence des responsables hiérarchiques que sont les RUC afin de permettre une réflexion déconnectée de toute évaluation professionnelle et parfaitement libre ».

Belle ironie lorsque l’on sait que les agents de section de l’UD 74 demandaient depuis des mois de pouvoir faire ce type de réunions, sans que la hiérarchie locale ne s’en saisisse.

Nous pensons aussi que la meilleure manière d’avancer sur les pratiques professionnelles c’est d’échanger entre collègues, entre égaux (d’où l’intérêt du corps unique, de l’intégration de tous les CT dans le corps des IT, du refus des primes et des objectifs individuels) loin des enjeux des statistiques, des promotions, des primes, des petits arrangements administratifs avec la hiérarchie pour se concentrer sur l’essentiel : notre travail de défense des salariés dans le cadre juridique qui est le notre.

Car notre travail est avant tout collectif, nous nous enrichissons des échanges avec nos collègues, de leurs expériences, de leurs diverses approches stratégiques, de leurs connaissances techniques et juridiques, etc. Face aux patronat, pas un agent de contrôle ne peut raisonnablement faire son métier seul. A tout instant, notre action ne peut être que collective. Lorsque nous sommes seuls dans une entreprise, c’est le collectif inspection du travail qui agit au-delà des individus que nous sommes. Et plus le collectif de travail sera fort et plus fort nous serons face aux patrons.

A défaut d’avoir une prise de position publique claire de la part du ministère dans l’affaire Tefal, seul le collectif des agents peut recréer une légitimité de l’inspection du travail. Mais aussi fort que soit le collectif, les poursuites pénales c’est le Parquet qui en décide et ce n’est pas nous, agents de l’inspection du travail qui pouvons seuls mettre à bas la justice de classe.

Avec un collectif fort, on peut aller jusqu’aux limites de notre système judiciaire pour faire respecter au mieux le droit déjà limité des salariés.

C’est aussi la meilleure façon de dépasser les tensions née de l’affaire Tefal au sein de l’UD74 : démarrer un processus pour recréer un collectif de travail basé sur un échange réel sur le contenu du travail et les moyens, les techniques pour le réaliser. Mais pour ce faire, il faut une véritable volonté d’avoir un espace de débat réel.

C’est la faute aux OS !

Dans un processus de re-création de collectif, les organisations syndicales ne peuvent être présentées comme des obstacles. Car dans le rapport, si la charge contre la hiérarchie est sévère, la mission a eu à cœur de contrebalancer cette charge par de violentes critiques contre les organisations syndicales.

« La mission fait observer que ces défauts de réactivité ou de fermeté sont, pour partie, le résultat du climat délétère qui règne au sein de l’UD 74 et de la forte pression exercée par certaines organisations syndicales sur les hiérarchies locale, régionale et nationale, dans un contexte avéré d’une crise de confiance de leur part à leur égard. La paralysie ainsi décrite trouve aussi sa source dans la très grande prudence de l’administration centrale dans un contexte de mise en œuvre délicate de la réforme et d’accusation quasi permanente d’un défaut de soutien de leur part à l’action de l’inspection du travail. »

On atteint là des sommets d’hypocrisie ! Si l’on comprend bien, si la hiérarchie n’a pas réagi c’est la faute des organisations syndicales qui lui demandait de réagir.

Quand on voit au quotidien le mépris qu’affiche les directions du ministère face aux organisations syndicales, on reste pantois face à une telle analyse qui ne vise qu’à masquer le rôle éminent de la hiérarchie dans la situation délétère de l’UD 74. On ne va pas nous faire croire que dans le ministère les directions sont tétanisées et incapables d’agir malgré les critiques des organisations syndicales. Cela fait bien longtemps que les directions avancent aveuglément, mettent en œuvre réforme sur réforme sans le moindre état d’âme face à toutes les alertes des agents et des syndicats.

Si le ministère ne voulait pas être accusé d’absence de soutien à l’inspection du travail, il n’avait qu’à s’exprimer publiquement sans ambiguïté pour condamner les agissements de Tefal et rappeler l’indépendance de l’inspection du travail aux patrons ; les organisations syndicales auraient été ravies de ne pas avoir à porter cette critique.

Mais l’IGAS va plus loin concernant les organisations syndicales : « Il reste que les doutes relatifs à l’impartialité de ces agents de contrôle, en lien avec leurs engagements, met en cause, même de façon circonscrite, l’image de l’inspection du travail et risque de nuire à leur action. En même temps, l’action syndicale n’a pas à être entravée. La question de l’exercice de responsabilités publiques syndicales ou politiques par les agents de l’inspection du travail dans leur département mériterait donc de faire l’objet d’une réflexion nationale. »

Doit-on comprendre que si l’IGAS nous donne encore le droit de nous syndiquer (merci!) il convient de limiter (interdire?) notre liberté d’expression publique ?! Veut-on étendre le devoir de réserve à l’expression syndicale ?!

En somme, quand l’IGAS s’interroge sur les causes des manquements de la hiérarchie, elle n’y voit que la faiblesse numérique de cette dernière et surtout une trop forte pression syndicale. Pour l’IGAS, la cause principale des problèmes de l’UD 74 c’est la faiblesse (la nullité?) de la hiérarchie locale et nationale face aux organisations syndicales qui l’auraient tétanisée à tous les niveaux.

Retour sur l’affaire TEFAL

C’est bien évidemment faux et relève d’une réécriture de l’histoire. Il convient de rappeler ici quel est le fond du problème de l’affaire Tefal.

Tefal a voulu se débarrasser du contrôle de l’inspection du travail, c’est établi par le CNIT et rappelé par l’IGAS, même si c’est dans une petite note en bas de page.

Le directeur départemental, en particulier lors d’un entretien avec l’inspectrice du travail concerné a donné tout lieu de penser qu’il relayait les pressions de l’entreprise Tefal. A cela il faut rajouter, l’absence de reconnaissance des conséquences notamment sur la santé de la collègue de ces faits par la hiérarchie, y compris régionale, en particulier avec le refus de reconnaissance de son accident de service.

C’est cette négation du problème qui va conduire notre collègue à saisir le CNIT et les organisations syndicales qui, face à la sourde oreille de la hiérarchie, vont rendre le problème public pour que le ministère bouge enfin dans le bon sens après de longs mois d’attente.

Lorsque la situation est rendue publique avec à l’appui les documents fournis par un salarié de l’entreprise Tefal, le ministère – au plus haut niveau – a adopté sa stratégie habituelle jusqu’alors dans de pareils cas : ne rien dire, ne rien faire, ne pas soutenir l’inspection du travail en espérant que l’affaire tombe aux oubliettes.

Si auparavant cette stratégie a pu parfois être efficace, cette fois il n’en fut rien, car c’était sans compter l’écho, notamment médiatique croissant au fil des mois, qu’à rencontré la situation.

A chaque fois que l’affaire prenait une plus grande ampleur publique, le ministère (se) disait « c’est bon on a atteint le pic de l’écho médiatique que peut avoir cette affaire, à part le journal l’Humanité il n’y a aucun relais ». De ce point de vue, le ministère a effectivement joué le pourrissement.

Le ministère a été incapable d’entendre l’indignation qu’a entraîné cette affaire, la volonté de ne pas lâcher des organisations syndicales qui ont su, à partir des sections syndicales de l’UD 74, mobiliser les OS du ministère –­ au niveau régional et national – ainsi que les interprofessions locales et départementales. Jamais le ministère n’imaginait que le niveau national et confédéral des OS viendrait soutenir l’inspection du travail en allant devant le tribunal d’Annecy.

Ce n’est que lorsque le Procureur d’Annecy a insulté l’inspection du travail en parlant de « voyou » et de la nécessité d’y « faire le ménage » que le DGT a enfin sorti la tête du sable pour écrire une lettre au Procureur. Mais toujours aucune prise de position publique.

Mais pourquoi y a t-il eu une telle mobilisation ?

L’IGAS qualifie le soutien des organisations syndicales à Laura Pfeiffer d’« indéfectible » ou d’« inconditionnel ». C’est une façon de sa part de personnaliser les choses.

Le combat était collectif pour défendre notre mission, notre travail que nous voulons tourné vers les salariés et la défense de leurs droits.

Il était nécessaire également de soutenir notre collègue dans les conséquences néfastes de cette affaire sur sa situation personnelle. On peut s’étonner que l’IGAS n’ait pas qualifié d’ « inconditionnel » ou d’« indéfectible » le soutien apporté par la hiérarchie nationale aux décisions illégales prises aux niveau local. Par exemple, tout à fait au hasard, la décision du Direccte de ne pas reconnaître le caractère professionnel de ses arrêts suite à la déclaration de son premier accident de service. Décision annulée le 30 décembre 2016 par le tribunal administratif et qui souligne bien son caractère « surprenant et incohérent », semblant relever du « déni » (dixit le rapporteur public), et qui finalement enjoint le Direccte de prendre « une décision reconnaissant l’imputabilité au service des arrêts de travail en cause ».

Avions-nous la certitude de gagner sur tous les plans face à la hiérarchie et au ministère, à Tefal, puis également face à l’institution judiciaire après le dépôt de plainte de l’entreprise ?

Non, une victoire totale sur tous les plans ne pouvait qu’être illusoire.

Face à une justice de classe qui condamne les vols dans les supermarchés par les nécessiteux à de la prison ferme, inflige de si faibles peines aux patrons (quand il n’y a pas classement sans suite) ou dispense de peine la négligence de Christine Lagarde qui en tant que ministre a facilité une fraude de 400 millions d’euros, pouvait-on véritablement espérer une relaxe ?

L’institution étatique bourgeoise a condamné notre collègue et ses PV sont aux oubliettes.

Mais tout au long de cette affaire nous, agents de l’inspection du travail, organisations syndicales, nous avons dénoncé et (malheureusement) démontré l’iniquité de cette justice bourgeoise.

Si dans le tribunal, légalement, nous avons perdu, la bataille de la légitimité nous l’avons gagné, et très largement.

Il faut bien reconnaître que nous avons fait la démonstration de notre force collective, de notre capacité à mobiliser tant dans le ministère qu’à l’extérieur de celui-ci, non pas simplement pour la situation d’une individue, mais celle de notre collectif ; collectif de travailleurs dont le métier est à leur modeste niveau d’aider dans le rapport de force face à l’exploitation et à l’oppression. Pour notre métier la question de l’indépendance est essentielle, toucher à celle de l’un d’entre nous, c’est affaiblir les possibilités déjà limitées de chacun d’agir pour les salariés.

Cette force, le ministère l’a perçue et l’a intégrée. Récemment sa gestion rapide dans l’UD du Rhône en est la preuve. Sous la pression collective des agents et de leurs organisations syndicales, le responsable de l’UD qui voulait relayer l’ingérence d’un patron très connu dans le milieu de la gastronomie a vite été muté ailleurs pour être ensuite mis à la retraite. Mais la condition nécessaire à toute action du ministère allant dans le sens de la préservation de notre indépendance, c’est un collectif solide, notamment au travers d’organisations syndicales fortes et actives, prêtes si nécessaire à rendre public les problèmes quand le ministère fait la sourde oreille, et ce, non pas par plaisir de dénigrer le ministère et montrer notre propre faiblesse, mais par besoin de créer un rapport de force.

Nos chefs, nos patrons croient au « dialogue social »

pour nous occuper et nous enfumer ;

mais ils ne comprennent que le rapport de force.

 
Le tract en pdf : tract rapport IGAS UD Haute-Savoie affaire TEFAL: Rapport IGAS ou le désaveu d’une hiérarchie
Le rapport de l’IGAS : Fonctionnement de l’Unité départementale de Haute Savoie de la DIRECCTE AUVERGNE- RHÔNE-ALPES (UD 74)

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Boycott des entretiens professionnels 2017

Entretien individuel d’évaluation : c’est toujours non !

« l’évaluation individualisée, provoque, et c’est d’ailleurs un des objectifs affichés de la méthode, la concurrence généralisée entre les travailleurs » (Christophe Dejours, Souffrance en France).

Cette année les entretiens professionnels auront lieu du 1er au 31 mars 2017. La CNT maintient son opposition à un système d’évaluation dont le principe est toujours le même : mettre en concurrence les agents par la carotte (la part variable de la rémunération, les réductions d’ancienneté ou l’avancement au choix) et le bâton (les suppressions de primes ou compléments indemnitaires depuis la RIFSEEP et la stagnation).

Fondamentalement l’entretien d’évaluation reste un pseudo-contrat d’objectifs individuels sur la base de l’atteinte des objectifs de l’année précédente. Que ces objectifs soient quantitatifs ou non, il s’agit toujours du même management par objectifs et de la même « culture du résultat ». Ce faisant l’agent se retrouve à porter seul la responsabilité de sa charge de travail et du manque de moyens pour faire face à sa mission. A cet égard l’Instruction du 30 novembre 2016 relative aux entretiens professionnels prend bien soin de préciser que « l’agent évalué ne peut pas être accompagné d’un collègue ou d’un représentant du personnel. Une telle présence, contraire à l’esprit du dispositif irait à l’encontre du caractère individuel et personnel de l’évaluation ».

Il faut donc rappeler que l’évaluation individuelle des performances (de son vrai nom issu du management privé) est un système essentiellement discriminatoire qui vise à mettre les agents en concurrence pour éviter de poser la question des moyens collectifs. La carotte (tel que le complément indemnitaire annuel (CIA) dont le montant est également censé prendre en compte l’engagement professionnel de l’agent au titre de l’année précédente) qu’on nous agite sous le nez est elle-même fixée à l’avance et ne va pas augmenter, quand bien même on se tuerait tous au travail pour atteindre ces objectifs. L’enveloppe globale pour les primes ou compléments indemnitaires est prédéfinie et le quota d’agents susceptibles de bénéficier de réductions d’ancienneté est également fixé à l’avance.

La course à l’objectif est donc un leurre individuel et nuisible à l’ensemble du collectif de travail. Sur fond d’idéologie méritocratique, elle vise à faire croire que l’on peut, et surtout qu’il est légitime, de progresser individuellement au détriment de ses collègues (en se racontant que si on obtient plus que le collègue ou le voisin ça doit sûrement être parce qu’on est meilleur que lui ou plus méritant).

Or, la notion de mérite est profondément arbitraire : s’agit-il en fait de « performance » ? Mais « performance » par rapport à quoi ? Il faudrait alors pondérer le mérite supposé par l’effort, les capacités de l’agent plus ou moins valorisées, la qualité de son environnement de travail, l’implication de ses collègues (qui dépend d’une dynamique plus large), son parcours professionnel (lui-même lié à l’origine sociale) etc. toutes choses difficiles sinon impossibles à évaluer.

Au final le supposé « mérite » renvoie toujours en dernier recours au simple niveau d’amour ou de détestation que nous porte le ou les supérieurs hiérarchiques ; et l’évaluation reste un pouvoir institutionnalisé donné au supérieur de discriminer entre ses agents et un outil de pression sur eux.

Ainsi l’évaluation/récompense individuelle ne sert aucunement à mesurer et encourager les résultats ou la progression, ni à produire de l’émulation, mais à créer de la hiérarchie.

Et ce pouvoir-là de gestion managériale, notre hiérarchie locale n’est sûrement pas prête de le lâcher en appliquant, par exemple, des critères égalitaires (même compléments indemnitaires pour tout le monde) ou sociaux (compléments indemnitaires dégressifs en fonction de la catégorie).

Ainsi il nous est ironiquement rappelé dans l’instruction du 30 novembre 2016 que cet entretien est tout à la fois un « droit pour les agents » mais aussi, et surtout, une « obligation ». Tellement attaché à son joujou managérial, le ministère menace l’agent récalcitrant de sanction disciplinaire et demande au supérieur hiérarchique de réaliser de façon unilatérale l’évaluation annuelle.

Tout ceci est une mascarade organisée par l’administration qui isole les agents, produit de la souffrance en nous rendant responsables de nos conditions de travail et nous détourne de la lutte collective pour l’avancée des droits pour tous !

En conséquence, nous réaffirmons notre position de boycott de ces entretiens.

 
Le tract en pdf : tract boycott entretiens professionnels 2017
L’instruction : Instruction 30 novembre 2016 relative à la réalisation de la campagne annuelle d entretien professionnel


Exemple de lettre de refus d’entretien professionnel

 

à

Monsieur le directeur ou responsable d’unité de contrôle…

A Ville, le …2017

Objet : Entretien professionnel 2017
Vous m’avez convoqué (proposé), par courrier (mail) daté du …, à l’entretien professionnel annuel le … 2017 à …
L’évaluation individuelle des performances (de son vrai nom issu du management privé) est un système essentiellement discriminatoire qui permet d’individualiser le déroulement de carrière et vise à mettre les agents en concurrence par l’attribution d’objectifs (individuels, collectifs, chiffrés ou non), définis surtout au niveau national et régional par les BOP, tout en éludant la problématique des moyens collectifs.
Il s’agit fondamentalement d’une remise en cause de notre statut, de nos acquis et garanties collectives issues du statut des fonctionnaires (égalité de traitement, ancienneté, etc.) au profit d’une individualisation érigée en norme, maintenu par un double système de gratification et de répression.
Dans un contexte marqué par de violentes attaques contre nos missions qui se traduisent notamment par de sévères suppressions de postes, l’instauration de cette technique de management vient ajouter une pression supplémentaire à la surcharge de travail que nous subissons déjà par le sous-effectif chronique de nos services, et plus particulièrement de notre service (unité de contrôle, etc.).
De plus, de nombreux sociologues et cliniciens ont décrit les effets délétères de l’organisation d’une évaluation individualisée sur la dynamique des organisations et la santé des salariés.
En effet, l’individualisme forcené nuit au maintien d’un collectif de travail et à la coopération entre agent entrainant à terme une dégradation des compétences collectives, de la qualité du travail et du service rendu aux usagers.
Concernant les risques d’atteinte à la santé, je vous invite simplement à prendre connaissance du guide DGT sur la souffrance au travail qui énumère parmi les sources potentielles de souffrance au travail : l’individualisation du salaire et des primes, la mise en œuvre inappropriée d’entretiens d’évaluation et autres techniques de management visant à isoler le salarié du collectif de travail en générant un écart dément entre le travail réel et le travail prescrit.
Pour toutes ces raisons, et en réponse à un appel syndical, j’ai l’honneur de vous informer que je ne participerai pas à l’entretien professionnel.
Compte tenu de la situation qui en résulte pour le service auquel j’appartiens, je vous informe qu’en ce qui concerne mes objectifs pour l’année 2017, je m’appliquerai à accomplir au mieux les tâches qui me sont confiées en fonction des moyens alloués et de participer au bon fonctionnement de ce service dans le cadre des moyens qui lui sont affectés.

Le Contrôleur du Travail/inspecteur/secrétaire

 
La lettre en word modifiable : Lettre refus entretien professionnel – 2017

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Articles de presse Bas-Rhin – Strasbourg Interprofessionnel Intersyndical

Action contre les suppressions de postes et pour des primes égalitaires : compte-rendu du 12 janvier

Nous étions entre 70 et 80 agents de Strasbourg de la Direccte Grand-Est pour réclamer la fin des suppressions de postes et le versement égalitaire du reliquat annuel de prime tel que décidé par l’assemblée générale du personnel et avec le soutien des organisations syndicales de la Direccte en Alsace.

Nous étions soutenu par les unions interprofessionnelles locales et notamment celles de la CNT, de la CGT, de l’UNSA, et de FO dont plusieurs dizaines de membres étaient présents et que nous remercions fraternellement.

La directrice de la Direccte Grand-Est était – hasard du calendrier sûrement ! – absente. Mais elle avait mandaté le responsable de l’Unité départemental du Bas-Rhin, Thomas Kapp, qui est descendu dans la cour… pour rester muet face aux agents mobilisés, malgré les invitations à s’exprimer.

Voyant sa réticence à assumer la position de la direction face aux agents, une délégation représentant CNT, CGT, UNSA, Solidaires, FSU et FO a pu entendre Thomas Kapp répéter le discours déjà mainte fois servi aux agents : « les suppressions de postes, c’est pas de notre faute ! » et pour le reliquat on verra plus tard au printemps mais il est toujours prévu des différences entre catégories A, B ou C et une individualisation en fonction de « critères objectifs ». En clair, il avait pour mandat de répéter les consignes de la Direccte Mme Giuganti. Voyant qu’il n’avait rien de neuf à nous dire, la délégation a mis fin à la rencontre.

En conséquence, une assemblée générale aura bientôt lieu pour décider des suites du mouvement et des nouvelles actions futures.

https://www.facebook.com/cnttefp/videos/1864872073728380/
 


Ci-dessous, les retours de la presse :

France3 Alsace : Les inspecteurs du travail défendent leurs emplois
Sur le réseau du ministère, normalement la lecture des vidéos est possible pendant les plages 19h-8h et 12h-14h.

 

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Rhônes-Alpes

Soutien à notre collègue agressé dans la Drôme

Le 4 janvier 2017, lors d’un contrôle d’un chantier à Livron, dans la Drôme, un inspecteur du travail a fait l’objet de menaces physiques et d’injures racistes. Les faits sont reconnu par l’auteur lui-même.

La CNT tient à adresser sa solidarité et son soutien au collègue agressé. Nous condamnons bien évidemment le comportement et les propos inacceptables de l’auteur des faits.

Nous rappelons également que cette agression est symptomatique de l’état de notre société : droits des travailleurs mis à mal, chômage, précarité, racisme sont le terreau de la division des travailleurs qui profite avant tout au patronat.

Dans ce contexte, la casse de l’inspection du travail en tant qu’institution de défense des droits de travailleurs que nous subissons délégitime notre travail d’agents de contrôle et favorise outrages et obstacles au contrôle.

Nous exigeons que la Ministre du travail ainsi que le Directeur de la DIRECCTE de la région Auvergne-Rhône-Alpes condamnent publiquement et fermement les faits du 4 janvier et soutiennent l’action de notre collègue en réaffirmant la nécessaire mission de l’inspection du travail dans la défense des droits des salariés.


Le communiqué de la Ministre

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Bas-Rhin – Strasbourg Intersyndical Tracts

Arrêt des suppressions de postes et reliquats égalitaires !

Rassemblement

le 12 janvier 2017 à 11H30 dans la cour de la DIRECCTE rue Hirn à Strasbourg

  • Arrêt des suppressions de postes !

  • Versement à parts égales de la totalité du reliquat de prime quelle que soit la catégorie et l’arrêt du RIFSEEP !

Des dizaines de collègues ont signé la pétition pour l’arrêt des suppressions de postes, l’arrêt du RIFSEEP, de l’individualisation des primes et des reliquats.

Sur cette base, les organisations syndicales de la Direccte ex-Alsace ont été reçues en délégation par Madame la Direccte le 29 novembre 2016.

Cette dernière n’a répondu positivement à aucune des revendications des agents ni des OS.

L’AG du personnel avec leurs organisations syndicales du 15 décembre a entendu le compte-rendu de la délégation et a décidé d’un rassemblement le 12 janvier 2017 à 11h30 dans la cour de la DIRECCTE rue Hirn pour obtenir :

  • L’arrêt des suppressions de postes ! Tous les postes doivent être mis à la vacance nationale ! Il faut augmenter le nombre de recrutements statutaires pour les pourvoir ! Tous les postes doivent être pourvus !
  • Le versement à parts égales de la totalité du reliquat de prime quelle que soit la catégorie et l’arrêt du RIFSEEP qui sont des politiques de division des agents !

TOUS ENSEMBLE FAISONS-NOUS ENTENDRE !

 
Le tract d’appel en pdf : Rassemblement: primes égalitaires – non aux suppressions de postes !
Le communiqué de presse : Direccte Grand-Est – Suppression de postes – primes – Communique de presse

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Simone Weil : Lettre ouverte à un syndiqué (Après juin 1936)

Extrait de La condition ouvrière de Simonde Weil

Camarade, tu es l’un des quatre millions qui sont venus rejoindre notre organisation syndicale. Le mois de juin 1936 est une date dans ta vie. Te rappelles-tu, avant ? C’est loin, déjà. Ça fait mal de s’en souvenir. Mais il ne faut pas oublier. Te rappelles-tu ? On n’avait qu’un droit : le droit de se taire. Quelquefois, pendant qu’on était à son boulot, sur sa machine, le dégoût, l’épuisement, la révolte, gonflaient le cœur ; à un mètre de soi, un camarade subissait les mêmes douleurs, éprouvait la même rancœur, la même amertume ; mais on n’osait pas échanger les paroles qui auraient pu soulager, parce qu’on avait peur.

Est-ce que tu te rappelles bien, maintenant, comme on avait peur, comme on avait honte, comme on souffrait ? Il y en avait qui n’osaient pas avouer leurs salaires, tellement ils avaient honte de gagner si peu. Ceux qui, trop faibles ou trop vieux, ne pouvaient pas suivre la cadence du travail n’osaient pas l’avouer non plus. Est-ce que tu te rappelles comme on était obsédé par la cadence du travail ? On n’en faisait jamais assez ; il fallait toujours être tendu pour faire encore quelques pièces de plus, gagner encore quelques sous de plus. Quand, en forçant, en s’épuisant, on était arrivé à aller plus vite, le chronométreur augmentait les normes. Alors on forçait encore, on essayait de dépasser les camarades, on se jalousait, on se crevait toujours plus.

Ces sorties, le soir, tu te rappelles ? Les jours où on avait eu du « mauvais boulot ». On sortait, le regard éteint, vidé, crevé. On usait ses dernières forces pour se précipiter dans le métro, pour chercher avec angoisse s’il restait une place assise. S’il en restait, on somnolait sur la banquette. S’il n’en restait pas, on se raidissait pour arriver à rester debout. On n’avait plus de force pour se promener, pour causer, pour lire, pour jouer avec ses gosses, pour vivre. On était tout juste bon pour aller au lit. On n’avait pas gagné grand-chose, en se crevant sur du « mauvais boulot » ; on se disait que si ça continuait, la quinzaine ne serait pas grosse, qu’on devrait encore se priver, compter les sous, se refuser tout ce qui pourrait détendre un peu, faire oublier.

Tu te rappelles les chefs, comment ceux qui avaient un caractère brutal pouvaient se permettre toutes les insolences ? Te rappelles-tu qu’on n’osait presque jamais répondre, qu’on en arrivait à trouver presque naturel d’être traité comme du bétail ? Combien de douleurs un cœur humain doit dévorer en silence avant d’en arriver là, les riches ne le comprendront jamais. Quand tu osais élever la voix parce qu’on t’imposait un boulot par trop dur, ou trop mal payé, ou trop d’heures supplémentaires, te rappelles-tu avec quelle brutalité on te disait : « C’est ça ou la porte. » Et, bien souvent, tu te taisais, tu encaissais, tu te soumettais, parce que tu savais que c’était vrai, que c’était ça ou la porte. Tu savais bien que rien ne pouvait les empêcher de te mettre sur le pavé comme on met un outil usé au rancart. Et tu avais beau te soumettre, souvent on te jetait quand même sur le pavé. Personne ne disait rien. C’était normal. Il ne te restait qu’à souffrir de la faim en silence, à courir de boîte en boîte, à attendre debout, par le froid, sous la pluie, devant les portes des bureaux d’embauche. Tu te rappelles tout cela ? Tu te rappelles toutes les petites humiliations qui imprégnaient ta vie, qui faisaient froid au cœur, comme l’humidité imprègne le corps quand on n’a pas de feu ?

Si les choses ont changé quelque peu, n’oublie pourtant pas le passé. C’est dans tous ces souvenirs, dans toute cette amertume que tu dois puiser ta force, ton idéal, ta raison de vivre. Les riches et les puissants trouvent le plus souvent leur raison de vivre dans leur orgueil, les opprimés doivent trouver leur raison de vivre dans leurs hontes. Leur part est encore la meilleure, parce que leur cause est celle de la justice. En se défendant, ils défendent la dignité humaine foulée aux pieds. N’oublie jamais, rappelle-toi tous les jours que tu as ta carte syndicale dans ta poche parce qu’à l’usine tu n’étais pas traité comme un homme doit l’être, et que tu en as eu assez.

Rappelle-toi surtout, pendant ces années de souffrances trop dures, de quoi tu souffrais le plus. Tu ne t’en rendais peut-être pas bien compte, mais si tu réfléchis un moment, tu sentiras que c’est vrai. Tu souffrais surtout parce que lorsqu’on t’infligeait une humiliation, une injustice, tu étais seul, désarmé, il n’y avait rien pour te défendre. Quand un chef te brimait ou t’engueulait injustement, quand on te donnait un boulot qui dépassait tes forces, quand on t’imposait une cadence impossible à suivre, quand on te payait misérablement, quand on te jetait sur le pavé, quand on refusait de t’embaucher parce que tu n’avais pas les certificats qu’il fallait ou parce que tu avais plus de quarante ans, quand on te rayait des secours de chômage, tu ne pouvais rien faire, tu ne pouvais même pas te plaindre. Ça n’intéressait personne, tout le monde trouvait ça tout naturel. Tes camarades n’osaient pas te soutenir, ils avaient peur de se compromettre s’ils protestaient. Quand on t’avait mis à la porte d’une boîte, ton meilleur copain était quelquefois gêné d’être vu avec toi devant la porte de l’usine. Les camarades se taisaient, ils te plaignaient à peine, Ils étaient trop absorbés par leurs propres soucis, leurs propres souffrances.

Comme on se sentait seul ! Tu te rappelles ? Tellement seul qu’on en avait froid au cœur. Seul, désarmé, sans recours, abandonné. À la merci des chefs, des patrons, des gens riches et puissants qui pouvaient tout se permettre. Sans droits, alors qu’eux avaient tous les droits. L’opinion publique était indifférente. On trouvait naturel qu’un patron soit maître absolu dans son usine. Maître des machines d’acier qui ne souffrent pas ; maître aussi des machines de chair, qui souffraient, mais devaient taire leurs souffrances sous peine de souffrir encore plus. Tu étais une de ces machines de chair. Tu constatais tous les jours que seuls ceux qui avaient de l’argent dans leurs poches pouvaient, dans la société capitaliste, faire figure d’hommes, réclamer des égards. Toi, on aurait ri si tu avais demandé à être traité avec égards. Même entre camarades, on se traitait souvent aussi durement, aussi brutalement qu’on était traité par les chefs. Citoyen d’une grande ville, ouvrier d’une grande usine, tu étais aussi seul, aussi impuissant, aussi peu soutenu qu’un homme dans le désert, livré aux forces de la nature. La société était aussi indifférente aux hommes sans argent que le vent, le sable, le soleil sont indifférents. Tu étais plutôt une chose qu’un homme, dans la vie sociale. Et tu en arrivais quelquefois, quand c’était trop dur, à oublier toi-même que tu étais un homme.

C’est cela qui a changé, depuis juin. On n’a pas supprimé la misère ni l’injustice. Mais tu n’es plus seul. Tu ne peux pas toujours faire respecter tes droits ; mais il y a une grande organisation qui les reconnaît, qui les proclame, qui peut élever la voix et qui se fait entendre. Depuis juin, il n’y a pas un seul Français qui ignore que les ouvriers ne sont pas satisfaits, qu’ils se sentent opprimés, qu’ils n’acceptent pas leur sort. Certains te donnent tort, d’autres te donnent raison ; mais tout le monde se préoccupe de ton sort, pense à toi, craint ou souhaite ta révolte. Une injustice commise envers toi peut, dans certaines circonstances, ébranler la vie sociale. Tu as acquis une importance. Mais n’oublie pas d’où te vient cette importance. Même si, dans ton usine, le syndicat s’est imposé, même si tu peux à présent te permettre beaucoup de choses, ne te figure pas que « c’est arrivé ». Reprends la juste fierté à laquelle tout homme a droit, mais ne tire de tes droits nouveaux aucun orgueil. Ta force ne réside pas en toi-même. Si la grande organisation syndicale qui te protège venait à décliner, tu recommencerais à subir les mêmes humiliations qu’auparavant, tu serais contraint à la même soumission, au même silence, tu en arriverais de nouveau à toujours plier, à tout supporter, à ne jamais oser élever la voix. Si tu commences à être traité en homme, tu le dois au syndicat. Dans l’avenir, tu ne mériteras d’être traité comme un homme que si tu sais être un bon syndiqué.

Être un bon syndiqué, qu’est-ce que cela veut dire ? C’est beaucoup plus peut-être que tu ne te l’imagines. Prendre la carte, les timbres, ce n’est encore rien. Exécuter fidèlement les décisions du syndicat, lutter quand il y a lutte, souffrir quand il le faut, ce n’est pas encore assez. Ne crois pas que le syndicat soit simplement une association d’intérêts. Les syndicats patronaux sont des associations d’intérêts ; les syndicats ouvriers, c’est autre chose. Le syndicalisme, c’est un idéal auquel il faut penser tous les jours, sur lequel il faut toujours avoir les yeux fixés. Être syndicaliste, c’est une manière de vivre, cela veut dire se conformer dans tout ce qu’on fait à l’idéal syndicaliste. L’ouvrier syndicaliste doit se conduire pendant toutes les minutes qu’il passe à l’usine autrement que l’ouvrier non syndiqué. Au temps où tu n’avais aucun droit, tu pouvais ne te reconnaître aucun devoir. Maintenant tu es quelqu’un, tu possèdes une force, tu as reçu des avantages ; mais en revanche tu as acquis des responsabilités. Ces responsabilités, rien dans ta vie de misère ne t’a prépare à y faire face. Tu dois à présent travailler à te rendre capable de les assumer ; sans cela les avantages nouvellement acquis s’évanouiront un beau jour comme un rêve. On ne conserve ses droits que si en est capable de les exercer comme il faut.