Le rapport de la mission l’IGAS sur l’UD de Haute-Savoie (74) commandé par le cabinet du ministère est paru. La lettre de mission indique que l’UD74 « connaît graves difficultés de fonctionnement […] depuis 2012 » et que « ces difficultés se sont traduites par de multiples instances judiciaires, des procédures de demande de reconnaissance d’accidents de service, un droit de retrait pour danger grave et imminent, des tracts parfois calomnieux visant personnellement des agents du service.
[…] Depuis des mois, la hiérarchie locale et les directions centrales (DRH et DGT) s’efforcent de trouver les moyens pour sortir de cette situation […]. Ces tentatives se sont avérées infructueuses et la situation ne cesse de se dégrader jusqu’à compromettre la santé des agents et le bon fonctionnement du service. »
Le rapport de l’IGAS, malgré le filtre de la litote administrative et sa fonction de sauvegarde de la hiérarchie, est finalement sévère avec cette dernière.
Personne au sein de la hiérarchie ministérielle n’est épargné de l’UD à la DGT tout le monde en prend pour son grade.
Les RUC
« Le travail collectif s’organise difficilement au sein des unités de contrôle. L’autorité des responsables d’unité de contrôle (RUC) est souvent contestée. Les RUC ne sont pas encore parvenus à exercer avec toute la reconnaissance nécessaire les fonctions d’animation de la politique de contrôle qui devraient être les leurs. Leur pouvoir hiérarchique est mal assuré. Ils ont le pouvoir d’évaluation, sans avoir la connaissance des activités des agents de contrôle, sans être autorisé à orienter leur travail, sans réelle capacité de leur apporter l’appui technique qui leur serait éventuellement nécessaire. »
DIRECCTE et UD
« La situation de l’UD 74 a été évoquée à plusieurs reprises, dès 2014, au CHSCT régional, » mais le DIRECCTE a freiné des quatre fers pour empêcher les CHSCT régional de traiter ce qui relève de sa compétence. « Une expertise, toujours en cours, a tout de même été confiée par le directeur régional à une société de conseil spécialisée dans le traitement des conflits en entreprise. Mais cette expertise a été engagée très tardivement (en septembre 2015). »
L’IGAS rapporte aussi que les organisations syndicales on jugé que « les délais trop longs pour statuer sur le caractère d’accident de service [de Laura Pfeiffer] ont pu contribuer au délitement de la situation, et le refus d’enquête à la suite de déclaration de danger grave et imminent, ou l’extrême lenteur de la mise en place de l’expertise demandée, ont pu laisser penser à une partie des agents qu’existait une volonté de la hiérarchie de laisser s’installer un « pourrissement » de la situation en Haute Savoie. »
L’action des « directions de l’UD et de la DIRECCTE » « a manqué de lignes directrices claires et a été brouillée par les interférences nationales qui, à partir de 2014, sont venues compliquer les prises de décision. »
Au sujet des services emploi de l’UD, « Par ailleurs, la pression du préfet sur le service est jugée très forte et, selon certains agents, mériterait d’être relayée de façon moins automatique par le directeur de l’UD. »
La DGT
La mission rapporte que « L’administration, au niveau départemental, régional et national, est accusée par plusieurs organisations syndicales de ne pas avoir dénoncé publiquement les pressions qu’aurait exercées l’entreprise Téfal pour obtenir une mutation de l’inspectrice, et de ne pas lui avoir apporté le soutien nécessaire. ».
L’IGAS ne défend pas la hiérarchie sur ce point, non seulement, elle rappelle (en note de bas de page) l’avis du CNIT sur le sujet « que même si ces pressions n’ont pas été suivies d’effet, il est regrettable que, dès lors qu’elles ont été rendues publiques, aucune intervention publique des autorités administratives ou de l’autorité centrale de l’inspection du travail ne soit venu les condamner et rappeler les principes de droit interne et international qui garantissent l’indépendance de l’inspection du travail, qu’il s’agisse tant des règles relatives à la mobilité géographique des inspecteurs du travail que de leur protection contre les influences extérieures indues ».
La mission ajoute quelques pages plus loin « en ne prenant pas une position publique forte pour condamner les pressions sur l’administration que Téfal a cherché à exercer, les directions départementale et régionale, mais aussi l’administration centrale, ont prêté le flanc à la critique d’un manque de protection de l’inspection du travail contre toute influence extérieure indue, ce qui n’a pas facilité l’instauration d’un climat de travail apaisé au sein de l’UD. »
Espérons que le ministère ait retenu la leçon : il faut défendre publiquement l’indépendance de l’inspection du travail si l’on ne veut pas apparaître comme complice des pressions extérieures indues. La stratégie de l’autruche est délétère pour l’inspection du travail et ses agents.
Les recommandations de la mission
Les recommandations de la mission si elles sont une critique de l’action de la hiérarchie passée ou en place vise avant tout à remettre « consolider la direction » quitte à s’asseoir sur celle en place et à lui rappeler son travail.
C’est en tout cas le sens de la recommandation n°1 : « préparation des ordres du jour des réunions et délais d’envoi, délais de production des comptes-rendus de réunion », « les congés des agents, pour les périodes d’été, de Noël et de Pâques, devraient faire l’objet d’une programmation prévisionnelle », « mieux organiser [la] circulation de l’information ».
Pour cela un secrétaire général doit pallier au fait que « la direction de l’UD est en difficulté pour redéfinir le cadre général de gestion interne et en suivre la bonne mise en œuvre ».
« La mission considère comme une priorité l’instauration d’un dialogue serein et constructif entre le parquet d’Annecy et l’inspection du travail. Cette tâche pourrait être confiée à un(e) adjoint(e) du directeur. »
La recommandation n°2 vise à faire promouvoir l’action disciplinaire de la hiérarchie, y compris dans le cas où un fonctionnaire « violerait le secret professionnel », si le nom de Laura Pfeiffer n’est pas cité, c’est bien elle qui est visée.
Enfin, désaveu éminent s’il est de la hiérarchie de l’UD : « Nommer en renfort un directeur pour une période de 6/8 mois, dont la mission, définie par une feuille de route établie par la DGT et la DRH, en lien avec le DIRECCTE et le responsable de l’UD 74 , a pour objet la réalisation du projet de service de l’UD 74 et de l’action d’échanges sur les pratiques et la déontologie des agents de contrôle. »
Très clairement il s’agit là d’une proposition de reprise en main totale du dossier par l’échelon national du ministère passant outre le DIRECCTE et le responsable de l’UD 74.
Le collectif, c’est mieux sans la hiérarchie
Enfin dans la thématique hiérarchique, la mission apporte une contribution intéressante : « Réinstaurer le travail collectif au sein de l’inspection du travail » et « Organiser un travail collectif sur les pratiques de contrôle et sur la déontologie ».
« La mission suggère d’organiser les échanges sur les pratiques professionnelles et la déontologie entre les agents de contrôle de l’inspection du travail de l’UD […] de tels échanges sur les pratiques professionnelles ont vocation à se dérouler entre pairs, sans la présence des responsables hiérarchiques que sont les RUC afin de permettre une réflexion déconnectée de toute évaluation professionnelle et parfaitement libre ».
Belle ironie lorsque l’on sait que les agents de section de l’UD 74 demandaient depuis des mois de pouvoir faire ce type de réunions, sans que la hiérarchie locale ne s’en saisisse.
Nous pensons aussi que la meilleure manière d’avancer sur les pratiques professionnelles c’est d’échanger entre collègues, entre égaux (d’où l’intérêt du corps unique, de l’intégration de tous les CT dans le corps des IT, du refus des primes et des objectifs individuels) loin des enjeux des statistiques, des promotions, des primes, des petits arrangements administratifs avec la hiérarchie pour se concentrer sur l’essentiel : notre travail de défense des salariés dans le cadre juridique qui est le notre.
Car notre travail est avant tout collectif, nous nous enrichissons des échanges avec nos collègues, de leurs expériences, de leurs diverses approches stratégiques, de leurs connaissances techniques et juridiques, etc. Face aux patronat, pas un agent de contrôle ne peut raisonnablement faire son métier seul. A tout instant, notre action ne peut être que collective. Lorsque nous sommes seuls dans une entreprise, c’est le collectif inspection du travail qui agit au-delà des individus que nous sommes. Et plus le collectif de travail sera fort et plus fort nous serons face aux patrons.
A défaut d’avoir une prise de position publique claire de la part du ministère dans l’affaire Tefal, seul le collectif des agents peut recréer une légitimité de l’inspection du travail. Mais aussi fort que soit le collectif, les poursuites pénales c’est le Parquet qui en décide et ce n’est pas nous, agents de l’inspection du travail qui pouvons seuls mettre à bas la justice de classe.
Avec un collectif fort, on peut aller jusqu’aux limites de notre système judiciaire pour faire respecter au mieux le droit déjà limité des salariés.
C’est aussi la meilleure façon de dépasser les tensions née de l’affaire Tefal au sein de l’UD74 : démarrer un processus pour recréer un collectif de travail basé sur un échange réel sur le contenu du travail et les moyens, les techniques pour le réaliser. Mais pour ce faire, il faut une véritable volonté d’avoir un espace de débat réel.
C’est la faute aux OS !
Dans un processus de re-création de collectif, les organisations syndicales ne peuvent être présentées comme des obstacles. Car dans le rapport, si la charge contre la hiérarchie est sévère, la mission a eu à cœur de contrebalancer cette charge par de violentes critiques contre les organisations syndicales.
« La mission fait observer que ces défauts de réactivité ou de fermeté sont, pour partie, le résultat du climat délétère qui règne au sein de l’UD 74 et de la forte pression exercée par certaines organisations syndicales sur les hiérarchies locale, régionale et nationale, dans un contexte avéré d’une crise de confiance de leur part à leur égard. La paralysie ainsi décrite trouve aussi sa source dans la très grande prudence de l’administration centrale dans un contexte de mise en œuvre délicate de la réforme et d’accusation quasi permanente d’un défaut de soutien de leur part à l’action de l’inspection du travail. »
On atteint là des sommets d’hypocrisie ! Si l’on comprend bien, si la hiérarchie n’a pas réagi c’est la faute des organisations syndicales qui lui demandait de réagir.
Quand on voit au quotidien le mépris qu’affiche les directions du ministère face aux organisations syndicales, on reste pantois face à une telle analyse qui ne vise qu’à masquer le rôle éminent de la hiérarchie dans la situation délétère de l’UD 74. On ne va pas nous faire croire que dans le ministère les directions sont tétanisées et incapables d’agir malgré les critiques des organisations syndicales. Cela fait bien longtemps que les directions avancent aveuglément, mettent en œuvre réforme sur réforme sans le moindre état d’âme face à toutes les alertes des agents et des syndicats.
Si le ministère ne voulait pas être accusé d’absence de soutien à l’inspection du travail, il n’avait qu’à s’exprimer publiquement sans ambiguïté pour condamner les agissements de Tefal et rappeler l’indépendance de l’inspection du travail aux patrons ; les organisations syndicales auraient été ravies de ne pas avoir à porter cette critique.
Mais l’IGAS va plus loin concernant les organisations syndicales : « Il reste que les doutes relatifs à l’impartialité de ces agents de contrôle, en lien avec leurs engagements, met en cause, même de façon circonscrite, l’image de l’inspection du travail et risque de nuire à leur action. En même temps, l’action syndicale n’a pas à être entravée. La question de l’exercice de responsabilités publiques syndicales ou politiques par les agents de l’inspection du travail dans leur département mériterait donc de faire l’objet d’une réflexion nationale. »
Doit-on comprendre que si l’IGAS nous donne encore le droit de nous syndiquer (merci!) il convient de limiter (interdire?) notre liberté d’expression publique ?! Veut-on étendre le devoir de réserve à l’expression syndicale ?!
En somme, quand l’IGAS s’interroge sur les causes des manquements de la hiérarchie, elle n’y voit que la faiblesse numérique de cette dernière et surtout une trop forte pression syndicale. Pour l’IGAS, la cause principale des problèmes de l’UD 74 c’est la faiblesse (la nullité?) de la hiérarchie locale et nationale face aux organisations syndicales qui l’auraient tétanisée à tous les niveaux.
Retour sur l’affaire TEFAL
C’est bien évidemment faux et relève d’une réécriture de l’histoire. Il convient de rappeler ici quel est le fond du problème de l’affaire Tefal.
Tefal a voulu se débarrasser du contrôle de l’inspection du travail, c’est établi par le CNIT et rappelé par l’IGAS, même si c’est dans une petite note en bas de page.
Le directeur départemental, en particulier lors d’un entretien avec l’inspectrice du travail concerné a donné tout lieu de penser qu’il relayait les pressions de l’entreprise Tefal. A cela il faut rajouter, l’absence de reconnaissance des conséquences notamment sur la santé de la collègue de ces faits par la hiérarchie, y compris régionale, en particulier avec le refus de reconnaissance de son accident de service.
C’est cette négation du problème qui va conduire notre collègue à saisir le CNIT et les organisations syndicales qui, face à la sourde oreille de la hiérarchie, vont rendre le problème public pour que le ministère bouge enfin dans le bon sens après de longs mois d’attente.
Lorsque la situation est rendue publique avec à l’appui les documents fournis par un salarié de l’entreprise Tefal, le ministère – au plus haut niveau – a adopté sa stratégie habituelle jusqu’alors dans de pareils cas : ne rien dire, ne rien faire, ne pas soutenir l’inspection du travail en espérant que l’affaire tombe aux oubliettes.
Si auparavant cette stratégie a pu parfois être efficace, cette fois il n’en fut rien, car c’était sans compter l’écho, notamment médiatique croissant au fil des mois, qu’à rencontré la situation.
A chaque fois que l’affaire prenait une plus grande ampleur publique, le ministère (se) disait « c’est bon on a atteint le pic de l’écho médiatique que peut avoir cette affaire, à part le journal l’Humanité il n’y a aucun relais ». De ce point de vue, le ministère a effectivement joué le pourrissement.
Le ministère a été incapable d’entendre l’indignation qu’a entraîné cette affaire, la volonté de ne pas lâcher des organisations syndicales qui ont su, à partir des sections syndicales de l’UD 74, mobiliser les OS du ministère – au niveau régional et national – ainsi que les interprofessions locales et départementales. Jamais le ministère n’imaginait que le niveau national et confédéral des OS viendrait soutenir l’inspection du travail en allant devant le tribunal d’Annecy.
Ce n’est que lorsque le Procureur d’Annecy a insulté l’inspection du travail en parlant de « voyou » et de la nécessité d’y « faire le ménage » que le DGT a enfin sorti la tête du sable pour écrire une lettre au Procureur. Mais toujours aucune prise de position publique.
Mais pourquoi y a t-il eu une telle mobilisation ?
L’IGAS qualifie le soutien des organisations syndicales à Laura Pfeiffer d’« indéfectible » ou d’« inconditionnel ». C’est une façon de sa part de personnaliser les choses.
Le combat était collectif pour défendre notre mission, notre travail que nous voulons tourné vers les salariés et la défense de leurs droits.
Il était nécessaire également de soutenir notre collègue dans les conséquences néfastes de cette affaire sur sa situation personnelle. On peut s’étonner que l’IGAS n’ait pas qualifié d’ « inconditionnel » ou d’« indéfectible » le soutien apporté par la hiérarchie nationale aux décisions illégales prises aux niveau local. Par exemple, tout à fait au hasard, la décision du Direccte de ne pas reconnaître le caractère professionnel de ses arrêts suite à la déclaration de son premier accident de service. Décision annulée le 30 décembre 2016 par le tribunal administratif et qui souligne bien son caractère « surprenant et incohérent », semblant relever du « déni » (dixit le rapporteur public), et qui finalement enjoint le Direccte de prendre « une décision reconnaissant l’imputabilité au service des arrêts de travail en cause ».
Avions-nous la certitude de gagner sur tous les plans face à la hiérarchie et au ministère, à Tefal, puis également face à l’institution judiciaire après le dépôt de plainte de l’entreprise ?
Non, une victoire totale sur tous les plans ne pouvait qu’être illusoire.
Face à une justice de classe qui condamne les vols dans les supermarchés par les nécessiteux à de la prison ferme, inflige de si faibles peines aux patrons (quand il n’y a pas classement sans suite) ou dispense de peine la négligence de Christine Lagarde qui en tant que ministre a facilité une fraude de 400 millions d’euros, pouvait-on véritablement espérer une relaxe ?
L’institution étatique bourgeoise a condamné notre collègue et ses PV sont aux oubliettes.
Mais tout au long de cette affaire nous, agents de l’inspection du travail, organisations syndicales, nous avons dénoncé et (malheureusement) démontré l’iniquité de cette justice bourgeoise.
Si dans le tribunal, légalement, nous avons perdu, la bataille de la légitimité nous l’avons gagné, et très largement.
Il faut bien reconnaître que nous avons fait la démonstration de notre force collective, de notre capacité à mobiliser tant dans le ministère qu’à l’extérieur de celui-ci, non pas simplement pour la situation d’une individue, mais celle de notre collectif ; collectif de travailleurs dont le métier est à leur modeste niveau d’aider dans le rapport de force face à l’exploitation et à l’oppression. Pour notre métier la question de l’indépendance est essentielle, toucher à celle de l’un d’entre nous, c’est affaiblir les possibilités déjà limitées de chacun d’agir pour les salariés.
Cette force, le ministère l’a perçue et l’a intégrée. Récemment sa gestion rapide dans l’UD du Rhône en est la preuve. Sous la pression collective des agents et de leurs organisations syndicales, le responsable de l’UD qui voulait relayer l’ingérence d’un patron très connu dans le milieu de la gastronomie a vite été muté ailleurs pour être ensuite mis à la retraite. Mais la condition nécessaire à toute action du ministère allant dans le sens de la préservation de notre indépendance, c’est un collectif solide, notamment au travers d’organisations syndicales fortes et actives, prêtes si nécessaire à rendre public les problèmes quand le ministère fait la sourde oreille, et ce, non pas par plaisir de dénigrer le ministère et montrer notre propre faiblesse, mais par besoin de créer un rapport de force.
Nos chefs, nos patrons croient au « dialogue social »
pour nous occuper et nous enfumer ;
mais ils ne comprennent que le rapport de force.
Le tract en pdf : tract rapport IGAS UD Haute-Savoie affaire TEFAL: Rapport IGAS ou le désaveu d’une hiérarchie
Le rapport de l’IGAS : Fonctionnement de l’Unité départementale de Haute Savoie de la DIRECCTE AUVERGNE- RHÔNE-ALPES (UD 74)