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La liberté d'expression sanctionnée!

Atteinte sans précédent au droit syndical et à la liberté d’expression au Ministère du travail

Les organisations syndicales du ministère du travail viennent d’apprendre la décision, signée du Directeur des ressources humaines, de suspendre de ses fonctions une collègue, Inspectrice du travail, dans l’attente d’une commission disciplinaire qu’il a convoquée pour le 14 décembre. La gravité de cette décision doit être soulignée ; il s’agit d’une mise à pied conservatoire, ce qui veut dire que la faute commise par notre collègue et camarade justifierait, selon le ministère, qu’elle soit éloignée du milieu de travail pour lequel elle constituerait un danger.

Quelle est la « faute grave » qui a motivé une procédure disciplinaire aussi lourde ? Ce qui est reproché à notre collègue, c’est d’avoir porté la parole de son syndicat sur la politique de suppressions de postes au sein de notre ministère, lors d’une manifestation syndicale et devant la caméra d’un journaliste,. Et sur quoi s’appuie le DRH M. Blondel pour justifier une procédure aussi attentatoire au droit syndical et aux libertés publiques ? Notamment sur le tout nouveau Code de déontologie de l’inspection du travail, dont nous avons pourtant rappelé à ce même Monsieur Blondel, à plusieurs reprises, combien ses dispositions présentaient de réels problèmes de compatibilité, notamment avec la liberté d’expression syndicale.

Aujourd’hui le ministère du travail fait fi de droits pourtant garantis par la constitution française et le droit international, et prétend faire un exemple, et ainsi empêcher à l’avenir toute expression contestataire de ses agents, quand bien même ils s’exprimeraient en tant que représentants de leur organisation syndicale. Combien sommes-nous à avoir déjà parlé à un journaliste ? A avoir pris la parole pour dire ce que nous pensions des réformes qui nous touchent en tant que fonctionnaire, en tant qu’agent de ce service public ? Combien serons-nous demain à être poursuivis si nous émettons la moindre interpellation envers notre employeur lors d’une manifestation, ou même d’une réunion de service, voire lors d’un désaccord avec notre chef ?

A l’heure où les services et le droit du travail subissent des réformes successives qui font qu’ils ont de plus en plus de mal à fonctionner il faut remarquer que cette suspension de notre collègue n’est pas un cas isolé. En effet, en Auvergne Rhône-Alpes un autre militant du syndicat SUD s’est vu rappelé à l’ordre pour sa participation en tant que militant syndical dans une réunion publique traitant des ordonnances Macron, et deux militants CGT 75 ont reçu le mois dernier un blâme pour leur participation à une action de soutien aux travailleurs sans-papiers.

A travers notre collègue suspendue et traduite en conseil de discipline, c’est l’ensemble des agents qui est touché dans sa liberté d’expression la plus élémentaire, il s’agit d’une menace adressée à tous les agents de notre ministère.

En tant qu’organisations syndicales, défendant les agents d’un ministère social censé se préoccuper de la qualité du travail, nous ne pouvons accepter une telle dégradation de notre propre condition.

C’est pourquoi nous exigeons l’arrêt immédiat des poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de notre collègue, et sa réintégration dans son service et dans ses droits.

Nous demandons le retrait de toutes sanctions et l’arrêt de toutes les procédures engagées à la suite de l’exercice de la liberté d’expression et de la liberté syndicale.

Nous appelons d’ores et déjà l’ensemble des agents du ministère du travail à se mettre en grève et à se rassembler à Paris le 14 décembre prochain pour soutenir notre collègue et dénoncer les attaques faites à la liberté d’expression.

Une attaque contre l’un d’entre nous est une attaque contre nous tous, soyons solidaires !

intersyndicale-CNT-CGT-FSU-SUD
Le tract en pdf : Tract intersyndical répression liberté d’expression novembre 2017

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Sécurité sociale : le blitzkrieg social continue

Fidèle à sa stratégie de blitzkrieg social, après avoir promulgué sa loi de destruction du code du travail, le gouvernement attaque maintenant la sécurité sociale. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale continue non seulement la politique d’austérité mais attaque également les fondements d’une protection solidaire.

Derrière l’austérité la mise à mort du système de protection sociale par répartition

Le budget de financement de la sécurité sociale c’est encore et toujours des coupes budgétaires. C’est 4,2 milliards de restrictions demandées, dont 1,2 milliard à un hôpital public déjà exsangue.

Au-delà des coupes budgétaires sur l’assurance-maladie, alors que l’espérance de vie en bonne santé diminue et qu’un Français sur deux renonce à se soigner faute de moyens, un véritable bouleversement du mode de financement de la Sécu a aussi été voté.

Les cotisations sociales (qui n’ont pas augmenté depuis 1979 faut-il le rappeler) doivent cette fois baisser de façon durable. Il s’agit ni plus ni moins que de supprimer les cotisations maladie et chômage contre une hausse de 1,7 point de la CSG.

securite sociale -fermons-la-porte-a-la-misere-webPour faire passer la pilule, le gouvernement met en avant une augmentation du « pouvoir d’achat ». En un mot, les cotisations sociales baissant, le salaire net augmenterait d’autant dès janvier 2018.

Outre le fait qu’il faut être d’une naïveté confondante pour sérieusement croire que les baisses de cotisations vont se reporter automatiquement sur le salaire net que les patrons augmenteraient d’autant, cette baisse signe une changement complet de modèle social.

La Sécurité sociale telle que nous la connaissons résulte du long combat du mouvement ouvrier pour se protéger mutuellement des risques de la vie et du travail. Chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Il ne s’agit pas d’une aumône ou d’une charité qui serait accordé par l’État ou d’une œuvre philanthropique mais de la socialisation d’une partie du salaire pour pallier aux accidents de la vie. Dans ce système par répartition l’argent part du travail pour aller au travailleur en échappant au capital.

Ainsi, loin de provoquer une « hausse du pouvoir d’achat », la majorité retire du salaire brut alors même que le brut appartient dès le départ au salarié. Pour le dire simplement : dans le brut, il y a le salaire pour le mois, le net, et le reste, c’est le salaire pour la vie.

Vers le couple fiscalisation/ privatisation

En passant d’un système de répartition sur la base de cotisations sociales à une fiscalisation de la protection sociale le gouvernement rompt avec le principe « à chacun selon moyens, à chacun selon ses besoins » au profit d’une CSG non progressive et qui va accélérer les déremboursements. En effet, une fois que la protection sociale aura été entièrement fiscalisée, le gouvernement aura beau jeu de revoir constamment les prestations à la baisse au nom d’une éternelle dette publique.

Au-delà, la Sécu ne s’appartiendra plus à elle-même et sera noyée dans les autres finances publiques. Son statut de bien collectif s’en voit menacé. Au final, une fois les prestations de la protection sociale réduites à la portion congrue, c’est le privé Axa, Malakoff et compagnie qui prendra en charge le reste. Pour eux, pas besoin de manifester, il leur suffit de laisser nos gouvernants successifs faire la sale besogne. Et pour avoir droit à la santé il nous faudra les payer, bien plus cher que nos cotisations actuelles. Une minorité pourra le faire. Les autres vieilliront mal, certains plus du tout.

L’avenir sourit surtout aux grands groupes d’assurance privée

securite sociale -tous solidaires tous beneficiaires-webLa logique sera la même concernant l’assurance chômage par la réduction des allocations à un minima social qui intégrerait les démissionnaires et les indépendants avec contrôles et culpabilisation accrue pour les chômeurs.

Déjà le gouvernement prévoit la suppression du tiers payant généralisé et une hausse du forfait hospitalier. En revanche les aides aux patrons ne connaissent pas la crise avec la pérennisation et l’augmentation à 24 milliards d’euros par an du CICE.

La Sécurité sociale, bien qu’imparfaite aujourd’hui, mérite non seulement d’être défendue mais d’être améliorée et étendue. Il faut notamment en finir avec le paritarisme en revenant à son idée originelle en confiant sa gestion aux travailleurs et aux travailleurs uniquement car nous sommes les seuls créateurs de richesses. Les patrons n’en que sont les usurpateurs et les profiteurs.

Il est primordial de se mobiliser afin de défendre notre sécurité sociale.

Cette lutte s’inscrit au cœur de la lutte de classes menée par le patronat et le gouvernement visant à liquider toutes les conquêtes du mouvement ouvrier depuis 1945.

 
Le tract en pdf : tract CNT securite sociale novembre 2017

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Intersyndical Tracts

En grève le 16 novembre 2017 !

Tract de l'intersyndicale CNT-FO-FSU-SUD-CGT du ministère du travail

Toutes et tous massivement en grève le 16 novembre dans les services, contre la politique de casse des droits des travailleurs (du privé comme du public) par le gouvernement Macron !

Un constat s’impose : le gouvernement Macron livre une attaque majeure, sans précédent, contre les droits des travailleurs du public et du privé. Aux réformes se succèdent de nouvelles annonces de réformes, visant toutes à liquider nos conquêtes sociales :

  • les ordonnances, qui portent un coup majeur au code du travail et aux droits collectifs des salariés : accords dérogatoires pour liquider les accords de branche, facilités accrues pour licencier, fusion/liquidation des instances représentatives du personnel…
    Des ordonnances que les récents décrets sont encore venus aggraver : près de 50% de délégués en moins pour les entreprises de moins de 300 salariés, le vote à main levée pour le référendum dans les entreprises de moins de 20 salariés…
    Des mesures qui, à terme, ne manqueront sans doute pas d’être transposées dans la fonction
    publique !
  • l’attaque contre l’assurance chômage et la formation professionnelle, au détriment de celles et ceux qui en ont le plus besoin,
  • l’attaque contre nos salaires, avec l’augmentation de la CSG ou le retour de la journée de carence, alors que nous subissons depuis des années de gel du point d’indice,
  • l’attaque contre la sécurité sociale et la santé, avec 3 milliards d’euros en moins dans le budget, et 30% de soins jugés « inutiles » qui ne seront plus remboursés !
  • l’attaque contre les services publics, avec 120 000 postes supprimés ! Les DIRECCTE, confrontées à un nouveau plan social, sont déjà exsangues, avec une diminution de 20% en 10 ans, passant de 9 826 à 7 983 ETP, et on va encore supprimer 239 emplois au ministère du travail en 2018.

Chacun comprend à qui profite cette politique lorsque, dans le même temps, les cadeaux pour le patronat se multiplient : suppression de l’Impôt sur la Fortune, pérennisation des 40 milliards d’euros de cadeaux du crédit impôt compétitivité…

Il est grand temps de mettre un coup d’arrêt à cette politique de liquidation des acquis sociaux alors que
les discussions sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale sont en cours au Parlement et
avant le vote de la loi de ratification des ordonnances !

Les syndicats CGT-CNT-FO-FSU-SUD du ministère du travail vous appellent à la grève le 16 novembre 2017 pour:

  • l’abrogation des ordonnances Travail ;
  • l’arrêt des suppressions de postes, du plan social en cours au ministère du travail et des transferts de missions ;
  • des recrutements statutaires à hauteur des besoins pour un service public du travail et de l’emploi au service des travailleurs, avec ou sans emploi ;
  • l’arrêt des attaques contre notre salaire : abrogation du RIFSEEP, abrogation de la CSG, maintien du salaire socialisé pour financer la protection sociale collective, augmentation de 16% du point d’indice (perte de valeur du point depuis 2000), intégration de toutes les primes dans le traitement, et une revalorisation des bas salaires ;
  • l’arrêt du gigantesque plan social que constitue la suppression de 40% des contrats aidés.

Le tract en pdf : Tract InterOS ministere du travail greve 16-11-2017

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Intersyndical

Brisons le tabou des violences sexistes et sexuelles au ministère du travail !

25 novembre : journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes

L’omerta se brise peu à peu dans le débat public, mais les victimes sont toujours nombreuses, et aucune réaction satisfaisante n’est exprimée par le gouvernement. En réponse aux violences machistes vécues par les femmes, au travail et dans toutes les sphères de leur vie, ainsi qu’aux écueils judiciaires, procéduraux et moraux qu’elles rencontrent lorsqu’elles tentent de faire entendre leur voix, le gouvernement propose uniquement de… créer une nouvelle contravention pénalisant le harcèlement de rue, et organiser un « tour de France de l’égalité » à grands renforts de plan com’.

Rien ! en matière de moyens attribués, notamment de formation, aux services publics chargés d’accueillir et de faire valoir les droits des femmes victimes (justice, police, médecine et inspection du travail) ;

Rien ! sur l’évolution de la politique pénale, afin de lutter contre le classement sans suite massif des plaintes et la correctionnalisation des viols ;

Rien ! sur le financement des associations luttant quotidiennement aux côtés des femmes, pourtant essentielles pour compenser les carences des pouvoirs publics.

Au-delà des problèmes de discrimination au travail, des inégalités salariales qui perdurent, il est essentiel de s’attaquer à la question des violences sexistes et sexuelles, qui touche tous les milieux professionnels et toutes les catégories sociales. Ces violences ne sont pas seulement le fait d’individus ; elles s’ancrent dans le système patriarcal qui les engendre et permet leur perpétuation.

1 femme sur 5 a été harcelée sexuellement au cours de sa carrière

Nos services ne sont pas épargnés. Des femmes de ce ministère ont été et en sont victimes : harcèlement, agressions sexuelles – au sein du collectif de travail ou venant des usagers, et les réflexions, blagues, affiches, gestes créant un environnement sexiste hostile pour les femmes :

Et un directeur du travail harceleur sexuel notoire jamais inquiété par une procédure disciplinaire !

Et un sous-préfet disant à une CDET qu’elle est « bonne et fraîche » !

Et un SG disant à une agente « avec vous dans le bureau pas besoin de remettre le chauffage » !

Et un SG disant « je vais m’occuper de la petite nouvelle elle a des jolis yeux » en parlant d’une contrôleuse stagiaire !

Et un directeur affirmant à une inspectrice « tu n’as pas les couilles d’aller sur ce conflit » !

Chacun.e a été un jour ou l’autre témoin ou victime de telles attitudes.

Malgré l’impact que cela a sur nos conditions de travail – de la gêne et du malaise jusqu’aux effets délétères sur la santé et la carrière des femmes, ces comportements restent trop souvent tolérés.
Nous ne disposons pas d’éléments statistiques précis sur la question, notre ministère n’ayant jamais jugé pertinent de diligenter de telles enquêtes, préférant nous assaillir de campagnes de communication aussi vaines que creuses, et faire l’autruche lorsqu’elle est saisie.

Parce que tous les hashtags du monde n’y changeront rien si nous ne combattons pas pour nos droits

Nos organisations syndicales proposent :

Notre démarche vise à briser le silence et à rappeler que les victimes ne sont jamais responsables de ce qu’elles subissent.

Il est temps que la honte et la culpabilité changent de camp !

Nous vous appelons à manifester à nos côtés le 25 novembre prochain. Des rassemblements et manifestations seront organisés dans toutes les grandes villes.

Nos organisations syndicales exigent l’application immédiate dans nos services des textes existant dans la fonction publique*, et revendiquent en particulier :

  • des notes de service précisant les procédures à suivre si un cas de sexisme ou de harcèlement survient, incluant une enquête, traitée sans retard en cas de plainte ainsi que des sanctions si les agissements sont établis ;
  • la formation des agent.es à ne plus subir et à dénoncer ces propos et agissements ;
  • la sensibilisation et la formation adéquate des responsables hiérarchiques. Ces formations devront être dispensées par des associations féministes;
  • la garantie pour les victimes de bénéficier de protections : soutien et, si nécessaire, aide à leur maintien et à leur retour dans l’emploi ainsi que, en premier lieu, de la protection de leur plainte ou témoignage;
  • l’effectivité de la protection fonctionnelle dans les cas de harcèlement sexuel;
  • une politique de prévention à soumettre au CHSCT.

L’affirmation sans concession que le sexisme est une violence faite aux femmes qui ne sera aucunement toléré dans les services.

* Protocole d’accord de 2013 relatif à l’égalité professionnelle femmes-hommes, Circulaires du 4 mars 2014
relative à la lutte contre le harcèlement et du 22 décembre 2016 relative à l’égalité professionnelle

 
Le tract en pdf : Tract lancement campagne – Violences sexistes et sexuelles au travail
 
La brochure en pdf : Brochure violences faites aux femmes CNT CGT SUD
 

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Bas-Rhin – Strasbourg Intersyndical Tracts

Déontologie: la Direccte Grand Est fait du zèle

Tract CNT CGT SUD FSU FO de la Direccte Grand Est

Ça fait bien longtemps que la direction ne nous réunit plus que pour causer boutique : la « grande » Direccte, la réforme et le PSE du ministère…

Cette réunion-ci n’y coupe pas et aujourd’hui, la haute et grande direction située dans le fort fort lointain, a décidé de mettre le paquet, de nous réunir pour causer déontologie. Finie la rigolade !

Cette grande messe intervient dans un contexte défavorable aux droits des travailleurs, le tout dans un climat interne de répressions syndicales.

Les ordonnances sur la réforme du code du travail viennent d’être signées. La norme sera alors élaborée de plus en plus au sein des entreprises, ce qui rend le contrôle de plus en plus difficile.

Les suppressions de postes en section d’inspection aggravent le tableau, nous rendant de moins en moins disponibles pour contrôler des textes de plus en plus hétérogènes.

Cela s’ajoute à l’orientation de notre activité, en fonction des préoccupations politiques du gouvernement qui ne répondent pas aux besoins des travailleurs.

Nos missions changent, nous éloignant de plus en plus d’une inspection du travail de qualité, au service de celles et ceux qui en ont le plus besoin.

En interne, la DIRECCTE GRAND EST a durci le ton vis-à-vis des agents et des représentants du personnel :

  • Sanction pécuniaire forfaitaire au moment de l’attribution du CIA pour des dizaines d’agents ayant suivi des mots d’ordre syndicaux alors qu’ils ont accompli leurs missions voire plus (intérim long, autorité administrative…) !
  • Menaces de plainte pénale contre les représentants syndicaux lors de dénonciations de situations de souffrance dans plusieurs UD !
  • Absence totale du respect des instances du personnel qui a entrainé en septembre la démission de la quasi-totalité des membres du CHSCT ! Que fait alors la DIRECCTE ? Elle reconvoque le CHSCT, et le fait délibérer avec deux membres restant pour la totalité de la région.

Ce vent de répression est un message adressé à des agents jugés trop remuants par une administration qui cherche de plus en plus à contrôler ses troupes.

C’est dans cette logique que s’inscrit le code de déontologie, dont on peut être surpris de le voir incorporé dans le Code du travail.

Des cabinets d’avocats ont déjà compris que le patronat allait pouvoir s’en servir pour se protéger de l’inspection du travail, par exemple pour faire retirer un dossier à un agent de contrôle. Ils feront de ces règles les futurs obstacles à nos fonctions et de probables atteintes à l’indépendance des agents de contrôle.

Attention ! Le code de déontologie est aussi une lettre de mission pour la hiérarchie de l’inspection
Et on voit bien l’ampleur de leur tâche 😉

D’abord, il faudra bien se souvenir que l’essentiel de ces règles déontologiques s’appliquent à tout le monde, y compris au DGT et à toute la chaine hiérarchique (R. 8124-4).

Ainsi, tout le monde y compris la hiérarchie doit prêter aide, assistance aux autres et faire preuve de respect mutuel dans l’exercice des missions (R. 8124-11)… Y a du boulot !

Tout le monde y compris la hiérarchie doit se taire et surtout ne rien dire contre le système d’inspection : dans l’exercice de leurs missions, les agents s’abstiennent de toute expression ou manifestation de convictions personnelles, de quelque nature qu’elles soient ; en dehors du service, ils s’expriment librement dans les limites posées par le devoir de réserve. Ils ne peuvent notamment tenir des propos de nature à nuire à la considération du système d’inspection du travail ; ils ne peuvent se prévaloir de la qualité d’agent du système d’inspection du travail dans l’expression publique de leurs opinions personnelles (R. 8124-19).

Rappelons que grâce à la loi, le droit syndical, le droit de grève et la liberté d’opinion sont garantis aux fonctionnaires (articles 6, 8 et 10 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983).

Tout le monde y compris la hiérarchie bénéficie du libre exercice du droit syndical (R. 8124-12). Même la hiérarchie a le droit de faire grève  et d’exprimer son désaccord avec les ordonnances macron, la suppression des effectifs !

Tout le monde y compris la hiérarchie doit consacrer l’intégralité de son activité professionnelle à ses fonctions (R. 8124-17). La loi de 2016 ajoute que le cumul d’activités ne doit pas faire obstacle à l’exercice des fonctions principales ni porter préjudice d’une manière quelconque à l’autorité ou à l’impartialité nécessaires dans les relations avec les employeurs et les travailleurs (article 25 septies loi n°2016-483 du 20 avril 2016)… Ouhlala… ça craint !!!

Le conflit d’intérêt concerne tout le monde y compris la hiérarchie, même si certains vont être plus surveillés que d’autres car ils seront soumis à déclaration d’intérêt : impartialité, objectivité, aucune interférence entre l’exercice de son activité professionnelle et des intérêts publics ou privés (R. 8124-15).

L’administration pense, bien sûr aux agents de contrôle,
nous pensons aussi à ceux qui occupent des fonctions hiérarchiques.

Ceux qui exercent une autorité hiérarchique doivent veiller au respect des droits reconnus aux agents et des garanties d’indépendance dans l’exercice de leurs missions, mettre en œuvre la protection juridique dont les agents bénéficient dans l’exercice légal de leurs attributions, apporter par tout moyen approprié un soutien aux agents rencontrant des difficultés dans l’exercice de leurs missions (R. 8124-6).

Ceux qui doivent obéir, doivent se conformer aux instructions reçues de leur supérieur hiérarchique (R. 8124-8).

La loi du 13 juillet 1983 (article 28) précise un détail d’importance – ces ordres ne doivent pas être manifestement illégaux et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Est-il besoin de préciser que cela ne doit pas nuire à la santé des agents ?

Rassurons-nous, si on se pose des questions, on pourra saisir le référent déontologue, mais aussi le CNIT (R. 8124-33) : mais qui est ce référent déontologue ?

Quand un agent, quel que soit son grade ou sa fonction, intervient plusieurs fois sur un même dossier pour que l’IT envoie une copie d’un courrier à un tiers extérieur, quand il utilise sa fonction pour critiquer le système d’inspection dans une revue juridique, quand il ne cesse de considérer et de dire que l’IT fait n’importe quoi, ne fait pas son travail, n’en fait jamais assez… est-ce bien déontologique ?


On aurait pu s’amuser à écrire un code de déontologie tellement plus simple, moins complexe, plus lisible comme … un nouveau code du travail quoi qui pourrait se résumer ainsi :

Article 1 : le droit d’expression, le droit syndical…terminé ! Fermez vos gueules.
Article 2 : exécutez les ordres sans commentaires.
Article 3 : participez aux actions de propagande de la DGT et du ministère.

C’est pas plus simple la vie au travail comme ça ?

L’administration pseudo-moderne revient aux années 50, quand M. DEBRE disait : « Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait »

 
Le tract en pdf : déontologie tract fsu cnt cgt sud fo Grand est 9-11-2017
 

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La lutte c'est la santé ! Pour une politique de la souffrance.

La lutte c’est la santé !

Pour une politique de la souffrance

Dossier

« Rappelle-toi surtout, pendant ces années de souffrances

trop dures, de quoi tu souffrais le plus. Tu ne t’en rendais

peut-être pas bien compte, mais si tu réfléchis un moment,

tu sentiras que c’est vrai. Tu souffrais surtout parce

que lorsqu’on t’infligeait une humiliation, une injustice,

tu étais seul, désarmé, il n’y avait rien pour te défendre. »

Simone Weil, « Lettre ouverte à un syndiqué », La Condition ouvrière, 1951

« Car on ne peut accepter la vie qu’à la condition

d’être grand, de se sentir à l’origine des phénomènes,

tout au moins d’un certain nombre d’entre eux.

Sans puissance d’expansion, sans une certaine domination

sur les choses, la vie est indéfendable. »

Artaud, L’Ombilic des Limbes

Le thème de la souffrance au travail émerge dans le débat public français à la fin des années 1990. Auparavant volontiers marginalisé ou souffrant même d’un déni, il s’impose alors progressivement au point de devenir incontournable.

Dans le champ scientifique de nombreuses productions vont voir le jour et de nouvelles disciplines vont apparaître et s’affirmer en pensant à nouveaux frais une psychopathologie du travail. Dans le champ politique, le législateur va notamment consacrer la souffrance au travail comme préoccupation publique par l’inscription et la répression dans la loi du harcèlement au travail. Suivant ce mouvement les tribunaux se sont saisi du thème et ont développé une riche jurisprudence devant la multiplication des contentieux. La souffrance est désormais devenue un « risque » à part entière et l’évaluation et la prévention des risques telle que prévue par le Code du travail a intégré la santé mentale à côté des traditionnels risques physiques. À tel point qu’évaluer les dits « risques psychosociaux » est devenue une tarte à la crème de quasiment toute entreprise.

Doit-on en conclure que la souffrance au travail est désormais prise au sérieux et qu’un grand consensus national se serait imposé jusque dans les entreprises pour rechercher le bien-être des salariés ?

Rien n’est évidemment moins sûr… L’évocation, pour ne pas dire l’incantation, de la prise en charge des risques psychosociaux semble désormais relever d’une figure de style, passage obligé, supplément d’âme de la perpétuation de l’exploitation et de la domination. Car si le capitalisme a su intégrer le thème de la souffrance, il semble que ce soit précisément en en désamorçant la charge explosive qui aurait pu mettre en question les rapports de domination qui en sont constitutifs.

Ainsi, plus de 15 ans après l’émergence et l’installation du thème de la souffrance au travail, un sentiment mitigé voire de dépit semble gagner nombre d’acteurs et de professionnels amenés à rencontrer et prendre en charge la souffrance au travail. La souffrance n’a pour ainsi dire jamais disparu et ne semble même pas en voie de décrue tant l’intensification du travail et ses effets pathogènes semblent continuer envers et contre tout.

Comment comprendre et envisager cet échec au moins partiel ? La psychologie du travail a-t-elle manqué son objet ?

C’est partant de ce constat et des interrogations qu’il suscite que nous voudrions ici reprendre ce thème, non pour nier les importants apports théoriques des différents travaux en psychologie du travail dans la pensée de la souffrance ces dernières années, mais pour reposer la question de la souffrance comme question pleinement politique.

Intégrer la souffrance à la lutte

Sortir du déni

L’émergence de la souffrance au travail dans le débat public s’est initialement construite autour de deux livres en particulier ayant eu un grand retentissement à leur parution en 1998 : Le harcèlement moral de Marie-France Hirigoyen, et Souffrance en France de Christophe Dejours.

Le premier est centré autour de la figure du pervers narcissique. Ce faisant, l’ouvrage ne parle pas spécifiquement des situations de travail et de leur éventuel caractère pathogène mais se borne à constater la possibilité de l’expression de la personnalité perverse dans la sphère professionnelle. Un chapitre est alors consacré au travail et à la dégradation des relations de travail sous l’angle des conditions favorables à l’expression de la perversité ». Au rang de ces « conditions favorables », Marie-France Hirigoyen évoque tour à tour la menace du chômage, la concurrence acharnée entre salariés, l’augmentation des contraintes et l’intensification du travail qui en découle.

L’ouvrage semble néanmoins souffrir de la fermeture de son objet initial tout en cherchant dans le même temps à le dépasser. Évoquant dans un premier temps « l’entreprise qui laisse faire » le pervers, il développe ensuite son propos vers « l’entreprise qui encourage les méthodes perverses » et envisage l’éventualité d’un harcèlement managérial tout en n’employant pas expressément cette expression. Mais précisément s’agit-il encore de perversion quand on constate que l’organisation du travail produit une intensification du travail, une compétition entre salariés avec leurs corollaires de stress et de peur ? De plus si « le pouvoir constitue une arme terrible lorsqu’il est détenu par un individu (ou un système) pervers », pourquoi ne pas intégrer la subordination, constitutive de la relation de travail au sein de l’entreprise capitaliste, au rang des « conditions favorables » ? Reste que cet ouvrage a en son temps constitué un puissant révélateur de la dégradation des situations et des relations de travail. Il a également contribué à sortir nombre de « victimes » du sentiment de l’isolement en se reconnaissant dans les situations décrites. Signe de ce succès le pouvoir politique finira par introduire la notion de harcèlement moral dans la loi en 2002.

Autre est le projet de Christophe Dejours qui prend comme objet explicite de son analyse la souffrance au travail et le « consentement » à cette souffrance. Il s’agit là d’un « retournement épistémologique », retournement initié dans son ouvrage Travail, usure mentale (1990), qui redéfinit l’objet de la recherche en psychopathologie du travail, la souffrance au travail, comme « souffrance compatible avec la normalité ».

Ce faisant le projet est double : partir de la souffrance au travail comme ressort du consentement à la « banalisation du mal » à travers des « stratégies de défense » ; mais également comme point de départ d’une résistance possible. Pour ce faire il s’agit de commencer par sortir du déni. Le déni c’est d’abord celui des organisations politiques et syndicales. Dejours voit dans la désyndicalisation une cause mais aussi un effet de la tolérance à la souffrance d’autrui. Dans les années 70 l’influence d’un certain marxisme, qui a tôt fait de qualifier de « petit bourgeois » tout ce qui a trait à la subjectivité, a fait négliger la thématique de la souffrance eu travail. « Supposées antimatérialistes, ces préoccupations sur la santé mentale étaient suspectes de nuire à la mobilisation collective et à la conscience de classe ».

L’ouvrage fixe donc un cadre et un objectif : ne pas nier la souffrance subjective au travail et intégrer cette dimension à la lutte collective. Il faut pour cela relégitimer la parole sur la souffrance contre ceux qui la rangeraient au rang de la sensiblerie. À cet égard Dejours écrit de très belles pages sur l’usage de la virilité comme forme dévoyée du courage dans le travail. Le courage viril passe par l’apprentissage de la soumission volontaire et la capacité à infliger la souffrance à autrui. Il faut ainsi repenser un courage qui prend le risque de désobéir et d’être exclu de la communauté des forts et des virils en s’opposant à la banalité du mal.

Le projet initié est ainsi de promouvoir une véritable clinique5 du travail qui pense la personne en situation. Il va donner lieu à l’apparition de plusieurs disciplines telle la psychodynamique du travail chez Dejours mais aussi la clinique de l’activité chez Yves Clot.

Derrière la souffrance individuelle, le travail dégradé

Dans cette clinique du travail l’attention à la souffrance individuelle n’est pas une fin, elle doit d’abord nous permettre de retrouver et de réaffirmer le travail dans sa dimension collective. Derrière cette souffrance individuelle on retrouve un travail dégradé qu’on pourrait caractériser comme une « contrainte à mal travailler ». Être contraint de mal faire son travail, de le bâcler, de tricher même pour satisfaire un mensonge institutionnel sur fond de déni du réel est une source de souffrance majeure. Celle-ci s’est notamment développée du fait de l’intensification du travail observée ces dernières années ; intensification qui touche aussi bien les services, l’industrie que les administrations. On assiste notamment au retour d’un néofordisme dont le lean management n’est que le dernier avatar. Il faut souligner à cet égard le caractère peu original du lean management malgré le flot de novlangue qui entoure sa promotion. Il s’agit là encore du vieux projet totalitaire d’endiguer l’énergie, de capturer la pensée libre, de contrôler temps et mouvements pour se tenir dans le cadre institué. Les mêmes causes produisent les mêmes effets pathogènes…

Ce retour d’un néo-taylorisme est d’autant plus remarquable qu’il s’accompagne dans le même temps d’une injonction paradoxale à l’autonomie et à la prise de responsabilité. On valorise les « compétences » individuelles (au détriment des qualifications renvoyant à un statut) avec son corollaire d’entretiens individuels d’évaluation censés les mesurer et pour l’atteinte d’objectifs prédéfinis. Chacun est sommé d’être entrepreneur de sa vie et est renvoyé vers ses ressources

propres dans l’illusion d’une détermination de soi par soi… et en concurrence avec tous les autres. Et ce alors même que les travailleurs ne maîtrisent ni les moyens ni les objectifs de la production. Ainsi « à la prescription de l’activité du taylorisme et la dissociation du geste qu’il impose succèdent (s’ajoutent) aujourd’hui la prescription de la subjectivité et le déni de la contribution subjective des salariés à la vie des organisations ». Ce phénomène d’individualisation dans le travail détruit les collectifs, les capacités d’actions des syndicats en amenant de la désolidarisation généralisée.

De ce point de vue la prégnance de la référence au « stress » dans le monde du travail témoigne du décalage croissant entre l’augmentation des exigences et la réduction des ressources collectives mobilisables. La souffrance émerge alors d’un développement empêché, d’une amputation du pouvoir d’agir sur fond de collectif en miettes.

À cet égard on peut tenter de faire se rejoindre les travaux de Dejours en psychodynamique du travail et ceux de Clot en clinique de l’activité. Là où la psychodynamique du travail insiste sur le dysfonctionnement de la dynamique de reconnaissance par autrui comme facteur de souffrance, Clot va centrer son propos sur le pouvoir d’agir face à son éventuelle amputation. Ce dernier insiste en particulier sur la nécessité de prendre en compte l’activité empêchée comme dimension fondamentale du travail réel.

On peut néanmoins faire se rapprocher les deux perspectives à travers la question de l’identité au travail. Être reconnu c’est aussi en dernier recours et fondamentalement se reconnaître soi dans son propre travail. L’impossibilité du travail bien fait empêche cette reconnaissance. Le sujet ne peut se reconnaître dans le travail qu’on lui fait faire, l’activité perd son sens. Il est devenu comme étranger à sa propre vie. On retrouve ici la problématique classique de l’aliénation. Or le renoncement au travail bien fait, aux valeurs qui guident l’investissement dans une activité professionnelle a un coût psychique très lourd. « Quand la confrontation sur la qualité du travail est devenue impraticable, suractivité et sentiment d’insignifiance forment un mélange “psychosocial” explosif ». Des personnes qui souhaitent travailler dans les règles de l’art se heurtent à des conflits de critères qui renvoient à des conflits de valeur. Ces conflits de critères refoulés, parce que non discutés et non discutables, viennent s’enkyster dans le corps et la tête de chacun et la dégradation du travail vient dégrader la construction de sa propre identité au travail. Cette perte d’identité est personnelle mais aussi collective puisque les repères de métiers élaborés par le collectif de travail se trouvent disqualifiés. C’est sur fond de ce mélange morbide entre travail désaffecté et surinvestissement dans le travail que l’absence de reconnaissance par autrui, et au premier rang l’absence de reconnaissance managériale, devient la goûte d’eau qui fait déborder le vase.

Lutter contre ce travail pathogène ne signifie donc pas poursuivre, dans une fuite en avant, une reconnaissance hiérarchique foncièrement aléatoire et qui peut se retourner contre la qualité du travail lui-même. Il s’agit avant tout de retrouver du pouvoir d’agir sur son activité pour réenclencher une dynamique vertueuse de construction de son identité et d’accomplissement de soi. Au-delà, le travail permet au sujet de s’inscrire dans une histoire collective, celle de la réorganisation de la tâche par les collectifs professionnels, d’un travail d’organisation du collectif et de construction d’une identité professionnelle qui ne se confond pas avec le prescrit de l’organisation.

…repolitiser la souffrance au travail

Le risque persistant du psychologisme et la tarte à la crème des risques psycho-sociaux

L’apport majeur des travaux en clinique du travail est de sortir la question de la souffrance au travail du « psychologisme ». Par psychologisme j’entends une appréhension de la souffrance dans laquelle « les conflits sociaux peuvent être déplacés sur le plan des problèmes psychiques, autrement dit peuvent accabler l’individu sous la forme d’une affaire privée ».

Le développement spécifique d’une psychologie du travail est ainsi un apport indéniable d’un point de vue théorique en ce qu’elle permet d’analyser et de décrypter les ressorts d’une souffrance au travail par le travail ; elle est aussi un outil de résistance possible, notamment pour les syndicats qui se sont emparé à différents degrés du sujet. De ce point de vue la phase du déni initialement dénoncée par Dejours a été dépassée.

Reste à se pencher sur les résultats obtenus et les réactions institutionnelles. Disons le tout de suite, si l’on en croit les auteurs cités, les résultats ne sont pas reluisants. De fait dans la préface à la réédition de Souffrance en France, Christophe Dejours note que « dix ans plus tard […] la situation s’est aggravée, parce qu’aucune mesure n’a été prise en France ni à l’étranger pour favoriser, en matière d’organisation du travail, les choix qui pourraient être nettement moins délétères pour la santé mentale ». Même constat chez Yves Clot qui relève dans Le travail à cœur publié en 2010 que « selon les différentes enquêtes les Français sont très peu satisfaits, et même parmi les moins satisfaits du travail en Europe […] la situation française semble même se dégrader ».

Si l’on se situe du point de vue des mesures prises visant la répression de comportements pathogènes au travail, la thématique du harcèlement, comme nous l’avons déjà noté, a abouti au vote d’une loi le réprimant. Mais ce vote n’a pu se faire qu’à la faveur d’une double dépolitisation. D’une part au travers d’une reformulation légale des conflits professionnels en conflits interpersonnels ; d’autre part et corrélativement en éludant la question de la subordination. Tel qu’il est défini par le code du travail le harcèlement est aussi bien horizontal que vertical, descendant qu’ascendant. On trouve d’ailleurs régulièrement des employeurs ou des cadres pour nous expliquer qu’ils sont harcelés par leurs salariés ou des syndicalistes.

Certes il convient de moduler quelque peu le propos puisque le développement et l’évolution d’une jurisprudence sur le sujet a pu ponctuellement intégrer et condamner des formes de harcèlement managérial ; harcèlement managérial qui affirmait en creux la dimension collective du travail et la subordination juridique des salariés. Il n’en reste pas moins que la loi sur le harcèlement reste bornée par la problématique de départ qui l’a vue naître, à savoir une pathologisation du harcèlement dans la figure du pervers et une dichotomie pénale habituelle interpersonnelle : coupable/victime. Cette loi n’a à cet égard pas pleinement permis une sortie du psychologisme.

Qu’en est-il du côté de la prévention ?

On a vu tout d’abord se développer dans la sphère du travail des dispositifs de prise en charge de la souffrance sous l’angle traumatique. Ce modèle est une importation des différents dispositifs de prise en charge de la victime de type cellule d’écoute ou soutien psychologique. Initialement conçus pour les victimes de catastrophe, ces derniers ont peu à peu été intégrés à l’entreprise en guise de supplément d’âme du traitement de la souffrance au travail. Ils demeurent alors situés au niveau du traitement du symptôme et déconnectés d’une vision de transformation des situations de travail. « La lutte contre la souffrance au travail consiste en de l’orthopédie psychologique à visée adaptative qui réduit la subjectivité à un objet de prescriptions censée restaurer le “bien être” au travail ». Prévention dite tertiaire en ce qu’elle vise à traiter le malade afin de le réadapter en vue de son retour.

En amont d’un tel traitement des conséquences pour les salariés déjà en rupture un traitement des causes est préconisé dans le cadre d’une prévention primaire. La souffrance au travail est ainsi devenue un risque parmi d’autres à évaluer et à prévenir. Les risques psychosociaux prennent désormais place à côté des risques physiques (risque chimique, biologique, mécanique…). C’est ainsi que s’est développé un véritable marché du diagnostic et de l’expertise en risques psychosociaux à qui l’on sous-traite bien souvent l’analyse. Une fois le diagnostic réalisé, celui-ci est censé enclencher un plan d’action. Une telle affirmation pour évidente qu’elle paraisse ne l’est pourtant pas, tant pour beaucoup d’employeurs la réalisation dudit diagnostic tient lieu de plan d’action qui se suffirait à lui-même. Un plan d’action donc, oui, mais lequel ?

Les fameux « plan d’action » tournent la plupart du temps autour de deux types de mesure.

Tout d’abord des dispositifs qu’on pourrait qualifier de renforcement de l’individu, au même titre qu’un renforcement musculaire. Au-delà et en amont du traitement des traumatismes de salariés déjà en rupture, on a vu ainsi fleurir des stages de gestion du stress ou, pour les cadres essentiellement, des accompagnements de type « coaching » visant à un développement des ressources individuelles. Effet pervers de la psychologisation, il s’agit de rendre l’individu plus fort et plus performant en dissolvant la question du travail. Il n’y a pas alors à proprement parler de psychologie du travail mais des dispositifs d’accompagnement et d’adaptation de l’individu à la situation de travail. Détecter et prendre en charge les « fragiles » pour aider leur adaptation, on peut se demander si l’on est-on vraiment sorti du psychologisme avec ce type de prévention des « risques psychosociaux ».

Une autre approche, promue par la clinique de l’activité, consiste au contraire à centrer le débat sur le travail par la discussion autour des règles de métier. Il s’agit ici précisément d’éviter une approche hygiéniste des risques psychosociaux, qui transforme la fragilité des situations en fragilité des personnes. En d’autres termes il faut soigner le travail plutôt que l’individu, reconnecter « bien faire » et « bien être ». Ainsi, quelle que soit l’analyse de la situation de départ, en clinique de l’activité le plan d’action se termine toujours peu ou prou, par la préconisation d’une analyse des pratiques professionnelles autour de l’élaboration vivante des règles de métier entre pairs. Si l’objectif affiché est de retrouver une maîtrise sur sa situation de travail en développant collectivement son pouvoir d’agir, il n’en demeure pas moins que cette hypothétique maîtrise retrouvée reste fondamentalement limitée et temporaire.

Car, quand bien même la direction de l’entreprise accepterait de laisser place à ces temps d’échange en dehors du regard hiérarchique, il ne s’agit là que d’une suspension provisoire du lien de subordination. Sitôt le temps d’échange refermé le salarié retourne à sa situation de travail et aux rapports de pouvoir qui s’y jouent et à la subordination juridique qui le dépasse. L’éventuel pouvoir d’agir retrouvé se heurte à la structure inchangée et globalement inchangeable au dehors. Ainsi dans le meilleur des cas on a souvent l’impression que la montagne de la clinique de l’activité accouche de la souris d’une intéressante discussion entre collègues… avant que tout le monde retourne bosser. Cette situation et ce décalage est d’autant plus remarquable dans les grosses structures de type administration ou des groupes nationaux ou internationaux fonctionnant selon une gestion centralisée.

Face à un tel mur, le risque est une régression du collectif dans un collectif en quelque sorte décollectivisé qui se limite à l’interrelationnel et à des micro-discussions techniques sur les « bonnes pratiques ». Les contraintes liées à la structure globale, aux rapports de domination qui l’organisent, ne pouvant être prises en compte, le social tend à se réduire à de la sociabilité avec un groupe centré… sur le groupe. Et d’un objectif initial de travailler collectivement le travail pour le changer on glisse à une vision normative où il faut évoluer dans ses pensées, dans ses actions pour passer d’un moment où on ne se comprend pas, on ne s’aime pas, à un moment où le « groupe se termine bien », les gens ont évolué et sont plus ouverts à travailler ensemble afin, censément, de mieux vivre la situation de travail. Ainsi, en l’absence de remise en cause possible des structures du travail, ou à tout le moins de lutte en ce sens, on peut se demander si la psychologie du travail ne se retourne pas, là encore, en psychologie de l’adaptation.

On trouvera peut-être que nous sommes injustes avec la clinique de l’activité qui n’est, après tout, pas responsable de l’éventuel mur opposé par la direction des entreprises à toute visée de transformation du travail. Oui et non. Car au-delà des discussions entre pairs une telle approche, telle que conçue par Yves Clot, se propose de « gérer » et prétend dépasser le conflit d’intérêt inhérent à la relation salariale par ce type de dispositif. Pour Yves Clot « l’hostilité » dans les relations salariales en France relèverait selon lui de « l’inachèvement de son système de relations professionnelles », en effort collectif pour définir – à partir de, mais au-delà même de la relation salariale – les critères d’un travail propre, défendable, décent. » C’est ici que l’on ne peut plus suivre la clinique de l’activité telle que promue par Clot. Replacer la souffrance au travail au cœur d’une discussion collective entre pairs et hors présence hiérarchique est une chose, prétendre dépasser le conflit d’intérêt inhérent à la relation salariale par une discussion sur les critères de qualité du travail en est une autre qui relève au mieux d’une naïveté et participe dans tous les cas d’une dépolitisation de la question de la souffrance.

On risque ici de retrouver ce que j’appellerais le « syndrome de l’ergonome ». Là où l’ergonome prend toujours le risque de voir ses propositions d’améliorations techniques récupérées par les détenteurs des moyens de production pour supprimer du personnel et augmenter les cadences, le diagnostic en risques psychosociaux, même avec les meilleures intentions initiales du monde, voit toujours le risque d’être détourné en recettes en vue d’une meilleure adaptation de l’individu aux conditions de production.

Que peut-on en conclure ? Que faire ? La psychologie du travail n’est-elle au final qu’une psychologie de l’adaptation à la situation de travail ou constitue-t-elle malgré tout un nouveau levier de prise de conscience et de lutte pour la santé ?

La lutte collective c’est la santé !

Entre risque d’un retour au « déni » de la souffrance au nom d’une théorie révolutionnaire surplombante et psychologie de l’adaptation à la situation de travail, il nous paraît indispensable de repolitiser la question de la souffrance au travail.

Repolitiser la question de la souffrance au travail, c’est d’abord nommer le système dans lequel elle prend place et s’intensifie. Si, comme le dit Camus, mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde, la première chose à rappeler est que le travail dans notre société capitaliste est dans son immense majorité un travail salarié, basé sur la subordination. S’en tenir là est insuffisant, mais ne rien en dire est suspect et constitue le point aveugle de la psychologie du travail qui s’est développée ces vingt dernières années.

Le discours de Dejours à ce sujet est ambigu. S’il semble bien poser en arrière fond de la banalisation du mal ou de « l’injustice sociale » une logique systémique il paraît dans le même temps ne pas pouvoir ou vouloir l’assumer. Ainsi, évoquant le « progrès de l’injustice en régime libéral » il se refuse dans le même temps à y voir selon ses propres termes « le fait d’une logique endogène propre au système ». Ce faisant, Dejours s’embourbe dans des contradictions en faisant constamment implicitement référence au consentement à un système qu’il ne nomme ni ne définit jamais clairement tout en prenant soin de nier son existence17. L’illustration la plus flagrante de cet embarras sont les circonlocutions employées pour nommer

et éviter dans le même temps ce point aveugle. On pourrait à cet égard faire une compilation des expressions utilisées pour éviter de nommer ledit système : « régime libéral », « machinerie de guerre économique », « système néolibéral », « raison économique », « libéralisme sans entrave », etc. Le même embarras pourrait aisément être relevé chez Clot.

Ce que semblent redouter Dejours ou Clot par-dessus tout est le risque de la démobilisation dans une logique du « triompher ou périr ». Il faut pourtant sortir de cet entre-deux intenable du « ni résignation, ni dénonciation18 ». Si on ne peut que souscrire à un refus d’un « système » conçu comme « fatalité » imposant ses « lois naturelles » dans l’idéologie libérale, la logique même d’intensification du travail est d’une part consubstantielle au système capitaliste notamment dans sa logique d’accroissement constant de la plus-value relative pour parler en termes marxistes. D’autre part, la subordination constitue l’étayage du travail capitaliste. Il n’y a de management, et conséquemment de management pathogène, que sur fond de subordination juridique des salariés, constitutive du procès d’exploitation capitaliste. Nommer ainsi le système ou les logiques qui y sont à l’oeuvre ne signifie nullement les accepter ou se résigner devant l’ampleur de la tâche mais invite à reproblématiser la souffrance et à tracer une direction pour la lutte.

Pour ce faire il faut tout d’abord sortir la question de la souffrance d’une analyse en termes de « risques psychosociaux », tel un environnement toxique, pour la replacer du point de vue de la santé. Il convient ensuite de poursuivre les perspectives ouvertes par la clinique de l’activité sur le pouvoir d’agir pour le poser dans toute sa généralité et sa radicalité, c’est-à-dire en posant la question de la démocratie au travail.

La grille de lecture en termes de risques psychosociaux situe la souffrance à partir d’un risque extérieur « comme s’il s’agissait d’un nuage toxique planant au–dessus de l’entreprise […] qui atteint certains des salariés, en premier lieu bien sûr ceux dont les caractéristiques personnelles les fragilisent19 ». Une telle approche par « l’exposition » des salariés à un « risque » se développe en général dans un projet de le mesurer, la mesure étant la garantie de la « neutralité ».

Il faut renverser cette perspective, la souffrance n’est pas l’effet de l’exposition à un risque mais l’empêchement de la santé. Il convient ici de revenir un peu en arrière et de faire un détour par la pensée de la vie telle que l’a posée le philosophe Georges Canguilhem : la vie n’est ni ajustement à des normes, adaptation à des contraintes extérieures, ni l’infinie répétition du même. Elle est du côté de l’invention des normes, de la création. Ce faisant, la santé est cette capacité à créer et recréer ses propres normes, à agir sur mon environnement : « Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi ». Ainsi selon Canguilhem la santé réside dans l’activité normative d’interaction avec le milieu, et non dans une simple conformité « normale » à un milieu donné.

Comme on l’a vu la clinique de l’activité s’inscrit dans cette filiation en envisageant la santé au travail comme développement des possibles individuels et collectifs. Y. Clot développe le concept de pouvoir d’agir dans le cadre plus spécifique de la santé au travail entendu comme pouvoir d’agir sur le monde et sur soi-même, collectivement et individuellement : « il mesure le rayon d’action effectif du sujet ou des sujets dans leur milieu professionnel habituel, ce qu’on peut aussi appeler le rayonnement de l’activité, son pouvoir de recréation ». Il s’agit au sens propre d’une démarche d’autonomie. A contrario la perte de sens de l’activité par l’hétéronomie du travail la dévitalise, la désaffecte. On est alors en activité sans se sentir actif.

Or, encore faut-il que cette activité d’élaboration collective du travail soit possible c’est-à-dire tout simplement permise. Car qu’est-ce que penser la possibilité de création et recréation des normes d’activité par le collectif et pour le collectif si ce n’est poser la question pleinement politique de la démocratie ?

Les discussions autour des règles de métier ou de l’identité professionnelle censées développer le pouvoir d’agir, comme le promeut la clinique de l’activité, s’inscrivent dans un système organisationnel déjà là. Or, l’organisation n’est pas un simple collectif horizontal : « la notion d’organisation désigne un ensemble structuré de rôles, de rapports de pouvoir, de normes, établi pour répondre à des objectifs de production de biens et de services. Elle recouvre dans cette conception, une série de contraintes et d’obligations avec lesquelles les membres de l’organisation composent pour s’y construire une place et éventuellement en tirer bénéfice » Dans ce cadre assumer le conflit pour définir le « travail bien fait », ce n’est pas seulement confronter et assumer des controverses autour des règles de métier entre pairs, c’est aussi s’affronter aux objectifs de la production définis par l’organisation.

Ainsi sortir d’une vision de la santé comme adaptation au contexte pour une entrée par la qualité du travail qui cherche à créer du contexte rejoint inévitablement la question démocratique dans un monde, celui de l’entreprise, qui en est la négation. Car discuter collectivement du travail et de ses normes c’est déjà commencer à se le réapproprier et donc déposséder ceux qui en sont les détenteurs et ont vocation à décider. Développer l’autonomie c’est développer l’autonomie contre l’hétéronomie de l’organisation. La mise en discussion collective des normes de production est en soi un travail d’institution dans et au-delà des institutions actuelles. Autant dire qu’un tel processus est une lutte et un rapport de force sauf à vouloir à tout prix euphémiser la violence des rapports de production dans le travail capitaliste. C’est ici que le silence de la clinique de l’activité est assourdissant, comme si elle n’osait pas aller au bout de ses propres intuitions.

Pourtant si l’on prend au sérieux ce processus, c’est-à-dire qu’on ne le réduit à une anodine discussion entre pairs, il s’agit bien d’un processus d’auto-institution de la société au sens où Castoriadis emploi cette expression : « la culmination de ce processus est le projet d’instauration d’une société autonome : à savoir une société capable de s’auto-instituer explicitement, donc de mettre en question ses institutions déjà données, sa représentation du monde déjà établie. Autant dire : d’une société qui, tout en vivant sous des lois et sachant qu’elle ne peut vivre sans loi, ne s’asservit pas à ses propres lois ; d’une société donc, dans laquelle la question : quelle est la loi juste ? reste toujours ouverte ».

Dire cela n’est pas se résoudre à la résignation en attendant une hypothétique socialisation des moyens de production et l’avènement d’une société entièrement démocratique par un acte héroïque. C’est au contraire fixer comme perspective de lutte contre la souffrance d’engager d’ores et déjà ce processus de réappropriation. Le travail dès lors qu’il est collectif peut impliquer un espace de subversion des ordres pour produire des règles qui peuvent être mises au service de l’émancipation. Il s’agit de créer et de multiplier les espaces de réappropriation collective du travail avec en ligne de mire la réappropriation de la totalité de l’espace collectif, donc politique, de la production. Le premier plan d’action reste donc l’action et la résistance collective qui se réapproprie le travail, autant que faire se peut, ici et maintenant. Car « une organisation peut aussi se définir comme une mise en commun de ressources individuelles pour permettre la réalisation d’une action collective ».

Là encore nous retrouvons une inspiration de Castoriadis pour qui le collectif est « à la fois un regroupement de production et de lutte. C’est parce qu’ils ont à résoudre en commun des problèmes d’organisation de leur travail, dont les divers aspects se commandent réciproquement, que les ouvriers forment obligatoirement des collectivités élémentaires qui ne sont mentionnées dans l’organigramme d’aucune entreprise. C’est parce que leur situation dans la production crée entre eux une communauté d’intérêts, d’attitudes et d’objectifs s’opposant irrémédiablement à ceux de la direction que les ouvriers s’associent spontanément, au niveau le plus élémentaire, pour résister, se défendre, lutter».

Dans cette perspective l’expertise n’a de sens que si elle est partie intégrante d’un rapport de force. Plus, c’est dire que l’expertise doit elle-même abandonner sa « neutralité », c’est-à-dire sa position experte en surplomb, pour être co-construite avec et pour les salariés en lutte. Sans cela elle sera inévitablement rattrapée par le double écueil qui la guette en permanence entre impuissance et outil de gestion des ressources humaines. À l’inverse de la sous-traitance de l’expertise qui externalise la gestion des risques psychologiques, elle doit également être réappropriée comme savoir collectif.

Il nous paraît donc indispensable de partir de la souffrance… pour mieux la dépasser. La souffrance n’a pas sa valeur en elle-même, elle peut en revanche être principe d’action. Si le déni la concernant participe de la banalisation du mal, on ne peut s’en tenir au compassionnel sous peine de susciter une médicalisation du social par le soin apporté aux plus « fragiles ». Reconnaître sa souffrance, reconnaître celle des autres, doit amener la constitution et la prise de conscience d’un sujet collectif. Elle reste néanmoins une expérience sociale négative infra-politique si elle ne permet pas de poser à nouveaux frais la question de la santé au travail. Il s’agira d’éliminer le négatif par la chasse aux risques psychosociaux, nouvelle extension du domaine des ressources humaines, soustraitée au marché d’une psychologie du travail. Si la gestion des ressources humaines n’est pas assez diligente dans ce domaine il sera alors fait appel aux autorités publiques. Toutes interventions qui laisseront bien sûr intactes le pouvoir de direction des employeurs, l’exploitation et la domination du travail par ceux qui détiennent les moyens de production.

 

Pourtant derrière, ou malgré la souffrance, les travailleurs résistent, continuent à travailler, à faire valoir d’autres critères. Or, c’est précisément ici que la plainte peut devenir savoir et se politiser. Lutter contre le travail pathogène ce n’est pas limiter l’exposition aux risques psychosociaux, c’est se réapproprier le travail et le maintenir collectivement en débat, c’est-à-dire maintenir cette réappropriation vivante. La politisation de la souffrance passe ainsi par la restauration du pouvoir d’agir des collectifs de travail, cette restauration étant elle-même condition du développement de la santé, au-delà la souffrance. C’est qu’ici la santé est plus que l’absence de trouble, elle est force vitale, capacité à agir sur son environnement et non adaptation à celui-ci. Un tel projet est en soi une promesse de subversion de l’ordre capitaliste et de l’hétéronomie qui le constitue. Le contrôle de l’ouvrier sur ses oeuvres et la revendication  de l’autonomie ouvrière retrouvent ici une nouvelle jeunesse.

 

Gilles Gourc

(article paru initialement dans le n°38 de la revue Refractions)