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Rapport LECOQ: sale temps pour la santé au travail

La députée Charlotte Lecocq (LaREM) a remis son rapport sur la santé au travail intitulé «Vers un système simplifié pour une prévention renforcée » le 28 août dernier.
Après la suppression des CHSCT, et la révision au rabais du compte pénibilité, nous n’attendions rien de positif de ce rapport en matière de santé au travail. Et, de ce point de vue, Madame LECOQ ne nous a pas déçus. Un intitulé plus proche de la réalité aurait pu être « Vers un système TRÈS simplifié pour une prévention au rabais ».
Dans les faits, ce rapport propose d’une part de fusionner les différents organismes de prévention et d’autre part de libérer les employeurs d’une série d’obligations. Au-delà une déréglementation généralisée des questions de santé au travail se profile.

« Pilotage » public/agences privées

Le rapport invoque tout d’abord un manque de visibilité et de clarté entre les différents acteurs de la prévention de la santé au travail. La première proposition mise en avant par ce rapport est de fusionner les différents organismes de prévention par la création de guichets uniques régionaux qui réuniraient les services de santé au travail, les représentations régionales de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), les agents chargés de la prévention au sein des Carsat, l’OPPBTP et l’INRS.
Le scénario prévu est celui d’une structure à deux étages.
Au niveau national, un organisme public intitulé « France Santé Travail », placé sous la tutelle des ministères du Travail et de la Santé, concevrait et « piloterait » les programmes de travail à travers le Plan Santé au Travail et contractualiserait ensuite, sur la base d’un cahier des charges national, avec des structures régionales.
Le financement, ou non, dépendra de la contractualisation de ces objectifs par les structures régionales. Ainsi la répartition des dotations sur l’ensemble du territoire pourrait être décidée par la nouvelle structure nationale de prévention. On imagine déjà la course à la valorisation et à l’affichage induite par ce mode de financement.
Derrière la fusion se pose également, et inévitablement, la question des moyens humains dédiés. De fait toutes les institutions citées sont déjà soumises à la diète depuis plusieurs années. On peut facilement imaginer que cette fusion, comme chaque fois qu’il y a fusion, sera l’occasion de continuer à faire des économies.

Refonte du financement

S’agissant du mode financement, c’est la logique assurantielle de la CARSAT qui l’emporte.
Le rapport préconise une cotisation unique pour les employeurs : « Les contributions financières des entreprises pour les structures régionales de prévention et celles concernant l’OPPBTP pour les entreprises qui en relèvent, pourraient être regroupées avec celles des AT-MP au sein d’une cotisation unique “santé travail” directement recouvrée par les Urssaf. »
Sur une base mutualisée, le montant de cette cotisation serait ensuite modulée en fonction des risques spécifiques de l’entreprise et/ou de son « engagement » (c’est-à-dire de son non engagement) en matière de prévention. Il s’agit d’une extension de la logique déjà à l’œuvre aujourd’hui avec la CARSAT.

Vers le contrôle « bienveillant »

Avec toujours la volonté de « clarification » des rôles de chacun, si l’organisme « France santé travail » n’assurera « aucune mission de contrôle », Madame LECOQ semble vouloir que les DIRECCTEs se centrent, elles, sur le contrôle.
Mais quels contrôles ? Sitôt que l’on creuse un peu, cette dernière développe une conception particulière des obligations en matière de santé et sécurité. Car c’est bien l’allergie au contrôle et à la sanction des employeurs qui prédomine dans ce rapport.
Car il faut comprendre ces pauvres patrons, ils vivent dans la terreur d’être contrôlés : « un climat de méfiance entre employeurs et services de contrôle (inspection du travail et Carsat notamment) s’est installé, il en découle une peur pour le chef d’entreprise de solliciter leur avis et donc une relation très faible ». De la même façon ils perçoivent qu’au cours de l’intervention des services de santé au travail et du médecin du travail leur est fait « un procès d’intention qui amène un comportement de contrôle beaucoup plus que de conseil à leur égard ».
Les quelques 600 morts annuel liés aux accidents du travail ? Les maladies professionnelles dont l’augmentation des cancers ? les TMS, l’augmentation des maladies psychiques avec les inaptitudes comme seules portes de sorties ?
Il est notable de constater à cet égard qu’un autre rapport, sur la prévention des risques chimiques rédigé par Paul Frimat, et proposant une série de mesures coercitives vis-à-vis des employeurs pour réduire l’impact des expositions chimiques, n’a lui curieusement jamais été rendu public.
Tout ça ne serait qu’un problème de « confiance », surtout pas de procès d’intention on vous dit !

Les solutions du rapport LECOQ ?

Tout d’abord, à l’heure de la promotion généralisée du management par la « bienveillance », Madame LECOQ promeut le « contrôle bienveillant » bien sûr. Il faut développer une « relation renforcée mais bienveillante, dirigée vers le conseil et l’accompagnement avant contrôle et éventuelles sanctions. »
Ainsi, dans une inversion de responsabilité éhontée Madame LECOQ nous explique que c’est le poids des obligations et des sanctions imposées qui nourrirait le désengagement  des employeurs sur la question de la santé et la sécurité. Page 29 :« Plus gravement, notre système de santé au travail est jugé décourageant car il assimile santé au travail avec contrainte, voire sanction. »
Il faudrait donc tout d’abord rassurer les patrons tétanisés par la terreur des obligations et des sanctions, qui n’oseraient plus bouger alors qu’ils ne demanderaient qu’à bien faire. La recommandation n°4 propose ainsi une approche « valorisante » au lieu « de la seule menace de la sanction ». Allégeons les obligations en matière de santé et les patrons libérés, délivrés s’engageront à fond, et sans qu’il soit besoin de sanctions, dans la promotion de la santé et sécurité de leurs salariés.

Vers une déréglementation de la santé au travail

Ensuite, et surtout, il faudrait libérer les employeurs d’un certain nombre d’obligations réglementaires en matière de santé.
Exit donc le DUER pour les TPE (recommandation n°13), exit également la fiche d’entreprise du médecin du travail. Pour un rapport expliquant qu’il faut « davantage se tourner vers la prévention primaire » de la santé au travail, supprimer le premier outil d’évaluation et de prévention des risques dans l’entreprise, c’est assez énorme mais Madame LECOQ ose tout.
Au-delà même des TPE, le rapport propose d’en finir avec la logique même du DUER, c’est-à-dire une évaluation exhaustive des risques liées à l’activité réelle de l’entreprise et par unités de travail, en se contentant d’un « plan d’action » concernant « les populations les plus exposées aux principaux risques de leur profession, assorti d’indicateurs de progrès aisément vérifiables ». Tout ceci « dans un souci d’efficacité et d’effectivité » afin « de desserrer la contrainte du formalisme du document unique exhaustif d’évaluation des risques » (p.35). Qui va décider quelles sont les populations exposées et selon quels risques ? Le rapport ne répond pas, il y a de quoi s’inquiéter…
Poursuivant cette logique de déréglementation la recommandation n°14 propose de « proportionner les obligations et les moyens à déployer dans les entreprises en fonction de leur spécificité et des risques effectivement rencontrés par les salariés. »
Cette proposition ressemble furieusement a une volonté d’étendre la déréglementation mise en place par les ordonnances des lois travail I et II, au nom du « dialogue social », aux questions de santé et sécurité.
En effet, p.35 la mission « se pose la question de l’opportunité d’appliquer à la santé et sécurité au travail la logique du rapport de Jean Denis Combrexelle opérant une distinction entre ordre public, champ de la négociation et droit supplétif ». Les entreprises pourraient décider décider elles-mêmes des mesures de sécurité « à la condition qu’il soit d’une efficacité équivalente. A défaut, les décrets seraient applicables à titre supplétif. ». On imagine très bien les employeurs considérer que le travail au harnais est d’une « efficacité équivalente » à la protection collective ; attendrons-nous alors l’accident du travail pour pouvoir démontrer l’inverse ? Belle logique de prévention !
Plus loin, le rapport explique qu’il faut « revisiter […] la réglementation pour la faire évoluer vers une simplification et une recherche d’efficacité réelle » et ouvre clairement la boîte de pandore en proposant de moduler les obligations en matière de santé et sécurité en fonction de la négociation et des effectifs de l’entreprise. Ainsi au sujet du champ d’intervention de l’inspection du travail, on peut lire page 91 :
« Dans un contexte où les règles sociales sont de plus en plus déterminées par la négociation, et compte tenu d’effectifs limités, elle pourrait resserrer son champ d’intervention sur le respect de l’ordre public, en particulier dans le domaine de la santé au travail, à l’instar des systèmes d’inspection des pays d’Europe du Nord. »
La dépénalisation, que nous avons déjà connue pour toutes les matières contraventionnelles, pointe ici le bout de son nez puisque le rapport enchaîne sur la promotion du « recours à des sanctions administratives fléchées sur des thèmes prioritaires, assorties à l’obligation de mise en œuvre d’un plan d’action dans l’entreprise ».
Poursuivant une évolution qui a cours depuis plusieurs années, la vision de la santé au travail promue par ce rapport glisse d’une démarche de prévention des risques vers une logique de gestion des risques professionnels selon une logique toute libérale et assurantielle de type bonus/malus.
De ce point de vue le rapport entérine également une inclination récente de la chambre sociale de la Cour de cassation favorable aux employeurs. Ces derniers ne seraient plus soumis à une « obligation de sécurité de résultat » en matière de santé au travail, mais à une « obligation de moyens ». « L’obligation de sécurité de résultat, poussée à l’extrême, décourage la prévention », estime le rapport Lecocq.
Il ressort de la lecture du rapport l’impression que l’idée sous-jacente n’est pas la protection des travailleurs mais la prévention des risques juridiques des employeurs.
Si nous voulons éviter ce grand bond en arrière, il faut la mobilisation de tous : acteurs de la santé au travail, salariés et organisations syndicales. Nous n’obtiendrons que ce nous gagnerons tous ensemble, par la lutte.
 
Le tract en pdf: Rapport Lecoq – sale temps pour la santé au travail

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Violences sexuelles et sexistes au travail : une nécessité d'agir au sein même de notre Ministère !

Nos organisations syndicales ont lancé en novembre dernier une campagne contre les violences sexistes et sexuelles subies par les femmes au Ministère du travail. Le constat : si l’omerta se brise peu à peu dans le débat public, les victimes restent nombreuses, et aucune réaction satisfaisante n’est exprimée par le gouvernement.
Concernant notre Ministère : aucun élément statistique précis sur la question, notre direction n’ayant jamais jugé pertinent de diligenter des enquêtes sur le sujet. Nous avons donc décidé de donner la parole aux femmes, à travers un questionnaire mis en ligne : pour permettre à chacune de s’exprimer, faire un état des lieux, montrer que nos services ne sont pas épargnés et que des mesures de prévention doivent être prises ici comme ailleurs.
Il s’agit par ce biais pour nos syndicats de traiter et prendre en charge cette question professionnelle, sociétale et politique des violences subies par les femmes.

Que révèlent les réponses au questionnaire?

Signe que la question intéresse et interroge : 564 réponses ont été apportées au questionnaire.
En outre, au-delà des réponses apportées aux questions (résultats les plus significatifs ici ; tous les résultats sur les sites Internet de nos syndicats respectifs), de nombreux témoignages précis ont été recueillis. Ces témoignages, que nous avons fait le choix de ne pas publier pour garantir l’anonymat des répondantes, mettent en lumière des situations de sexisme décomplexées et l’existence d’agressions sexuelles, dans les services mais aussi à l’INTEFP.
Ces chiffres, équivalents à ceux que l’on retrouve dans les enquêtes plus larges[1. Notamment l’enquête du CSEP sur le sexisme de 2016], montrent que le sexisme est présent de façon importante dans notre Ministère, comme ailleurs.

Sur les agissements sexistes dans nos services?

Près de 70% des agentes répondent qu’elles entendent ou ont entendu des blagues sexistes ou sexuelles de façon récurrente.
47,8% des agentes se sont vues imposer des propos sur leur apparence ou leur vie personnelle qu’elles ne souhaitaient pas entendre.
72,5% des agentes déclarent avoir déjà entendu des préjugés sur les femmes.
Si certaines agentes affirment que les propos entendus sont dits sur le ton de la plaisanterie, sans malveillance et sans que cela ne les dérange, la plupart des répondantes témoignent de propos récurrents et dévalorisants en raison de leur sexe :
Jugements et commentaires sur l’apparence physique: De la part d’un chef, « j’aime bien que tu viennes me voir avec une mini-jupe », « ben dis donc t’as une jupe ras la moule » ; de la part d’un Directeur de stage : « je vais prendre la nouvelle stagiaire, celle qui a de jolis yeux. »
Préjugés sur le rôle et les compétences des femmes: « c’est aux femmes de faire le café », « une femme avec des enfants en bas âge ne peut pas être disponible pour le travail », « tiens, puisque tu es la seule femme présente, tu feras le compte-rendu du groupe de travail », « les femmes ont l’intelligence dans leur soutien-gorge », « t’es pas trop con pour une gonzesse »,  un chef de service qui se dit dévalorisé de n’avoir que des femmes dans son service…
Surnoms dévalorisants: « pompom girls » pour désigner les agentes, « ma belle », « petite nana »…
Plusieurs témoignages sur le fait que lorsqu’on s’offusque de blagues ou propos sexistes, on a invariablement droit à des remarques supplémentaires sur notre manque d’humour, ou le fait qu’on serait coincées, ou que la réaction est disproportionnée ou violente.

Sur les violences sexuelles?

5 % des répondantes indiquent que la pornographie est présente sur leur lieu de travail.
25,6 % des agentes ont déjà vécu une ou plusieurs situations d’attitudes insistantes et gênantes (« Le directeur de l’époque m’a proposée de coucher avec lui pour devenir inspecteur du travail »), et 21,7% d’entre elles signalent que quelqu’un a eu envers elles des gestes non désirés.
20 % des agentes témoignent avoir été victimes d’avances sexuelles non souhaitées.
53 agentes déclarent avoir subi des attouchements sur les seins, les fesses ou les cuisses, dans le cadre de leur travail.
« J’ai été victime d’une agression sexuelle sur mon lieu de travail, de la part d’un collègue qui m’a plaquée un soir contre le mur du bureau, m’a caressée et a essayé de m’embrasser ; « un DA m’a embrassée sur la main puis est remonté jusqu’à l’épaule alors que j’étais au tél avec un usager ».
3 agentes déclarent avoir subi un viol.
Ces chiffres et les témoignages très nombreux recueillis ne peuvent être regardés comme négligeables ; ils doivent amener le Ministère à définir enfin une véritable politique de prévention afin que les femmes cessent de subir de telles violences dans le cadre de leur travail.

Sur leur traitement et les suites données au sein de nos services?

Il ressort des réponses que dans la majorité des cas, malgré les conséquences sur leurs conditions de travail et leur vie personnelle, les agentes se taisent (33,5% n’en ont parlé à personne au sein des services, et seulement 13,7 % en a informé sa hiérarchie) ; elles ne demandent pas le bénéfice de la protection fonctionnelle (elle n’a été mise en œuvre que dans 2,8% des cas), et ne déclarent pas d’accident de service (c’est le cas de 99,1% des répondantes), par crainte sans doute de ne pas être entendues et/ou par méconnaissance de leurs droits.
Et quand elles le font… elles notent l’absence de réaction des directions contre les auteurs des agissements. En effet, seules 2,8% des agentes déclarent que les agissements qu’elles ont subis ont donné lieu à sanction disciplinaire de leur auteur.
Enfin, les agentes estiment, dans leur grande majorité, à près de 67,5%, qu’elles sont insuffisamment informées par le Ministère sur leurs droits et démarches.
Il est temps de combattre pour nos droits !

Nos syndicats exigent l’application immédiate dans nos services des textes existant dans la fonction publique[2. Protocole d’accord de 2013 relatif à l’égalité professionnelle femmes-hommes, circulaires du 4 mars 2014 relative à la lutte contre le harcèlement et du 22 décembre 2016 relative à l’égalité professionnelle ; la DGAFP va très prochainement publier une nouvelle circulaire « Lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans la fonction publique », accompagnée de Fiches-réflexes sur la Lutte contre le harcèlement sexuel], et revendiquent en particulier :

  • Des notes de service précisant les procédures à suivre si un cas de sexisme ou de harcèlement survient, incluant une enquête, traitée sans retard en cas de plainte ainsi que des sanctions si les agissements sont établis.
  • La formation des agent.es à ne plus subir et à dénoncer ces propos et agissements.
  • La formation adéquate des responsables hiérarchiques. Ces formations devront être dispensées par des associations féministes.
  • La garantie pour les victimes de bénéficier de protections : soutien et, si nécessaire, aide à leur maintien et leur retour dans l’emploi ainsi que, en premier lieu, protection de leur plainte ou témoignage.
  • L’effectivité de la protection fonctionnelle dans les cas de harcèlement sexuel.
  • Une politique de prévention à soumettre au CHSCT.

Et l’affirmation sans concession que le sexisme est une violence  faite aux femmes qui ne sera aucunement toléré dans les services !
Pour agir contre ces violences, nos organisations syndicales ont par ailleurs décidé de mettre en place un réseau de syndicalistes référentes sensibilisées sur ces questions, que vous pouvez saisir au besoin (pour un conseil, un soutien, une demande d’intervention…) :
Lien sur le site de la CGT-TEFP : http://cgt-tefp.fr/reseau-violences-sexuelles-sexistes
Lien vers le site de la CNT-TAS : https://www.cnt-tas.org/contact/
Lien vers le site de SUD-TAS : http://www.sud-travail-affaires-sociales.org/spip.php?article843


L’action contre les violences faites aux femmes au travail fait partie de nos missions : nous revendiquons des moyens!

Et dans les entreprises, qu’en est-il de la situation des femmes ? A la suite de la formidable libération de la parole des femmes à laquelle nous avons assisté à l’automne dernier, le gouvernement s’est vu obligé d’annoncer que la lutte contre les violences faites aux femmes serait une priorité nationale en 2018, et a lancé, à grand renfort médiatique, le 5ème plan interministériel de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes 2017-2019.
Parmi les mesures listées dans ce plan, figure pour nos services, la formation et/ou sensibilisation des agent.es de contrôle, sur la question des agissements sexistes et du harcèlement sexuel.
Cette mesure, si elle est pour nous indispensable (nos organisations syndicales l’ont d’ailleurs revendiqué dans la lettre ouverte adressée à la Ministre en octobre dernier – lettre restée à ce jour sans réponse), risque pourtant de s’avérer insuffisante et rester de l’ordre du pur affichage si elle se limite à des actions de sensibilisation à destination des agent.es.
Il est en effet indispensable que les agent.es de contrôle soient formé.es tant en matière de traitement des plaintes que de méthodologie d’intervention et d’enquête sur les cas de violences sexistes et sexuelles au travail, et que l’INTEFP construise en urgence un réseau de formatrices et formateurs sur le sujet, formés par des professionnel.les de référence, telle que l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT).
Une formation/sensibilisation doit également être dispensée à tout.es les agent.es au contact du public, et placé.es en situation d’accueillir des femmes victimes de harcèlements et agressions sexuelles et de recueillir des plaintes (accueil, services de renseignements, services emploi,…).

En plus de ces exigences de formation des agent.es, nos organisations syndicales demandent un plan d’actions ambitieux, intégrant au moins les points suivants.

Amélioration de la coopération des services sur ces questions avec ces professionnel.les et associations spécialisées et institutionnaliser ces partenariats.
Renforcement de l’expertise des agent.es des services, notamment en diffusant des documents juridiques, d’information et de méthode, des annuaires, etc. comme cela se fait sur l’ensemble des autres sujets et en désignant, au niveau national et/ou régional, des agent.es formé.es pouvant être des appuis sur ces problématiques.
Extension des prérogatives et moyens d’actions des inspecteur.rices du travail : possibilité de notifier en propre des mises en demeure pour non-respect par l’employeur des principes généraux de prévention ; pouvoir d’imposer une expertise par le biais d’une mise en demeure ; possibilité en cas de saisine d’une plainte circonstanciée de soustraire les salariées pour lesquelles un risque sérieux d’atteinte à l’intégrité physique ou morale existe,…
Enfin, parce qu’il est totalement illusoire de prétendre renforcer la mobilisation et la lutte contre les violences faites aux femmes au travail dans le contexte actuel de suppressions massives de postes, nos organisations syndicales revendiquent l’arrêt du plan social en cours au sein du Ministère du travail, et exigent des recrutements à hauteur des besoins des usagers et usagères.
 
Le tract en pdf : tract analyse questionnaire violences sexistes et sexuelles au Ministère du travail
 
Le détails des résultats du questionnaire : résultats questionnaire violences sexuelles et sexistes au Ministère du travail

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La lutte c'est la santé ! Pour une politique de la souffrance.

La lutte c’est la santé !

Pour une politique de la souffrance

Dossier

« Rappelle-toi surtout, pendant ces années de souffrances

trop dures, de quoi tu souffrais le plus. Tu ne t’en rendais

peut-être pas bien compte, mais si tu réfléchis un moment,

tu sentiras que c’est vrai. Tu souffrais surtout parce

que lorsqu’on t’infligeait une humiliation, une injustice,

tu étais seul, désarmé, il n’y avait rien pour te défendre. »

Simone Weil, « Lettre ouverte à un syndiqué », La Condition ouvrière, 1951

« Car on ne peut accepter la vie qu’à la condition

d’être grand, de se sentir à l’origine des phénomènes,

tout au moins d’un certain nombre d’entre eux.

Sans puissance d’expansion, sans une certaine domination

sur les choses, la vie est indéfendable. »

Artaud, L’Ombilic des Limbes

Le thème de la souffrance au travail émerge dans le débat public français à la fin des années 1990. Auparavant volontiers marginalisé ou souffrant même d’un déni, il s’impose alors progressivement au point de devenir incontournable.

Dans le champ scientifique de nombreuses productions vont voir le jour et de nouvelles disciplines vont apparaître et s’affirmer en pensant à nouveaux frais une psychopathologie du travail. Dans le champ politique, le législateur va notamment consacrer la souffrance au travail comme préoccupation publique par l’inscription et la répression dans la loi du harcèlement au travail. Suivant ce mouvement les tribunaux se sont saisi du thème et ont développé une riche jurisprudence devant la multiplication des contentieux. La souffrance est désormais devenue un « risque » à part entière et l’évaluation et la prévention des risques telle que prévue par le Code du travail a intégré la santé mentale à côté des traditionnels risques physiques. À tel point qu’évaluer les dits « risques psychosociaux » est devenue une tarte à la crème de quasiment toute entreprise.

Doit-on en conclure que la souffrance au travail est désormais prise au sérieux et qu’un grand consensus national se serait imposé jusque dans les entreprises pour rechercher le bien-être des salariés ?

Rien n’est évidemment moins sûr… L’évocation, pour ne pas dire l’incantation, de la prise en charge des risques psychosociaux semble désormais relever d’une figure de style, passage obligé, supplément d’âme de la perpétuation de l’exploitation et de la domination. Car si le capitalisme a su intégrer le thème de la souffrance, il semble que ce soit précisément en en désamorçant la charge explosive qui aurait pu mettre en question les rapports de domination qui en sont constitutifs.

Ainsi, plus de 15 ans après l’émergence et l’installation du thème de la souffrance au travail, un sentiment mitigé voire de dépit semble gagner nombre d’acteurs et de professionnels amenés à rencontrer et prendre en charge la souffrance au travail. La souffrance n’a pour ainsi dire jamais disparu et ne semble même pas en voie de décrue tant l’intensification du travail et ses effets pathogènes semblent continuer envers et contre tout.

Comment comprendre et envisager cet échec au moins partiel ? La psychologie du travail a-t-elle manqué son objet ?

C’est partant de ce constat et des interrogations qu’il suscite que nous voudrions ici reprendre ce thème, non pour nier les importants apports théoriques des différents travaux en psychologie du travail dans la pensée de la souffrance ces dernières années, mais pour reposer la question de la souffrance comme question pleinement politique.

Intégrer la souffrance à la lutte

Sortir du déni

L’émergence de la souffrance au travail dans le débat public s’est initialement construite autour de deux livres en particulier ayant eu un grand retentissement à leur parution en 1998 : Le harcèlement moral de Marie-France Hirigoyen, et Souffrance en France de Christophe Dejours.

Le premier est centré autour de la figure du pervers narcissique. Ce faisant, l’ouvrage ne parle pas spécifiquement des situations de travail et de leur éventuel caractère pathogène mais se borne à constater la possibilité de l’expression de la personnalité perverse dans la sphère professionnelle. Un chapitre est alors consacré au travail et à la dégradation des relations de travail sous l’angle des conditions favorables à l’expression de la perversité ». Au rang de ces « conditions favorables », Marie-France Hirigoyen évoque tour à tour la menace du chômage, la concurrence acharnée entre salariés, l’augmentation des contraintes et l’intensification du travail qui en découle.

L’ouvrage semble néanmoins souffrir de la fermeture de son objet initial tout en cherchant dans le même temps à le dépasser. Évoquant dans un premier temps « l’entreprise qui laisse faire » le pervers, il développe ensuite son propos vers « l’entreprise qui encourage les méthodes perverses » et envisage l’éventualité d’un harcèlement managérial tout en n’employant pas expressément cette expression. Mais précisément s’agit-il encore de perversion quand on constate que l’organisation du travail produit une intensification du travail, une compétition entre salariés avec leurs corollaires de stress et de peur ? De plus si « le pouvoir constitue une arme terrible lorsqu’il est détenu par un individu (ou un système) pervers », pourquoi ne pas intégrer la subordination, constitutive de la relation de travail au sein de l’entreprise capitaliste, au rang des « conditions favorables » ? Reste que cet ouvrage a en son temps constitué un puissant révélateur de la dégradation des situations et des relations de travail. Il a également contribué à sortir nombre de « victimes » du sentiment de l’isolement en se reconnaissant dans les situations décrites. Signe de ce succès le pouvoir politique finira par introduire la notion de harcèlement moral dans la loi en 2002.

Autre est le projet de Christophe Dejours qui prend comme objet explicite de son analyse la souffrance au travail et le « consentement » à cette souffrance. Il s’agit là d’un « retournement épistémologique », retournement initié dans son ouvrage Travail, usure mentale (1990), qui redéfinit l’objet de la recherche en psychopathologie du travail, la souffrance au travail, comme « souffrance compatible avec la normalité ».

Ce faisant le projet est double : partir de la souffrance au travail comme ressort du consentement à la « banalisation du mal » à travers des « stratégies de défense » ; mais également comme point de départ d’une résistance possible. Pour ce faire il s’agit de commencer par sortir du déni. Le déni c’est d’abord celui des organisations politiques et syndicales. Dejours voit dans la désyndicalisation une cause mais aussi un effet de la tolérance à la souffrance d’autrui. Dans les années 70 l’influence d’un certain marxisme, qui a tôt fait de qualifier de « petit bourgeois » tout ce qui a trait à la subjectivité, a fait négliger la thématique de la souffrance eu travail. « Supposées antimatérialistes, ces préoccupations sur la santé mentale étaient suspectes de nuire à la mobilisation collective et à la conscience de classe ».

L’ouvrage fixe donc un cadre et un objectif : ne pas nier la souffrance subjective au travail et intégrer cette dimension à la lutte collective. Il faut pour cela relégitimer la parole sur la souffrance contre ceux qui la rangeraient au rang de la sensiblerie. À cet égard Dejours écrit de très belles pages sur l’usage de la virilité comme forme dévoyée du courage dans le travail. Le courage viril passe par l’apprentissage de la soumission volontaire et la capacité à infliger la souffrance à autrui. Il faut ainsi repenser un courage qui prend le risque de désobéir et d’être exclu de la communauté des forts et des virils en s’opposant à la banalité du mal.

Le projet initié est ainsi de promouvoir une véritable clinique5 du travail qui pense la personne en situation. Il va donner lieu à l’apparition de plusieurs disciplines telle la psychodynamique du travail chez Dejours mais aussi la clinique de l’activité chez Yves Clot.

Derrière la souffrance individuelle, le travail dégradé

Dans cette clinique du travail l’attention à la souffrance individuelle n’est pas une fin, elle doit d’abord nous permettre de retrouver et de réaffirmer le travail dans sa dimension collective. Derrière cette souffrance individuelle on retrouve un travail dégradé qu’on pourrait caractériser comme une « contrainte à mal travailler ». Être contraint de mal faire son travail, de le bâcler, de tricher même pour satisfaire un mensonge institutionnel sur fond de déni du réel est une source de souffrance majeure. Celle-ci s’est notamment développée du fait de l’intensification du travail observée ces dernières années ; intensification qui touche aussi bien les services, l’industrie que les administrations. On assiste notamment au retour d’un néofordisme dont le lean management n’est que le dernier avatar. Il faut souligner à cet égard le caractère peu original du lean management malgré le flot de novlangue qui entoure sa promotion. Il s’agit là encore du vieux projet totalitaire d’endiguer l’énergie, de capturer la pensée libre, de contrôler temps et mouvements pour se tenir dans le cadre institué. Les mêmes causes produisent les mêmes effets pathogènes…

Ce retour d’un néo-taylorisme est d’autant plus remarquable qu’il s’accompagne dans le même temps d’une injonction paradoxale à l’autonomie et à la prise de responsabilité. On valorise les « compétences » individuelles (au détriment des qualifications renvoyant à un statut) avec son corollaire d’entretiens individuels d’évaluation censés les mesurer et pour l’atteinte d’objectifs prédéfinis. Chacun est sommé d’être entrepreneur de sa vie et est renvoyé vers ses ressources

propres dans l’illusion d’une détermination de soi par soi… et en concurrence avec tous les autres. Et ce alors même que les travailleurs ne maîtrisent ni les moyens ni les objectifs de la production. Ainsi « à la prescription de l’activité du taylorisme et la dissociation du geste qu’il impose succèdent (s’ajoutent) aujourd’hui la prescription de la subjectivité et le déni de la contribution subjective des salariés à la vie des organisations ». Ce phénomène d’individualisation dans le travail détruit les collectifs, les capacités d’actions des syndicats en amenant de la désolidarisation généralisée.

De ce point de vue la prégnance de la référence au « stress » dans le monde du travail témoigne du décalage croissant entre l’augmentation des exigences et la réduction des ressources collectives mobilisables. La souffrance émerge alors d’un développement empêché, d’une amputation du pouvoir d’agir sur fond de collectif en miettes.

À cet égard on peut tenter de faire se rejoindre les travaux de Dejours en psychodynamique du travail et ceux de Clot en clinique de l’activité. Là où la psychodynamique du travail insiste sur le dysfonctionnement de la dynamique de reconnaissance par autrui comme facteur de souffrance, Clot va centrer son propos sur le pouvoir d’agir face à son éventuelle amputation. Ce dernier insiste en particulier sur la nécessité de prendre en compte l’activité empêchée comme dimension fondamentale du travail réel.

On peut néanmoins faire se rapprocher les deux perspectives à travers la question de l’identité au travail. Être reconnu c’est aussi en dernier recours et fondamentalement se reconnaître soi dans son propre travail. L’impossibilité du travail bien fait empêche cette reconnaissance. Le sujet ne peut se reconnaître dans le travail qu’on lui fait faire, l’activité perd son sens. Il est devenu comme étranger à sa propre vie. On retrouve ici la problématique classique de l’aliénation. Or le renoncement au travail bien fait, aux valeurs qui guident l’investissement dans une activité professionnelle a un coût psychique très lourd. « Quand la confrontation sur la qualité du travail est devenue impraticable, suractivité et sentiment d’insignifiance forment un mélange “psychosocial” explosif ». Des personnes qui souhaitent travailler dans les règles de l’art se heurtent à des conflits de critères qui renvoient à des conflits de valeur. Ces conflits de critères refoulés, parce que non discutés et non discutables, viennent s’enkyster dans le corps et la tête de chacun et la dégradation du travail vient dégrader la construction de sa propre identité au travail. Cette perte d’identité est personnelle mais aussi collective puisque les repères de métiers élaborés par le collectif de travail se trouvent disqualifiés. C’est sur fond de ce mélange morbide entre travail désaffecté et surinvestissement dans le travail que l’absence de reconnaissance par autrui, et au premier rang l’absence de reconnaissance managériale, devient la goûte d’eau qui fait déborder le vase.

Lutter contre ce travail pathogène ne signifie donc pas poursuivre, dans une fuite en avant, une reconnaissance hiérarchique foncièrement aléatoire et qui peut se retourner contre la qualité du travail lui-même. Il s’agit avant tout de retrouver du pouvoir d’agir sur son activité pour réenclencher une dynamique vertueuse de construction de son identité et d’accomplissement de soi. Au-delà, le travail permet au sujet de s’inscrire dans une histoire collective, celle de la réorganisation de la tâche par les collectifs professionnels, d’un travail d’organisation du collectif et de construction d’une identité professionnelle qui ne se confond pas avec le prescrit de l’organisation.

…repolitiser la souffrance au travail

Le risque persistant du psychologisme et la tarte à la crème des risques psycho-sociaux

L’apport majeur des travaux en clinique du travail est de sortir la question de la souffrance au travail du « psychologisme ». Par psychologisme j’entends une appréhension de la souffrance dans laquelle « les conflits sociaux peuvent être déplacés sur le plan des problèmes psychiques, autrement dit peuvent accabler l’individu sous la forme d’une affaire privée ».

Le développement spécifique d’une psychologie du travail est ainsi un apport indéniable d’un point de vue théorique en ce qu’elle permet d’analyser et de décrypter les ressorts d’une souffrance au travail par le travail ; elle est aussi un outil de résistance possible, notamment pour les syndicats qui se sont emparé à différents degrés du sujet. De ce point de vue la phase du déni initialement dénoncée par Dejours a été dépassée.

Reste à se pencher sur les résultats obtenus et les réactions institutionnelles. Disons le tout de suite, si l’on en croit les auteurs cités, les résultats ne sont pas reluisants. De fait dans la préface à la réédition de Souffrance en France, Christophe Dejours note que « dix ans plus tard […] la situation s’est aggravée, parce qu’aucune mesure n’a été prise en France ni à l’étranger pour favoriser, en matière d’organisation du travail, les choix qui pourraient être nettement moins délétères pour la santé mentale ». Même constat chez Yves Clot qui relève dans Le travail à cœur publié en 2010 que « selon les différentes enquêtes les Français sont très peu satisfaits, et même parmi les moins satisfaits du travail en Europe […] la situation française semble même se dégrader ».

Si l’on se situe du point de vue des mesures prises visant la répression de comportements pathogènes au travail, la thématique du harcèlement, comme nous l’avons déjà noté, a abouti au vote d’une loi le réprimant. Mais ce vote n’a pu se faire qu’à la faveur d’une double dépolitisation. D’une part au travers d’une reformulation légale des conflits professionnels en conflits interpersonnels ; d’autre part et corrélativement en éludant la question de la subordination. Tel qu’il est défini par le code du travail le harcèlement est aussi bien horizontal que vertical, descendant qu’ascendant. On trouve d’ailleurs régulièrement des employeurs ou des cadres pour nous expliquer qu’ils sont harcelés par leurs salariés ou des syndicalistes.

Certes il convient de moduler quelque peu le propos puisque le développement et l’évolution d’une jurisprudence sur le sujet a pu ponctuellement intégrer et condamner des formes de harcèlement managérial ; harcèlement managérial qui affirmait en creux la dimension collective du travail et la subordination juridique des salariés. Il n’en reste pas moins que la loi sur le harcèlement reste bornée par la problématique de départ qui l’a vue naître, à savoir une pathologisation du harcèlement dans la figure du pervers et une dichotomie pénale habituelle interpersonnelle : coupable/victime. Cette loi n’a à cet égard pas pleinement permis une sortie du psychologisme.

Qu’en est-il du côté de la prévention ?

On a vu tout d’abord se développer dans la sphère du travail des dispositifs de prise en charge de la souffrance sous l’angle traumatique. Ce modèle est une importation des différents dispositifs de prise en charge de la victime de type cellule d’écoute ou soutien psychologique. Initialement conçus pour les victimes de catastrophe, ces derniers ont peu à peu été intégrés à l’entreprise en guise de supplément d’âme du traitement de la souffrance au travail. Ils demeurent alors situés au niveau du traitement du symptôme et déconnectés d’une vision de transformation des situations de travail. « La lutte contre la souffrance au travail consiste en de l’orthopédie psychologique à visée adaptative qui réduit la subjectivité à un objet de prescriptions censée restaurer le “bien être” au travail ». Prévention dite tertiaire en ce qu’elle vise à traiter le malade afin de le réadapter en vue de son retour.

En amont d’un tel traitement des conséquences pour les salariés déjà en rupture un traitement des causes est préconisé dans le cadre d’une prévention primaire. La souffrance au travail est ainsi devenue un risque parmi d’autres à évaluer et à prévenir. Les risques psychosociaux prennent désormais place à côté des risques physiques (risque chimique, biologique, mécanique…). C’est ainsi que s’est développé un véritable marché du diagnostic et de l’expertise en risques psychosociaux à qui l’on sous-traite bien souvent l’analyse. Une fois le diagnostic réalisé, celui-ci est censé enclencher un plan d’action. Une telle affirmation pour évidente qu’elle paraisse ne l’est pourtant pas, tant pour beaucoup d’employeurs la réalisation dudit diagnostic tient lieu de plan d’action qui se suffirait à lui-même. Un plan d’action donc, oui, mais lequel ?

Les fameux « plan d’action » tournent la plupart du temps autour de deux types de mesure.

Tout d’abord des dispositifs qu’on pourrait qualifier de renforcement de l’individu, au même titre qu’un renforcement musculaire. Au-delà et en amont du traitement des traumatismes de salariés déjà en rupture, on a vu ainsi fleurir des stages de gestion du stress ou, pour les cadres essentiellement, des accompagnements de type « coaching » visant à un développement des ressources individuelles. Effet pervers de la psychologisation, il s’agit de rendre l’individu plus fort et plus performant en dissolvant la question du travail. Il n’y a pas alors à proprement parler de psychologie du travail mais des dispositifs d’accompagnement et d’adaptation de l’individu à la situation de travail. Détecter et prendre en charge les « fragiles » pour aider leur adaptation, on peut se demander si l’on est-on vraiment sorti du psychologisme avec ce type de prévention des « risques psychosociaux ».

Une autre approche, promue par la clinique de l’activité, consiste au contraire à centrer le débat sur le travail par la discussion autour des règles de métier. Il s’agit ici précisément d’éviter une approche hygiéniste des risques psychosociaux, qui transforme la fragilité des situations en fragilité des personnes. En d’autres termes il faut soigner le travail plutôt que l’individu, reconnecter « bien faire » et « bien être ». Ainsi, quelle que soit l’analyse de la situation de départ, en clinique de l’activité le plan d’action se termine toujours peu ou prou, par la préconisation d’une analyse des pratiques professionnelles autour de l’élaboration vivante des règles de métier entre pairs. Si l’objectif affiché est de retrouver une maîtrise sur sa situation de travail en développant collectivement son pouvoir d’agir, il n’en demeure pas moins que cette hypothétique maîtrise retrouvée reste fondamentalement limitée et temporaire.

Car, quand bien même la direction de l’entreprise accepterait de laisser place à ces temps d’échange en dehors du regard hiérarchique, il ne s’agit là que d’une suspension provisoire du lien de subordination. Sitôt le temps d’échange refermé le salarié retourne à sa situation de travail et aux rapports de pouvoir qui s’y jouent et à la subordination juridique qui le dépasse. L’éventuel pouvoir d’agir retrouvé se heurte à la structure inchangée et globalement inchangeable au dehors. Ainsi dans le meilleur des cas on a souvent l’impression que la montagne de la clinique de l’activité accouche de la souris d’une intéressante discussion entre collègues… avant que tout le monde retourne bosser. Cette situation et ce décalage est d’autant plus remarquable dans les grosses structures de type administration ou des groupes nationaux ou internationaux fonctionnant selon une gestion centralisée.

Face à un tel mur, le risque est une régression du collectif dans un collectif en quelque sorte décollectivisé qui se limite à l’interrelationnel et à des micro-discussions techniques sur les « bonnes pratiques ». Les contraintes liées à la structure globale, aux rapports de domination qui l’organisent, ne pouvant être prises en compte, le social tend à se réduire à de la sociabilité avec un groupe centré… sur le groupe. Et d’un objectif initial de travailler collectivement le travail pour le changer on glisse à une vision normative où il faut évoluer dans ses pensées, dans ses actions pour passer d’un moment où on ne se comprend pas, on ne s’aime pas, à un moment où le « groupe se termine bien », les gens ont évolué et sont plus ouverts à travailler ensemble afin, censément, de mieux vivre la situation de travail. Ainsi, en l’absence de remise en cause possible des structures du travail, ou à tout le moins de lutte en ce sens, on peut se demander si la psychologie du travail ne se retourne pas, là encore, en psychologie de l’adaptation.

On trouvera peut-être que nous sommes injustes avec la clinique de l’activité qui n’est, après tout, pas responsable de l’éventuel mur opposé par la direction des entreprises à toute visée de transformation du travail. Oui et non. Car au-delà des discussions entre pairs une telle approche, telle que conçue par Yves Clot, se propose de « gérer » et prétend dépasser le conflit d’intérêt inhérent à la relation salariale par ce type de dispositif. Pour Yves Clot « l’hostilité » dans les relations salariales en France relèverait selon lui de « l’inachèvement de son système de relations professionnelles », en effort collectif pour définir – à partir de, mais au-delà même de la relation salariale – les critères d’un travail propre, défendable, décent. » C’est ici que l’on ne peut plus suivre la clinique de l’activité telle que promue par Clot. Replacer la souffrance au travail au cœur d’une discussion collective entre pairs et hors présence hiérarchique est une chose, prétendre dépasser le conflit d’intérêt inhérent à la relation salariale par une discussion sur les critères de qualité du travail en est une autre qui relève au mieux d’une naïveté et participe dans tous les cas d’une dépolitisation de la question de la souffrance.

On risque ici de retrouver ce que j’appellerais le « syndrome de l’ergonome ». Là où l’ergonome prend toujours le risque de voir ses propositions d’améliorations techniques récupérées par les détenteurs des moyens de production pour supprimer du personnel et augmenter les cadences, le diagnostic en risques psychosociaux, même avec les meilleures intentions initiales du monde, voit toujours le risque d’être détourné en recettes en vue d’une meilleure adaptation de l’individu aux conditions de production.

Que peut-on en conclure ? Que faire ? La psychologie du travail n’est-elle au final qu’une psychologie de l’adaptation à la situation de travail ou constitue-t-elle malgré tout un nouveau levier de prise de conscience et de lutte pour la santé ?

La lutte collective c’est la santé !

Entre risque d’un retour au « déni » de la souffrance au nom d’une théorie révolutionnaire surplombante et psychologie de l’adaptation à la situation de travail, il nous paraît indispensable de repolitiser la question de la souffrance au travail.

Repolitiser la question de la souffrance au travail, c’est d’abord nommer le système dans lequel elle prend place et s’intensifie. Si, comme le dit Camus, mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde, la première chose à rappeler est que le travail dans notre société capitaliste est dans son immense majorité un travail salarié, basé sur la subordination. S’en tenir là est insuffisant, mais ne rien en dire est suspect et constitue le point aveugle de la psychologie du travail qui s’est développée ces vingt dernières années.

Le discours de Dejours à ce sujet est ambigu. S’il semble bien poser en arrière fond de la banalisation du mal ou de « l’injustice sociale » une logique systémique il paraît dans le même temps ne pas pouvoir ou vouloir l’assumer. Ainsi, évoquant le « progrès de l’injustice en régime libéral » il se refuse dans le même temps à y voir selon ses propres termes « le fait d’une logique endogène propre au système ». Ce faisant, Dejours s’embourbe dans des contradictions en faisant constamment implicitement référence au consentement à un système qu’il ne nomme ni ne définit jamais clairement tout en prenant soin de nier son existence17. L’illustration la plus flagrante de cet embarras sont les circonlocutions employées pour nommer

et éviter dans le même temps ce point aveugle. On pourrait à cet égard faire une compilation des expressions utilisées pour éviter de nommer ledit système : « régime libéral », « machinerie de guerre économique », « système néolibéral », « raison économique », « libéralisme sans entrave », etc. Le même embarras pourrait aisément être relevé chez Clot.

Ce que semblent redouter Dejours ou Clot par-dessus tout est le risque de la démobilisation dans une logique du « triompher ou périr ». Il faut pourtant sortir de cet entre-deux intenable du « ni résignation, ni dénonciation18 ». Si on ne peut que souscrire à un refus d’un « système » conçu comme « fatalité » imposant ses « lois naturelles » dans l’idéologie libérale, la logique même d’intensification du travail est d’une part consubstantielle au système capitaliste notamment dans sa logique d’accroissement constant de la plus-value relative pour parler en termes marxistes. D’autre part, la subordination constitue l’étayage du travail capitaliste. Il n’y a de management, et conséquemment de management pathogène, que sur fond de subordination juridique des salariés, constitutive du procès d’exploitation capitaliste. Nommer ainsi le système ou les logiques qui y sont à l’oeuvre ne signifie nullement les accepter ou se résigner devant l’ampleur de la tâche mais invite à reproblématiser la souffrance et à tracer une direction pour la lutte.

Pour ce faire il faut tout d’abord sortir la question de la souffrance d’une analyse en termes de « risques psychosociaux », tel un environnement toxique, pour la replacer du point de vue de la santé. Il convient ensuite de poursuivre les perspectives ouvertes par la clinique de l’activité sur le pouvoir d’agir pour le poser dans toute sa généralité et sa radicalité, c’est-à-dire en posant la question de la démocratie au travail.

La grille de lecture en termes de risques psychosociaux situe la souffrance à partir d’un risque extérieur « comme s’il s’agissait d’un nuage toxique planant au–dessus de l’entreprise […] qui atteint certains des salariés, en premier lieu bien sûr ceux dont les caractéristiques personnelles les fragilisent19 ». Une telle approche par « l’exposition » des salariés à un « risque » se développe en général dans un projet de le mesurer, la mesure étant la garantie de la « neutralité ».

Il faut renverser cette perspective, la souffrance n’est pas l’effet de l’exposition à un risque mais l’empêchement de la santé. Il convient ici de revenir un peu en arrière et de faire un détour par la pensée de la vie telle que l’a posée le philosophe Georges Canguilhem : la vie n’est ni ajustement à des normes, adaptation à des contraintes extérieures, ni l’infinie répétition du même. Elle est du côté de l’invention des normes, de la création. Ce faisant, la santé est cette capacité à créer et recréer ses propres normes, à agir sur mon environnement : « Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi ». Ainsi selon Canguilhem la santé réside dans l’activité normative d’interaction avec le milieu, et non dans une simple conformité « normale » à un milieu donné.

Comme on l’a vu la clinique de l’activité s’inscrit dans cette filiation en envisageant la santé au travail comme développement des possibles individuels et collectifs. Y. Clot développe le concept de pouvoir d’agir dans le cadre plus spécifique de la santé au travail entendu comme pouvoir d’agir sur le monde et sur soi-même, collectivement et individuellement : « il mesure le rayon d’action effectif du sujet ou des sujets dans leur milieu professionnel habituel, ce qu’on peut aussi appeler le rayonnement de l’activité, son pouvoir de recréation ». Il s’agit au sens propre d’une démarche d’autonomie. A contrario la perte de sens de l’activité par l’hétéronomie du travail la dévitalise, la désaffecte. On est alors en activité sans se sentir actif.

Or, encore faut-il que cette activité d’élaboration collective du travail soit possible c’est-à-dire tout simplement permise. Car qu’est-ce que penser la possibilité de création et recréation des normes d’activité par le collectif et pour le collectif si ce n’est poser la question pleinement politique de la démocratie ?

Les discussions autour des règles de métier ou de l’identité professionnelle censées développer le pouvoir d’agir, comme le promeut la clinique de l’activité, s’inscrivent dans un système organisationnel déjà là. Or, l’organisation n’est pas un simple collectif horizontal : « la notion d’organisation désigne un ensemble structuré de rôles, de rapports de pouvoir, de normes, établi pour répondre à des objectifs de production de biens et de services. Elle recouvre dans cette conception, une série de contraintes et d’obligations avec lesquelles les membres de l’organisation composent pour s’y construire une place et éventuellement en tirer bénéfice » Dans ce cadre assumer le conflit pour définir le « travail bien fait », ce n’est pas seulement confronter et assumer des controverses autour des règles de métier entre pairs, c’est aussi s’affronter aux objectifs de la production définis par l’organisation.

Ainsi sortir d’une vision de la santé comme adaptation au contexte pour une entrée par la qualité du travail qui cherche à créer du contexte rejoint inévitablement la question démocratique dans un monde, celui de l’entreprise, qui en est la négation. Car discuter collectivement du travail et de ses normes c’est déjà commencer à se le réapproprier et donc déposséder ceux qui en sont les détenteurs et ont vocation à décider. Développer l’autonomie c’est développer l’autonomie contre l’hétéronomie de l’organisation. La mise en discussion collective des normes de production est en soi un travail d’institution dans et au-delà des institutions actuelles. Autant dire qu’un tel processus est une lutte et un rapport de force sauf à vouloir à tout prix euphémiser la violence des rapports de production dans le travail capitaliste. C’est ici que le silence de la clinique de l’activité est assourdissant, comme si elle n’osait pas aller au bout de ses propres intuitions.

Pourtant si l’on prend au sérieux ce processus, c’est-à-dire qu’on ne le réduit à une anodine discussion entre pairs, il s’agit bien d’un processus d’auto-institution de la société au sens où Castoriadis emploi cette expression : « la culmination de ce processus est le projet d’instauration d’une société autonome : à savoir une société capable de s’auto-instituer explicitement, donc de mettre en question ses institutions déjà données, sa représentation du monde déjà établie. Autant dire : d’une société qui, tout en vivant sous des lois et sachant qu’elle ne peut vivre sans loi, ne s’asservit pas à ses propres lois ; d’une société donc, dans laquelle la question : quelle est la loi juste ? reste toujours ouverte ».

Dire cela n’est pas se résoudre à la résignation en attendant une hypothétique socialisation des moyens de production et l’avènement d’une société entièrement démocratique par un acte héroïque. C’est au contraire fixer comme perspective de lutte contre la souffrance d’engager d’ores et déjà ce processus de réappropriation. Le travail dès lors qu’il est collectif peut impliquer un espace de subversion des ordres pour produire des règles qui peuvent être mises au service de l’émancipation. Il s’agit de créer et de multiplier les espaces de réappropriation collective du travail avec en ligne de mire la réappropriation de la totalité de l’espace collectif, donc politique, de la production. Le premier plan d’action reste donc l’action et la résistance collective qui se réapproprie le travail, autant que faire se peut, ici et maintenant. Car « une organisation peut aussi se définir comme une mise en commun de ressources individuelles pour permettre la réalisation d’une action collective ».

Là encore nous retrouvons une inspiration de Castoriadis pour qui le collectif est « à la fois un regroupement de production et de lutte. C’est parce qu’ils ont à résoudre en commun des problèmes d’organisation de leur travail, dont les divers aspects se commandent réciproquement, que les ouvriers forment obligatoirement des collectivités élémentaires qui ne sont mentionnées dans l’organigramme d’aucune entreprise. C’est parce que leur situation dans la production crée entre eux une communauté d’intérêts, d’attitudes et d’objectifs s’opposant irrémédiablement à ceux de la direction que les ouvriers s’associent spontanément, au niveau le plus élémentaire, pour résister, se défendre, lutter».

Dans cette perspective l’expertise n’a de sens que si elle est partie intégrante d’un rapport de force. Plus, c’est dire que l’expertise doit elle-même abandonner sa « neutralité », c’est-à-dire sa position experte en surplomb, pour être co-construite avec et pour les salariés en lutte. Sans cela elle sera inévitablement rattrapée par le double écueil qui la guette en permanence entre impuissance et outil de gestion des ressources humaines. À l’inverse de la sous-traitance de l’expertise qui externalise la gestion des risques psychologiques, elle doit également être réappropriée comme savoir collectif.

Il nous paraît donc indispensable de partir de la souffrance… pour mieux la dépasser. La souffrance n’a pas sa valeur en elle-même, elle peut en revanche être principe d’action. Si le déni la concernant participe de la banalisation du mal, on ne peut s’en tenir au compassionnel sous peine de susciter une médicalisation du social par le soin apporté aux plus « fragiles ». Reconnaître sa souffrance, reconnaître celle des autres, doit amener la constitution et la prise de conscience d’un sujet collectif. Elle reste néanmoins une expérience sociale négative infra-politique si elle ne permet pas de poser à nouveaux frais la question de la santé au travail. Il s’agira d’éliminer le négatif par la chasse aux risques psychosociaux, nouvelle extension du domaine des ressources humaines, soustraitée au marché d’une psychologie du travail. Si la gestion des ressources humaines n’est pas assez diligente dans ce domaine il sera alors fait appel aux autorités publiques. Toutes interventions qui laisseront bien sûr intactes le pouvoir de direction des employeurs, l’exploitation et la domination du travail par ceux qui détiennent les moyens de production.

 

Pourtant derrière, ou malgré la souffrance, les travailleurs résistent, continuent à travailler, à faire valoir d’autres critères. Or, c’est précisément ici que la plainte peut devenir savoir et se politiser. Lutter contre le travail pathogène ce n’est pas limiter l’exposition aux risques psychosociaux, c’est se réapproprier le travail et le maintenir collectivement en débat, c’est-à-dire maintenir cette réappropriation vivante. La politisation de la souffrance passe ainsi par la restauration du pouvoir d’agir des collectifs de travail, cette restauration étant elle-même condition du développement de la santé, au-delà la souffrance. C’est qu’ici la santé est plus que l’absence de trouble, elle est force vitale, capacité à agir sur son environnement et non adaptation à celui-ci. Un tel projet est en soi une promesse de subversion de l’ordre capitaliste et de l’hétéronomie qui le constitue. Le contrôle de l’ouvrier sur ses oeuvres et la revendication  de l’autonomie ouvrière retrouvent ici une nouvelle jeunesse.

 

Gilles Gourc

(article paru initialement dans le n°38 de la revue Refractions)

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La machine de guerre antisociale est En Marche !

Emmanuel Macron vient de sortir son projet de loi d’habilitation pour faire passer sa réforme du Code du travail par voie d’ordonnances. Les grandes orientations étaient déjà connues mais à la lecture de ce projet on s’aperçoit que c’est encore pire que ce qu’on pensait. Aux thèmes déjà évoqués, Emmanuel Macron ajoute maintenant une attaque frontale contre le CDI par la promotion d’un « contrat de chantier ».
Pour ceux qui en douteraient encore, le patronat est aujourd’hui directement à la tête de l’Etat et Muriel Pénicaud, ministre du travail, n’hésite pas à déclarer que le Code du travail « n’est fait que pour embêter 95% des entreprises ».
Sans surprise ce projet vise alors tout simplement à donner au patronat le pouvoir de faire le droit en s’affranchissant une bonne fois pour toutes du « principe de faveur », qui a été au cœur de la construction historique du droit du travail en France.
Quelles sont les grandes lignes du projet de cette nouvelle « loi travail puissance 10 » ?

Une inversion totale de la hiérarchie des normes

L’article premier du projet d’habilitation résume toute l’orientation du texte : déréguler l’ensemble du droit du travail en donnant la priorité à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche et la loi.
Cette inversion de la hiérarchie des normes, entamée depuis longtemps, a notamment connu un coup d’accélérateur avec la loi travail sur les thèmes du temps de travail et de la rémunération des heures supplémentaires. Mais La durée de base du travail restait encore fixée par la loi. De plus certains sujets demeuraient uniquement négociables au niveau de la branche (comme les grilles de minima salariaux) sans possibilités de dérogation dans un sens défavorable au niveau de l’entreprise. L’idée est aujourd’hui d’achever l’inversion de la hiérarchie des normes en la généralisant à tous les domaines. Tout doit disparaître !
Seuls trois domaines resteront définis au niveau de la loi : le SMIC, l’égalité professionnelle femmes-hommes et les seuils d’exposition aux risques professionnels. Tout le reste peut-être remis en cause : salaires, contrat de travail et même certaines règles relatives à la santé et à la sécurité.
Si l’on prend pour exemple le contrat de travail, les termes mêmes de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée (motifs de licenciement, procédure et indemnités) pourraient être modulables et renvoyés à la négociation d’entreprise. De même les dispositions régissant les CDD et l’intérim (motifs, durée et règles de succession sur un même poste) pourront désormais être « adaptées » par accord.
Cette mise en concurrence généralisée des salariés de chaque entreprise entraînera une course sans
limite au moins-disant social.
Pour couronner le tout le gouvernement prévoit même d’instaurer la primauté de l’accord d’entreprise sur le contrat de travail dans un sens défavorable aux salariés. Ce dispositif avait été expérimenté avec les accords dits de « maintient dans l’emploi ». Il s’agissait d’ouvrir la possibilité d’augmenter la durée du travail et/ou de baisser le salaire en cas de difficultés économiques et en garantissant le maintien des emplois pendant une période donnée. Aujourd’hui ce dispositif serait généralisé quel que soit le contexte. Ainsi un salarié qui aura négocié son contrat de travail à certaines conditions de rémunération et de durée du travail pourra voir son contrat de travail remis en cause à tout moment par accord d’entreprise.

Vers la fin du monopole syndical sur la négociation collective

Et pour être sûr que cette dérégulation puisse être effective, Macron prévoit de contourner le monopole syndical sur la négociation collective en étendant la possibilité d’organiser des référendums d’entreprise. Là où la loi travail donnait la possibilité à un syndicat minoritaire d’initier un référendum, Macron veut pousser la logique au bout en donnant cette possibilité aux employeurs.
On imagine déjà le chantage à l’emploi qui jouera à plein au niveau de l’entreprise pour faire passer toutes les régressions à coups de référendums successifs. Le référendum d’entreprise est un leurre de démocratie. Les salariés seront placés devant un choix individuel, alors que la défense des intérêts des travailleurs ne peut véritablement se faire que collectivement. Dans ce sens, passer outre les représentants du collectif des travailleurs pour demander l’avis individuel de chaque travailleur, c’est faire croire à la fiction d’une relation égale entre un travailleur et un patron.

reforme code du travail accords entreprise

Ce projet est ni plus ni moins, que l’aboutissement du déjà ancien projet patronal de « refondation sociale » initié en 2000 par Ernest-Antoine Seillière, ex-président du Medef, de dérégulation généralisée du droit du travail. Il est important que chaque organisation syndicale joue son rôle de défense des intérêts des travailleurs et que Macron ne trouve pas d’alliés syndicaux pour mettre en scène son « dialogue social » et surtout réaliser son projet.

La fusion des institutions représentatives du personnel

La loi Rebsamen avait étendu les possibilités de fusion des différentes institutions représentatives du personnel dans des délégations unique du personnel (DUP) jusqu’à 300 salariés en y intégrant notamment les CHSCT. Sur ce point Macron veut là aussi aller plus loin en autorisant toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, à mettre en place une DUP. Ainsi l’instance de proximité qu’est le CHSCT pourrait disparaître.
L’article 2 du projet de loi prévoit au passage que cette instance fusionné pourra « exercer les compétences en matière de négociation des conventions et accords d’entreprise ou d’établissement » ; histoire, une fois de plus, de contourner les délégués syndicaux au profit d’éventuels représentants du personnel « maison ».

Vers la fin du compte pénibilité

Autre revendication permanente du Medef depuis 2010 : l’abrogation du compte pénibilité.
C’était la seule micro-avancée du quinquennat Hollande pour faire passer sa réforme des retraites auprès de la CFDT. C’était encore trop pour le patronat. Pierre Gattaz a qualifié la mesure « d’usine à gaz » et insisté pour que le gouvernement « la fasse sauter ». Macron va « simplifier » le dispositif.
D’une part le nouveau dispositif, rebaptisé « compte de prévention », ne sera plus financé directement par les entreprises par une nouvelle cotisation sociale ; d’autre part les risques ne seront plus évalués au cours de la vie professionnelle mais « médicalisés ». En gros il faudra désormais être déjà malade pour pouvoir bénéficier d’un départ en retraite anticipé. Pour les critères comme la manutention des charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques, il faudra même atteindre un taux d’incapacité permanente de 10% pour être éligible à une retraite anticipée !

Un permis de licencier à moindre coût

De même la question du plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif, initialement prévue par le projet de loi travail, et finalement retoquée, fait sa réapparition à l’article 3 du projet. Le tribunal n’aura plus à apprécier le préjudice réel, l’indemnité maximale sera fixée une bonne fois pour toutes. C’est, là aussi, l’aboutissement des désirs du patronat. Pierre Gattaz, président du Medef, plaide ainsi depuis longtemps pour le plafonnement des indemnités prud’homales en mettant en avant « la peur » des chefs d’entreprise.

reforme du code du travail licenciement

Concrètement il s’agit pour le patronat de pouvoir anticiper, « renforcer la prévisibilité » en novlangue patronale, afin de provisionner ce que coutera un licenciement abusif pour licencier tranquillement.

Et comme ça ne suffisait pas, le projet de loi prévoit de réduire les délais de contestation d’un licenciement (aujourd’hui un an pour les licenciement économiques et deux ans pour motif personnel).

Une réduction du périmètre d’appréciation du motif économique

Ici encore, le texte veut réintroduire une mesure initialement envisagée par la loi El khomri, et finalement retirée. Il s’agit de restreindre au territoire français le périmètre retenu pour apprécier les difficultés d’un groupe international qui licencie dans une de ses filiales en France.
En restreignant le périmètre géographique d’appréciation des difficultés économiques, une multinationale florissante pourra ainsi organiser, de façon artificielle, la faillite d’un de ses sociétés françaises.

Vers la fin du CDI

Parmi les « nouveautés » le projet de loi renferme un « contrat de chantier », permettant d’associer la fin dudit contrat à celle d’un projet donné. En somme, un CDI avec des caractéristiques de CDD…
Cette idée d’un contrat de chantier revient à intervalles réguliers depuis au moins le début des années 2000. Le projet de loi prévoit d’ouvrir cette possibilité « par accord de branche ou, à défaut, à titre expérimental ».
Plus d’un siècle après la création du code du travail nous ne sommes pas loin du retour au contrat du louage qui prévalait au 19 e siècle, avec une embauche à la tâche, et une précarité pour tous.

Ce scénario n’est pas une fatalité, il ne tient qu’à nous de le faire échouer. Le gouvernement veut aller vite ? A nous de nous mobiliser sans attendre !

Dès maintenant, l’urgence est de préparer la riposte sociale dans l’unité. La CNT soutient toutes les initiatives permettant d’enclencher la résistance !

 
Le tract en pdf : machine de guerre antisociale 2

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Quand les experts confirment que nos pontes nous mentent, nous manipulent et nous broient !

Le 18 avril 2015 le cabinet « Alternatives ergonomiques », mandaté par le CHSCTM, rendait son rapport. L’objectif de ce rapport était d’analyser les conséquences de la réforme Sapin, dite « ministère fort », sur les conditions de travail et la santé des agents. Pour ce travail les experts ont basé leurs analyses sur la manière dont les agents vivent leurs situations de travail actuelles dans 3 Unité territoriales (Paris, Toulouse et Montauban). C’est à partir des difficultés rencontrées par les agents dans leur activité que le rapport a ensuite cherché à identifier l’impact possible de la réforme. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, les analystes du travail ont tenu à revenir longuement sur les conditions de l’expertise.

Le char d’assaut de la DGT: retour sur les conditions de l’expertise et les motivations du projet de réforme…

Pour les analystes, l’appel d’offres du ministère contrevient aux conditions normales de réalisation d’une telle expertise, notamment les cadres temporels et surtout financiers, qui ont été fixés unilatéralement par l’administration. « Ici, le processus de mise en œuvre de la réforme s’est poursuivi parallèlement au déploiement de l’expertise […] Cette situation a conforté le point de vue des agents qui considèrent que, depuis le début de ce projet, le ministère avance en dépit de toutes les critiques » (p.17). De là à dire que pour l’administration cette expertise n’était qu’une formalité administrative à évacuer le plus vite possible, il n’y a qu’un pas. Sapin nous avait promis que le « char d’assaut de l’Etat » passerait.

Revenant également sur la synthèse des restitutions des expressions régionales des agents, les expertes notent, avec peut-être un brin de taquinerie et de fausse candeur, « de cet ensemble de critiques et de propositions, on voit mal pourquoi il est essentiellement ressorti le projet de transformer les sections en unités de contrôle sous la responsabilité d’un hiérarchique là où les demandes sont beaucoup plus de renforcer l’existant, de donner les moyens pour qu’il réponde aux missions attendues, de mettre de la cohérence dans ce qui existe » (p.31-32). On se le demande aussi mais peut-être que la réponse, on en frémit rien que d’y penser, est que le projet était déjà bouclé, avant la mise en scène de consultation des agents…

Sur les motifs du projet, le rapport relève au préalable qu’il n’existe pas de document de synthèse faisant le diagnostic de la situation actuelle et justifiant le projet de réforme. Ainsi « à défaut de ce diagnostic « mis sur la table », on fait comme si tout le monde avait le même point de vue sur ce qu’il faut modifier pour que ça marche, ce qui d’évidence ici n’est pas le cas » (p.21). A défaut de diagnostic, les analystes rappellent notamment à notre bon souvenir que, dès 2011, le rapport IGAS sur les sections d’inspection préconisait d’engager une réforme de l’organisation pour s’adapter aux réductions d’effectifs, notamment de secrétariats. La DGT proposait alors comme réponse de jouer sur le découpage et l’organisation de sections en optant pour une politique d’affichage par un renforcement de la programmation et de la ligne hiérarchique. Dans le même rapport IGAS, la DGT demandait que « la hiérarchie soit la clef de voûte du système » par une « programmation stratégique », en faisant remonter le lieu de l’arbitrage de l’activité au dessus de la section. On le voit la réforme « Sapin », qu’il faudrait plutôt appeler la réforme « DGT », vient de loin. Il n’est pas inutile de le rappeler.

Cherchant toujours les motifs du projet nos analystes finissent par déclarer « il est tout au plus possible de comprendre que la réforme se concentre sur un objectif : rendre l’action plus collective » (p.32) A ce sujet le rapport remet tout de suite les pendules à l’heure avant d’y revenir plus loin plus en détail : « le travail collectif ne se prescrit pas : il se crée et se recrée sans cesse, au gré des nécessités. Le collectif est de fait toujours à géométrie variable » (p.14).


INAPTE pour EPITaphe !

Le rapport rappelle que les contrôleurs demeurent dans l’incertitude quant à leur avenir, notamment après 2015. La RAEP qui impose un concours artificiel de « valorisation » fait naître le risque pour les contrôleurs ne réussissant pas cette épreuve « de se sentir humilié, voire nié dans ce qui le constitue comme professionnel » (p.55).

Sans déconner ?… !!!


Les analyses du terrain : la novlangue managériale à l’épreuve de la réalité.

Les analyses de terrain portent d’abord et essentiellement sur le « système d’inspection du travail ». C’est l’occasion de revenir sur un certain nombre d’idées reçues et de fausses oppositions développées constamment par notre hiérarchie.

Sur l’opposition demande individuelle/action collective :

Sur la base des observations qu’elles ont réalisées les analystes rappellent « qu’aucune des visites n’a pour horizon la seule demande individuelle, même si c’est celle-ci qui a pu déclencher le déplacement. Toujours la visite est guidée par des questions sur l’ensemble de l’entreprise » (p.36).C’est évident pour n’importe quel agent de contrôle mais ça va encore mieux en le disant. Cette fausse opposition montée de toute pièce par notre hiérarchie poursuit un double objectif : 1) faire croire que ne pas traiter une « demande individuelle » permettrait de régler par miracle la question de la charge de travail ; 2) justifier le flicage de l’activité en faisant une équation entre action collective = action collective programmée par la hiérarchie. Cette volonté d’écarter par un coup de baguette magique la fameuse « demande individuelle » de nos missions revient à promouvoir une administration fonctionnant à coups de plans d’actions valorisables en renonçant à être un service public au sens plein du mot, c’est-à-dire un service accueillant un public dans l’objectif de répondre à ses demandes.

Sur la capacité d’adaptation du contrôle à l’entreprise :

Autre idée véhiculée par notre administration sous influence patronale, la nécessité d’adapter notre action à la situation de l’entreprise. Veut-on dire par là, que les agents seraient trop imbéciles pour moduler leur action ou définir une stratégie d’action en fonction de la situation de chaque entreprise ? A cet égard le rapport répond à l’épreuve des faits : « Dans ce qui a été vu, rien ne ressemble à une action mécaniste de la norme » (p.36). L’enjeu n’est donc pas là. Il s’agit plutôt d’une posture politique derrière l’apparente neutralité d’un discours technique. Nous réaffirmons que le droit du travail n’est pas une variable d’ajustement éventuellement applicable en fonction des moyens supposés de l’entreprise. Il n’y a pas de réponse type à appliquer en fonction de la taille de l’entreprise sauf à institutionnaliser et généraliser une rupture d’égalité entre les salariés.D’autre part c’est l’occasion de rappeler que nous ne sommes pas des accompagnateurs mais des agents de contrôle. Ainsi, et à rebours de la DGT qui veut nous donner tous les rôles notamment celui de médiateur et de gentil animateur dans un projet politique non assumé de réorienter notre fonction vers d’autres finalités que l’application du droit du travail pour les salariés, les analystes « ont entendu à quel point les agents sont soucieux précisément qu’on ne leur donne pas tous les rôles. La réforme semble brouiller les pistes plutôt qu’elle ne clarifie les idées ». Les agents « préfèrent l’idée d’être garants du progrès social » (p.29-30). Il ne s’agit donc pas d’opposer le contrôle au conseil, mais de garantir l’autonomie des agents afin de permettre une adaptation réelle en situation avec pour finalité l’application du droit du travail pour les salariés.

Sur l’isolement, la complexité du métier et la charge de travail :

Sur les questions d’isolement et de charge de travail le rapport fait quelques remarques salutaires. En effet, les analystes observent que, si l’isolement fait parti du métier d’agent de contrôle, celui-ci n’est pas forcément ressenti comme problématique par tout le monde. Ce dernier devient problématique quand on reste seul, sans ressources face à des difficultés. De même : « à force de dire que le métier est complexe et difficile on peut en oublier d’entendre que ni la complexité ni la difficulté ne sont en elles-mêmes rebutantes » (p.37). Les analystes lient donc cette question à celle de la charge de travail et de ce qui la constitue confirmant ainsi le discours des organisations syndicales.

« Le fait d’avoir observé les agents en situation de contrôle ne montre qu’une partie de leurs difficultés, et aller plus loin s’avère nécessaire, mais il réserve la surprise de constater que cette partie du travail (le contrôle) n’est pas forcément celle qui pèse le plus. Autrement dit, que si les agents de contrôle ne vont pas plus sur le terrain c’est parce qu’ils en sont empêchés. » (p.39).Qu’est-ce qui empêche ? Nous savons que la préparation et surtout les suites à contrôle sont les moments les plus chronophages. Notre travail est constamment interrompu par de multiples sollicitations et le sentiment de débordement est quasi permanent. Face aux obstacles rencontrés, les analystes relèvent l’absence d’organisation du partage des difficultés entre pairs. C’est ce partage qui est fondamental pour sortir de l’isolement et des situations de blocage. Or en l’absence d’organisation de ces échanges par l’institution les constructions autour du métier sont essentiellement affinitaires et restent fragiles. « Car c’est en quelque sorte le revers de la médaille de ce métier exigeant : l’engagement est tel que l’épuisement guette. Or il n’y a rien d’évident à en parler. Cela suppose que les débats sur le métier soient suffisamment installés pour que ce soit dit. » (p.40)

Nous qui nous heurtons, dès que nous évoquons le problème de la charge de travail, au déni notre hiérarchie qui systématiquement évacue la question et la détourne vers des questions d’organisation et de pilotage tout en nous demandant d’aller plus sur le « terrain » pour remplir les objectifs, sommes ravis d’entendre ces « experts » nous dire que nous ne pouvons pas matériellement le faire.


Travailler à l’emploi… sans perspectives

On le sait, l’emploi est soumis aux politiques de l’emploi…Ainsi, les dispositifs créés peuvent disparaître du jour au lendemain, et l’organisation du travail n’est jamais stabilisée pour longtemps. « Mais ce n’est pas impunément, sur le plan subjectif, qu’on voit s’évanouir une mesure qu’on a promue activement pendant un an ». (p.44) Les agents du pôle 3E ont le sentiment d’une absence de perspective d’avenir et de démembrement des services. Le rapport décrit des incertitudes en cascade. Incertains sur l’avenir des mesures, les agents sont incertains sur les crédits qui seront débloqués. L’incertitude rejaillit sur la parole des agents que ceux-ci sont censés représenter l’Etat. Cette situation est notamment particulièrement difficile à vivre pour ceux qui ont en charge des dispositifs à destination des populations précaires. Il y a ainsi une perte de confiance ou de crédibilité de la parole de l’Etat. Le rapport prend l’exemple des CMAT et pose la question : comment avoir un quelconque poids dans la négociation avec les partenaires lorsqu’on ne peut pas le traduire en lignes budgétaires fixes ?

La charge de travail fluctue d’un extrême à l’autre, de la sous-activité aux situations de débordement. Sans surprise ces fluctuations sont liées au fonctionnement même du pôle 3E. Ceux qui sont en surcharge travaillent à flux tendu et n’ont pas toujours le sentiment de faire un travail de qualité. A l’inverse ceux qui sont en sous-charge culpabilisent et peuvent adopter des postures de repli. Ces situations peuvent également générer des tensions entre les équipes ou les agents. « Dans ces conditions, arriver à maintenir un sens à son travail et, comme le disent les agents, une certaine motivation peuvent être difficiles » (p.45).

Concernant la tarte à la crème du lien travail emploi que le projet « ministère fort » essaye de nous vendre, il convient de revenir la situation réelle pour sortir du bla-bla. La réforme va mécaniquement et progressivement faire disparaître les agents de contrôle des services emploi. Or selon les analystes « un agent de contrôle ne perd pas son approche spécifique de l’entreprise parce qu’il est agent de l’emploi : accorder des crédits à une association qui traite mal ses salariés, par exemple, ne serait pas supportable » (p.46). C’est donc bien plutôt vers un lien de plus en plus distendu entre le travail et l’emploi que nous allons. D’autant que les arbitrages échappent déjà souvent aux agents qui gèrent les dispositifs, notamment quand ceux-ci s’occupent de contrôler d’un peu trop les conditions fixées pour obtenir des aides. Là encore c’est le sens du travail qui est mis à mal et non débattu.


Une réforme à contre-sens pour avoir l’esprit « corporate » !

« En annonçant comme mesure principale de la réforme la mise en place d’unités de contrôle remplaçant les sections d’inspection, le ministère a focalisé sur l’organisation ce qui est d’abord une question de sens et d’objectifs» (p.51),car « On ne fait pas ce métier par hasard » même si l’administration semble le déplorer.Mais du point de vue même du travail « on souligne assez peu ce que cet engagement apporte au métier. Ne peut-on dire pourtant que, sans cet engagement, bien des aspects du métier seraient impossibles ? » (p.51) Oui, on peut le dire !

C’est bien cet engagement qui permet la réalisation du travail tout autant qu’il fonde la dégradation, voire la rupture, entre les agents et leur autorité de tutelle politique et/ou administrative. En effet, « on peut ajouter tous les rôles à l’agent de contrôle, il reste défini d’abord en référence à l’histoire de la mission : l’agent de contrôle assure l’effectivité du droit du travail. […] La difficulté c’est que certains agents ne reconnaissent plus, dans le droit du travail tel qu’il évolue, les perspectives pour lesquelles ils ont choisi ce métier. » Cette remarque vaut aussi bien pour l’autorité politique qui est engagée depuis des années dans une entreprise de dérégulation du droit du travail qui s’incarne notamment par la remise en cause du principe de faveur, que pour l’autorité administrative. Inutile de rappeler à cet égard les petits arrangements continus entre notre ancien DGT et le patronat à coups de décrets illégaux pondus sur mesure pour répondre au lobbying de telle ou telle branche.

On le sait, l’alibi du projet « ministère fort » est de faire travailler plus collectivement les agents de contrôle dans le cadre d’un nouveau système d’inspection. Or le collectif ne se prescrit pas « car on peut sur le papier élargir la taille de l’équipe. On peut fixer différemment une organisation, une composition, des objectifs. Mais ce sont les individus qui forment les collectifs, pas les prescriptions de « faire collectif » (p.49). Lorsqu’on prétend prescrire du travail collectif, ce qui se construit dans ces cas-là c’est une organisation qui fonctionne sur l’autorité hiérarchique mais pas sur l’implication des personnes. Et c’est tout le problème de la nouvelle organisation en UC avec des DUC à leur tête. De plus, le risque est alors de casser les collectifs existants sans avoir réellement cherché à comprendre pourquoi ça fonctionne plus ou moins bien. En effet, on ne part pas de rien. Les analystes constatent que des collectifs existent, même si ceux-ci sont à géométrie variable. Si, lorsqu’elle fonctionne, la section d’inspection est le premier échelon du travail collectif ce dernier ne se limite pas pour autant à la section. Le collègue de promo, le collègue de la section voisine considéré comme compétent sur un sujet, les ingénieurs prévention, les ARM, les organisations syndicales : de multiples formes de collectifs et d’échanges existent. « Il n’y a pas de collectif sans informel, sans possibilité d’improviser la rencontre, ou de passer du coq à l’âne dans une discussion autour d’un café. » (p.51) Mais ce travail collectif, qui permet d’élaborer des stratégies communes, mais aussi de dire ses doutes et ses lacunes n’a rien d’évident. Les analystes ont entendu chez les personnes interrogées un manque d’outils communs et une faible capitalisation des expériences. « L’objectif doit être, puisque l’agent est seul sur le terrain, « isolé » comme il est dit, que chacun se sente en situation de contrôle avec [un] « collectif en soi », c’est-à-dire tout ce qui a fait collectivement expérience et qui peut devenir un moyen, un soutien, de son activité individuelle. » (p.48).

C’est là tout l’enjeu du débat autour du collectif : institutionnaliser les débats sur le travail pour dépasser la fragilité des échanges affinitaires semble nécessaire, mais prétendre prescrire du collectif par la ligne hiérarchique est un non-sens et une malhonnêteté intellectuelle qui cache mal la volonté de faire l’affichage. Il nous faut redonner du sens au travail pour pouvoir construire les collectifs de résistance nous permettant de sauvegarder le sens que nous lui donnons.


Evolution des Secrétariats de section : Evolution des tensions !

Le rapport revient sur les transformations de ce métier ces dernières années. La fonction a été mise à mal par les dernières évolutions institutionnelles (réductions des effectifs, fusion,…) et varie en fonction des pratiques des agents de contrôle (notamment sur la question de la frappe des courriers). Or « Les analyses montrent que l’organisation n’a pas pris la mesure des transformations vécues par les secrétariats qui se sont sentis délaissés. ». De fait le rapport constate « qu’aujourd’hui il n’est pas possible de parler DU travail de secrétariat. Il y a des manières différentes d’habiter la fonction de secrétaire qui sont le résultat de constructions singulières au sein des sections ». « Comment rester la clé de voûte quand les évolutions tendent à vous priver des informations sur la vie de la section ? » (p.42). Dans ce contexte le projet ministère fort génère de l’inquiétude. Outre le flou sur la façon dont va se structurer le secrétariat dans les nouvelles unités de contrôle, le passage en UC va mettre en évidence les différences dans la façon de travailler avec tous les risques de conflit qui peuvent en résulter. « Ces différences risquent d’être la source de tension entre les secrétaires : tension dans la répartition du travail à faire pour les agents de contrôle, tension du fait des évolutions prévues vers de l’assistanat entre les agents qui veulent évoluer, ceux qui acceptent de le faire parce qu’ils s’y sentent obligés, et ceux qui ne le souhaitent pas. ». Avec la nouvelle organisation en pool d’UC « le risque qu’une spécialisation des agents de secrétariat s’installe au regard des compétences détenues par chacun existe et figerait une situation qui mériterait au contraire d’être dynamisée. » (p.43).


La bataille pour l’autonomie ET l’indépendance

Parmi les éléments de langage développés constamment par notre hiérarchie, celle-ci nous explique que nous confondons indépendance et autonomie. On se souvient à cet égard du mot de notre DIRECCTE préféré pour qui nous nous prendrions pour des « professions libérales ». Or nous ne confondons pas autonomie et indépendance, nous revendiquons les deux : l’autonomie ET l’indépendance. L’autonomie dans l’organisation de notre travail et l’indépendance sur les finalités de notre action contre toute « influence extérieure indue ». Comme le note fort justement le rapport « l’autonomie ne se coupe pas en tranches puisqu’elle signifie capacité de fixer ses propres normes » (p.59). Ceci n’est absolument pas contradictoire avec des actions communes ou un travail collectif et c’est cette capacité à pouvoir fixer ses propres qui est garante de la santé au travail. En revanche la perte d’autonomie c’est la perspective ne plus avoir le temps de choisir des contrôles approfondis, c’est-à-dire éventuellement non productifs du point de vue de l’organisation, la perte de la capacité d’organiser son planning et au final le risque d’une perte de sens. On le voit, ces questions, travail collectif et sens du travail, s’incarnent dans la bataille autour de l’autonomie. Ainsi « l’organisation a tout à gagner à ce que les agents continuent à défendre la possibilité la plus large possible de choisir les jours où ils vont contrôler, les lieux, les thèmes, les façons de faire. C’est à elle de convaincre l’agent que les thèmes programmés nationalement ou régionalement, et les façons de faire proposées, ne contredisent pas l’idée qu’il se fait du métier. » (p.59).

« Points d’alerte » et…

Partout, le sentiment de déqualification gagne du terrain et « la porte est ouverte à toutes les possibilités de conflit » au sein de la nouvelle organisation: entre CT, entre IT et CT, entre IT-EPIT et les autres et entre secrétaires. Le cabinet d’expertise liste également un grand nombre de dangers pesant sur les futurs DUC. Notamment comment construire une relation de confiance pour parler métier alors même que le DUC sera dans une relation hiérarchique avec les agents ? Question que nous posons nous-mêmes depuis longtemps… comme tant d’autres.
Quelle reconnaissance pour les secrétaires qui vont être amenés à prendre en charge de nouvelles tâches ?
Enfin les services renseignements se sentent délaissés. A cet égard le silence du projet « ministère fort » sur le service renseignement est particulièrement inquiétant quand on sait par ailleurs que l’administration va mettre le fameux observatoire des services renseignements (ODR). Quel est l’objectif de cette expérimentation ? Faire une évaluation quantitative du travail de renseignement pour mieux le sous-traiter ?

« Pistes de travail »

Comme pistes de travail les analystes proposent de discuter de la réalité entre agent (et non descendante avec la hiérarchie), notamment par la mise en discussion du rapport, de recenser l’existant et les demandes en matière d’appui au travail, et bien sûr de répondre point par point aux points d’alerte soulevés par le rapport.

Le plan de prévention des risques proposé le 14 mai lors du CHSCT-M relève de la magie. Face aux dangers posés par la mise en place de la réforme, le ministère répond… par la mise en œuvre de la réforme. A cet égard nous pouvons reprendre telle quelle une formule du rapport selon laquelle « le ministère fait comme il s’entend (lui-même), sans entendre les autres. » (p.62).

Seule la mobilisation permettra de s’opposer aux dégradations de la santé que la réforme porte en germe. En construisant du sens nous construisons du collectif. Nous devons collectivement reprendre la main, en décidant ensemble de la manière dont nous voulons travailler demain et en posant les limites qu’on fixera à notre hiérarchie pour préserver notre santé.

 
Le tract en pdf : Tract Alter Ergo

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Amiante, le crime social continue, le ministère du travail le cautionne !

amiante-crime-socialAlors que les résultats de la campagne META confirment les craintes de l’AFSSET, le DGT, appuyé au plus haut niveau par le gouvernement, tarde à mettre en application les décrets d’adaptation de la réglementation et fait finalement le choix d’abaisser la VLEP à 10f/litre seulement à l’horizon de 2015, offrant aux entreprises une période transitoire multipliant le risque pour les salariés par 10. Elle refuse également de prendre en compte, lors des mesurages du niveau d’empoussièrement, les fibres courtes d’amiante (FCA) qui représentent pourtant 68% des poussières d’amiante.

Cet arbitrage dont le seul but est de ne pas porter atteinte aux intérêts économiques des entreprises et des maitres d’ouvrage (dont beaucoup sont publics) conduit à exposer encore un peu plus les quelques 110 000 travailleurs de l’amiante et les agents de l’inspection du travail.

En effet, le ministère du travail, au lieu d’appliquer le principe de précaution pour éviter que le crime social de l’amiante ne perdure, préfère dénoncer, dans un article du monde du 16 mars 2012, par la voix de Jean Denis Combrexelle, le Directeur Général du Travail, « une agitation de circonstance ».

« La France est le seul pays à abaisser les valeurs, alors qu’on voit le Canada ou la Chine vendre de l’amiante » nous dit le DGT.

Il réutilise les vielles diatribes des lobbies de l’amiante et tombe le masque : le ministère du travail ne défend pas les intérêts des salariés ni ceux de ces agents, les morts de l’amiante à venir seront en partie ses victimes…

Depuis le consensus adopté à l’Organisation Mondiale de la Santé en 1960 sous la pression des lobbies de l’amiante, seul les fibres appelées OMS, dont la longueur est supérieure à 5 microns, la largeur inférieure à 3 microns et le rapport longueur sur largeur supérieur à 3, sont mesurées pour déterminer le niveau d’empoussièrement professionnel (soit 15% des fibres émises).

En 2003 la communauté scientifique internationale a été alertée sur la pathogénicité potentielle des fibres fines (FFA) et des fibres courtes (FCA) d’amiante. En France le ministère du travail a donc sollicité en 2005 et en 2007 l’AFSSET (L’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail devenue ANSES l’agence nationale de sécurité sanitaire en 2010) pour rendre un avis sur la pertinence de la prise en compte des risques liés aux FCA et FFA, dans la réglementation.

« L’expertise de l’Afsset conclut que les fibres fines ont un effet cancérogène significatif. Pour les fibres courtes, rien ne permet d’écarter un effet cancérogène,… ces fibres courtes prédominent très largement dans les lieux où les matériaux amiantés se dégradent et ne peuvent être ignorées. » Communiqué de presse de l’AFSSET du 17 février 2009.

L’AFSSET recommande ainsi, pour protéger les professionnels, d’abaisser la VLEP (100fibres/litre) sans attendre et de comptabiliser les fibres FFA systématiquement lors des mesurages du niveau d’empoussièrement par la méthode META (microscopie électronique à transmission analytique), ce qui représente 17% de fibres comptabilisées en plus par rapport à la méthode de comptage MOCP.

En matière de santé publique, L’AFSSET préconise d’abaisser le seuil réglementaire du niveau d’empoussièrement résiduel autorisé (fixé aujourd’hui à 5 fibres (OMS+FFA) /litre), et de créer un seuil réglementaire pour les FCA dans les environnements intérieurs.

Retour sur la campagne META

Le Directeur Général du Travail décide en octobre 2009, sans modifier d’une virgule la réglementation en milieu professionnel afin de ne pas entraver la poursuite des chantiers de retrait d’amiante, de mener une campagne de mesurage de l’empoussièrement par la méthode META. Il s’agit de mesurer sur les chantiers de retrait d’amiante les différentes classes granulométriques de fibre d’amiante (OMS, FFA, FFA), en fonction des matériaux et des techniques de retrait utilisées, pour vérifier empiriquement le fondement des recommandations de l’AFSSET.

L’INRS transmet officiellement le rapport final à la Direction Générale du Travail (DGT) le 22 septembre 2011. Les résultats de la campagne META sont affligeants. Que nous dit le rapport ?

D’une part, que la méthode de mesurage MOCP (microscopie optique à contraste de phase) du niveau d’empoussièrement ne mesurait pas toutes les fibres dites OMS (15% des fibres émises). D’autre part, que les fibres fines (FFA) qui n’étaient pas comptabilisées lors des mesurages par MOCP, représentent 17% du nuage d’amiante en moyenne.

Ainsi on peut affirmer que les niveaux d’empoussièrement, mesurés par les entreprises pour justifier du respect de la Valeur Limite d’Exposition Professionnelle (VLEP de 100f/l), ont systématiquement été sous-estimés.

De plus, lors des travaux de retrait de certains matériaux, les fibres d’amiante (OMS+FFA) mesurées par la méthode META constituent un empoussièrement si élevé (plus de 25 000 f/l) que les facteurs de protection maximum des Appareils de Protection Respiratoire (APR) portés par les salariés (y compris les masques à adduction d’air) ne permettent pas de respecter la VLEP de 100f/L. C’est le cas notamment lors du retrait des plâtres et flocages amiantés.

Enfin, les fibres courtes (FCA), dont le caractère cancérogène ne peut pas être écarté aujourd’hui, représentent en moyenne 68% des fibres émises lors des opérations de retrait et atteignent des niveaux d’empoussièrement records, plus de 250 000 fibres/litre.

amiante-cancer-medefLe hic, même si ce n’est que secondaire, c’est que les salariés et les inspecteurs du travail ayant participé à la campagne n’ont pas été prévenus qu’on les envoyait au casse-pipe. Quinze collègues d’Ile de France ont reçu récemment une gentille grille détaillant leurs niveaux d’expositions. Sept d’entre eux ont été exposés à plus de 25 000 fibres (OMS+FFA).

La note du DAGEMO, Joël Blondel, adressée aux DIRECCTE, rappelle que ces agents ont été exposés à des seuils dangereux, et demande aux responsables hiérarchiques de déclarer leurs expositions en accident de service (« à titre préventif, dans un soucis de renforcement de la protection juridique de l’agent en cas de problème médical ultérieur »).

Pour les salariés la reconnaissance de l’exposition ne viendra sans doute jamais car le ministère a veillé à conserver l’anonymat des entreprises intervenantes dans le cadre de la campagne.

L’instruction du 23 novembre 2011 de la DGT : comment assurer l’impunité aux entreprises et décrédibiliser l’action de l’inspection du travail ?

Le DGT publie sur le site du premier ministre l’instruction du 23 novembre 2011 afin qu’elle soit opposable par les entreprises aux agents de l’inspection du travail qui voudraient intervenir pour protéger les salariés du bâtiment.

Alors, que nous dit cette fameuse instruction?

La note nous informe que la VLEP actuellement fixée à 100f/l ne va pas changer avant une période transitoire de trois ans. En 2015, elle passera de 100 à 10f/l.

Le niveau d’empoussièrement devra immédiatement, y compris pendant la période de transition, être mesuré selon la méthode META pour prendre en compte l’ensemble des fibres OMS et FFA.

Elle nous précise que la notion friable/non friable n’a plus lieu d’être et que les mesures de protections individuelles à mettre en œuvre pour protéger les salariés dépendront dès lors de quatre niveaux d’empoussièrement.

Les niveaux d’empoussièrement seront déterminés en multipliant la VLEP (aujourd’hui 100, en 2015 10f/l) par le facteur de protection maximum des appareils de protection respiratoire (APR) qui sont respectivement de 60 pour un masque TMP3 à ventilation assisté, et de 250 pour un appareil respiratoire à adduction d’air à pression positive.

Cependant, il n’est pas prévu dans les futurs décrets modificatifs de prendre en compte les fibres courtes d’amiante (FCA) ni pour évaluer les risques encourus par les travailleurs ni pour mesurer les niveaux d’empoussièrement. Ces fibres représentent pourtant 68% des poussières d’amiantes émises et atteignent des concentrations pouvant être supérieures à 250 000 f/l, soit plus de 50 000 fois le seuil fixé par le code de la santé publique.

Ainsi, seulement 32% de l’empoussièrement des zones de travail sera mesuré par les entreprises pour contrôler le respect de la VLEP.

Sur la base des principes généraux de prévention, il est demandé aux agents de contrôle de l’inspection du travail de gérer, sans base légale, cette « distorsion » due à la période transitoire de modification de la réglementation, par « une élévation des niveaux de prévention à mettre en œuvre sur les chantiers selon les modalités techniques définies dans le guide INRS (ED 6091) ».

Sauf que le guide en question a défini des niveaux d’empoussièrement bien inférieurs à ceux de la DGT, qui plus est sur la base de mesurage en MOCP, comptant deux fois moins de fibres que la méthode META.

On peut retranscrire un tableau comparatif des appareils de protection respiratoire à utiliser en fonction des niveaux d’empoussièrement de la DGT, du guide de l’INRS et de ceux qui seront applicables d’ici trois ans avec la VLEP à 10f/l.

tableau-amiante-VLEP-amiante-APR

amiante-réunionLa note d’instruction de la DGT vise donc une généralisation de l’utilisation du masque TMP3 (jusqu’à 6000f/l) alors qu’elle devient dangereuse au-delà de 600f/l. De plus, elle autorise les entreprises sur la base du facteur de protection des APR à être au maximum de la VLEP, alors que le code du travail prévoit pour l’employeur l’obligation d’abaisser au maximum, « autant qu’il est techniquement possible » le niveau d’empoussièrement. Sous prétexte d’appliquer les principes généraux de prévention, la DGT les viole, ce sont les salariés qui en paieront les conséquences.

Bien à l’aise de rajouter dans l’instruction « en cas de constat d’une situation d’exposition des travailleurs, les agents de contrôles mettront en œuvre les moyens coercitifs appropriés ».

En effet, le DGT veut démontrer que la situation est contrôlée notamment par l’inspection du travail. Seulement les agents de l’inspection qui ne sont pas assez nombreux, pas assez formés, et qui ne disposent pas eux même des protections adaptées pour répondre à l’ampleur de cette problématique sanitaire se sont vus exhortés à la prudence. Autant dire que les chantiers de désamiantage sont devenus des zones de non droit à la merci du patronat.

L’enjeu économique d’une VLEP à 100f/litre prioritaire devant l’enjeu sanitaire

Le 15 septembre 2009 devant l’absence de réaction du ministère du travail, l’AFSSET publie un nouveau communiqué de presse qui recommande : « Dans un premier temps et sans plus attendre, l’Afsset propose de l’abaisser à 10f/L, en moyenne sur 8 heures, cela représente une diminution du risque d’un facteur 10», estimant « qu’elle (la VLEP à 100f/l) fait courir un excès de risque pour un travailleur de 3,3.10-3 (3,3 cas de cancers supplémentaires pour 1000 travailleurs exposés) qui ne peut être considéré comme acceptable. »

L’AFSSET précise cependant que « pour ce puissant cancérogène sans seuil de toxicité, seule la valeur la plus basse possible est acceptable (principe « ALARA »). L’Afsset recommande donc au ministère chargé du travail de réévaluer cette valeur régulièrement, afin de l’abaisser. »

En publiant ces chiffres l’AFSSET lance dès le 15 septembre 2009 un signal d’alarme au ministère du travail, afin qu’il prenne la mesure du désastre sanitaire passé et à venir et modifie sans délai la réglementation. Mais la volonté politique n’y est pas, la DGT a fait le choix de maintenir la VLEP en milieu professionnel à 100f/l depuis 2009.

Derrière cette décision politique il y a des enjeux économiques à sauvegarder avec détermination.

En effet, abaisser la VLEP c’est surtout générer des coûts supplémentaires pour les entreprises qui doivent, dès lors, développer des techniques de retrait nouvelles, notamment plus mécanisées, ou prévoir des phases de retrait plus longues pour protéger les travailleurs. De plus, diminuer la VLEP conduirait les entreprises à gonfler la facture présentée aux maîtres d’ouvrage dont beaucoup sont publics. C’est d’ailleurs le DGT qui le dit dans le monde du 16 mars, « de nombreux maires de gauche comme de droite ne tiennent surtout pas à ce que les chantiers de désamiantage s’arrêtent ». Les collectivités locales et territoriales seraient les premières impactées par une telle réforme avec les promoteurs immobiliers et bien sûr les autres maîtres d’ouvrage privés.

N’oublions pas que monsieur Jean Denis Combrexelle, qui suit le dossier de l’amiante depuis plus de dix ans, nous a déjà fait démonstration de son zèle à soutenir les entreprises de désamiantage et le patronat contre les agents de l’inspection qui sont les seuls à monter au créneau sur l’amiante. Rappelons-nous notamment du scandale des masques Proflows, et des instructions, désavouées notamment par le TGI de Rouen, visant à décrédibiliser l’inspection du travail qui préconisait la prise en compte du caractère friable d’un matériau à la base non friable suivant la technique de retrait afin d’assurer une protection optimale des travailleurs.

Cela étant avec le rapport de la campagne META le risque juridique existe bel et bien pour le DGT et le ministre du travail qui doivent cependant réagir. Alors comment éviter de se retrouver dans vingt ans mis en examen tout en essayant de protéger les intérêts économiques des puissants (politiques et patronat)? En effectuant une pirouette rhétorique et en faisant appel à l’expertise des techniciens. En effet, la DGT nous affirme que la période transitoire est nécessaire car on ne sait pas aujourd’hui assurer techniquement la protection des travailleurs, encore moins avec une VLEP à 10f/l. Elle précise que cette période permettra aux entreprises « d’ajuster leur évaluation des risques, d’innover en matière de protection collective et individuelle etde rechercher les meilleurs moyens de prévention disponibles ».

La DGT gagne du temps au détriment de la santé des travailleurs mais son argumentation ne tient pas, car les techniques existent pour réduire le niveau d’empoussièrement. Elles sont simplement plus coûteuses.

Si le ministère n’avait pas ouvert le marché de l’amiante à l’ensemble des entreprises de démolition, alors que le travail de retrait de l’amiante est hautement qualifié, les entreprises qui sont aujourd’hui certifiées selon des critères au rabais n’auraient pas à ajuster leur évaluation des risques. Devant ce constat d’échec, plutôt que d’interdire le retrait de l’amiante, comme l’a demandé le groupe socialiste le 2 mars dernier en déposant un moratoire à l’assemblée nationale, le gouvernement préfère faire croire aux salariés qu’ils sont protégés lorsqu’ils travaillent dans un niveau d’empoussièrement inférieur à 100f/l, alors que le code du travail les expose 20 fois plus que le code de la santé publique sans aucune justification.

amiante-interdiction-respirationNe soyons pas cyniques, cela ne représente « que  330 cas de cancer en plus » parmi les 107 000 salariés chargés du retrait de l’amiante et « seulement 6000 cas de cancer en plus » liés à l’amiante chez les professionnels du BTP, dont la plupart ne sera pas reconnue par la CPAM. Ces victimes s’ajouteront aux 100 000 morts liés à l’amiante à venir d’ici à 2025.

Ces victimes seront pourtant celles du ministère du travail.

Les insuffisances de la réglementation en matière de prévention et de protection du danger que représente l’inhalation des fibres d’amiante sont légions, notamment en matière de repérage des matériaux contenant de l’amiante, ou de responsabilités pénales des donneurs d’ordre. Cette politique mortifère doit être stoppée et la responsabilité pénale du DGT et des politiques pourrait être engagée.

Cela est parfaitement possible puisque le Comité Permanent Amiante (CPA), composé notamment de l’ancien secrétaire général de l’INRS, vient d’être récemment mis en examen pour « homicides, blessures involontaires et abstention délictueuse ». Le CPA avait dirigé la politique de l’amiante de 1982 à 1995 à la faveur des industriels et produit de fausses informations pour retarder l’interdiction de l’amiante en France.

Nous refusons de laisser les salariés du BTP être exposés aux risques de contracter un cancer lié à l’amiante.

La CNT demande au ministère du travail, pour que les travailleurs de l’amiante soient enfin considérer comme des hommes et non comme des consommables et que les agents de l’inspection du travail soient enfin protégés contre l’amiante, de prendre ses responsabilités et d’interdire le retrait de l’amiante jusqu’à :

1) La reconnaissance de l’exposition de tous les salariés du désamiantage depuis 1997. Ces salariés, que le ministère du travail a fait travailler avec des protections inadaptées dans une atmosphère ou l’employeur mesurait moins de 15% des fibres d’amiantes dans l’air pour justifier du respect d’une VLEP de 100f/L, soit 20 fois supérieur au seuil du code de la santé publique, ont été abondamment exposés à l’amiante.

2) L’abaissement immédiat, conformément aux recommandations de l’AFSSET, de la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) réglementaire au seuil le plus bas possible et, au minimum, au niveau de la valeur du code de la santé publique.

3) La prise en compte des FCA dans les mesures du niveau d’empoussièrement, dont le caractère cancérogène est fortement suspecté et qui représente 70% des fibres émises lors des opérations de retrait.

4) Un renforcement significatif de la réglementation en matière de repérage avant travaux des matériaux contenants de l’amiante ainsi que l’élaboration de critères drastiques de certification des opérateurs de repérage et des entreprises de désamiantage. En attendant, nous appelons les agents de l’inspection à ne plus pénétrer sur les chantiers de retrait d’amiante afin de protéger leur santé.

Nos vies valent plus que leurs profits !!!

 

Le tract en pdf : Amiante : crime social du ministère du travail