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Salaires : Coup de pouce ou doigt d'honneur !? – Loi El Khomri : continuons le combat !

Grâce à la mobilisation du 9 mars et les 500 000 manifestants qui sont descendus dans la rue, nous avons obtenu un premier recul du gouvernement sur le projet de loi travail. Mais c’est nettement insuffisant car, pour l’essentiel, le projet reste le même : diminuer les droits des travailleurs pour faire du Code du travail, non pas le socle minimum de droits des salariés mais son maximum, et ce par le jeu des accords d’entreprise.

Il nous donc continuer à maintenir la pression sur le gouvernement pour obtenir le retrait pur et simple !

Par ailleurs, jeudi 17 mars, le gouvernement a annoncé une augmentation de deux fois 0,6% du point d’indice des fonctionnaires. Cette minime augmentation ne rattrape en rien les pertes subies depuis des années. Depuis juillet 2010, date de la dernière augmentation du point d’indice, les travailleurs de la fonction publique ont été confrontés à une diminution continue de leurs revenus.
Cette baisse se fait sous couvert d’austérité. Pourtant, en 2014 et 2015, ne serait-ce qu’au travers du CICE (Crédit d’impôt compétitivité emploi), ce sont 23,5 milliards d’euros qui ont été versés aux entreprises pour créer des emplois, que l’on peut toujours attendre…

Ce n’est donc pas un coup de pouce, mais un doigt d’honneur fait aux travailleurs des trois fonctions publiques !

Ce mépris qu’affiche l’État pour les fonctionnaires est le même qu’envers les travailleurs du privé avec le projet de loi travail – El Khomri. L’État, y compris quand il est lui-même patron, joue le chantage à l’emploi pour diminuer les droits des travailleurs et leurs salaires.
L’État et les patrons sont sourds aux arguments, ils ne connaissent que le rapport de force. Ce ne sont pas ceux qui font les yeux doux au gouvernement qui ont obtenu les premiers reculs sur la loi travail, ce sont ceux qui étaient en grève ou dans la rue !
L’État ne cédera que sous la contrainte, la pression de la mobilisation.

Sur ces deux sujets, les salaires et la loi travail, il est important que les travailleurs, du public comme du privé, montrent leur unité face aux patrons et à l’État.

C’est pourquoi, le 31 mars, la CNT appelle à la grève générale interprofessionnelle public/privé – un mouvement dont il convient dès aujourd’hui de préparer la reconduction – pour les salaires et les droits des travailleurs :

  • Retrait de la loi travail – El Khomri ;
  • Revalorisation conséquente immédiate du point d’indice ;
  • Réduction des inégalités salariales par une augmentation du point d’indice inversement proportionnelle au niveau du salaire. L’augmentation du point d’indice doit être plus forte pour les bas salaires ;
  • Intégration des primes dans le salaire fixe (et donc la suppression de la RIFSEEP) pour mettre fin à la mise en concurrence perpétuelle des travailleurs, leurs divisions et augmenter les retraites.

resistance-et-drapeaux-cntAffiche « Ton Code du travail vau bien une grève générale » :
Affiche "Ton Code du travail vaut bien une grève générale"

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L’appel des syndicalistes contre la loi « travail »

Le projet de loi El Khomri est une insulte au monde du travail. Rarement l’attaque aura été aussi grave. Avec l’inversion de la hiérarchie des normes qui permet aux accords locaux au rabais, obtenus sous la pression, de se substituer aux accords de branche ; en lançant l’offensive contre l’outil syndical avec la promotion des référendums-bidons en entreprise ; en organisant et généralisant la précarité, la flexibilité et en facilitant les licenciements, c’est une dégradation majeure du temps et des conditions de travail de millions de salarié.e.s que prépare activement le gouvernement.

À nous de nous préparer tout aussi activement à l’en empêcher ! Tout ce que mérite un tel projet c’est une riposte déterminée et massive des travailleuses, des travailleurs et de la jeunesse. Et pour cela, c’est le blocage de l’économie qui est à l’ordre du jour.

Le 9 mars, nous étions des centaines de milliers à battre le pavé. Pour nombre de salarié.e.s qui composaient la majorité des cortèges, la grève s’imposait. Et depuis le 17 mars, journée nationale de mobilisation appelée par les organisations de jeunesse, des dates de grève dans différents secteurs professionnels sont annoncées ; le 24 mars, nouvelle  journée de mobilisation, le projet de loi sera présenté en Conseil des ministres, avec sans doute quelques effets d’annonces destinés à faire croire que la copie a été revue : nous le disons tout net, le projet de loi n’est ni amendable, ni négociable et seul son retrait, total, s’impose.

Enfin le 31 mars, la grève interprofessionnelle est à l’ordre du jour. Cette grève doit être activement préparée et nous pouvons profiter pour ça du calendrier d’action qui se dessine jusque-là pour renforcer la mobilisation. La seule manière de gagner et de faire plier le gouvernement, c’est de bloquer l’économie. Les travailleurs et les travailleuses doivent en effet prendre leurs affaires en mains dans cette lutte et ne doivent pas s’en remettre à des politiciens ou politiciennes qui n’ont que les élections de 2017 en vue. Et pour bloquer l’économie, ce qu’il faut c’est d’abord réussir la grève du 31 mars et préparer sa généralisation et sa reconduction partout où c’est possible dans les jours et semaines qui suivront !

Alors nous obtiendrons le retrait du projet de loi El Khomri. Alors nous pourrons préparer la contre-offensive, NOTRE contre-offensive en popularisant des revendications qui permettent de rassembler, sur lesquelles les équipes syndicales pourraient s’engager ensemble, à la base et dans l’unité. La réduction du temps de travail à 32 heures par semaine, sans réduction de salaires, ni flexibilité, sans arnaque à la clef comme l’ont été dans de nombreux secteurs les « 35 heures-Aubry », voilà par exemple ce qu’il est urgent de mettre en avant pour contrer les dégradations des conditions de travail et imposer des créations d’emplois.

Tout cela, nous nous engageons à le mettre en débat auprès de nos collègues, dans nos structures syndicales, dans les intersyndicales auxquelles nous participons. Nous sommes certain.e.s que ces préoccupations, nombreuses et nombreux sont les syndicalistes qui les partagent. Quelles que soient les appartenances syndicales, nous les appelons à rejoindre cet appel, à en proposer la signature à leur structure syndicale et à mutualiser les informations sur la mobilisation sur le blog lié à cet appel. C’est toutes et tous ensemble qu’on va lutter, c’est toutes et tous ensemble qu’on va gagner !

 
Pour en savoir plus et signer l’appel : http://onbloquetout.org


Les 100 premier-e-s signataires : Christian Agon (CGT IBM), Eric Amy (CNT Boulanger Hénin Beaumont) Sylvain Apostolo (syndicaliste de la Confédération Paysanne), Enaut Aramendi (LAB), François-Xavier Arouls (Solidaires Groupe RATP), Christine Avenel (CGT Territoriaux Saint-Brieuc), Dominique Bacha (SUD/Sifp Territoriaux du Gard), William Battault (Cheminot CGT Malesherbes), Jérémy Berthuin-Uhl (Solidaires Gard), Claire Bidon (Solidaires étudiant-e-s Paris 8), Dominique Blanch (SNUipp-FSU Aude), Dominique Blivet (SUD Rural Territoires), Nathalie Bonnet (Fédération SUD Rail), Antoine Boulangé (CGT enseignement privé Créteil), Cindy Briguet (CNT Santé-Social CT Lorraine), Martial Chappet (Solidaires Paris), Antoine Chauvel (SNUipp-FSU 72), Nara Cladera (UL Solidaires Comminges), Marie-Anne Clément (CGT éduc’action 41), Philippe Colon (CNT garages Renault groupe GGBA), Quentin Dauphiné (FSU), Cybèle David (SUD éducation 93), Stéphane Degl’innocenti (SUD hôpitaux de Saint-Denis), Laurent Degousée (SUD Commerce), Fabien Delmotte (CNT-Solidarité ouvrière), Etienne Deschamps (CNT-Solidarité ouvrière), Jean-Marc Destruhaut (CGT AXA), Emilie Devriendt (Snesup-FSU), Gaëlle Differ (Fédération SUD PTT), Dominique Dubreuil (CGT retraitée Inspection du travail), Bertrand Dumont (Solidaires Groupe RATP), Jean-Luc Dupriez (UL CGT Carquefou), Peggy Durlin (SUD Crédit Agricole Mutuel), Simon Duteil (UL SUD/Solidaires Saint-Denis), Mohamed El Mahrouss (SUD Hôtellerie-Restauration), Karim Eljihad (Syndicat Local Construction CGT 37), Marius Faure-Brac (Solidaires étudiant-e-s Grenoble), Arnaud Fonteny (SNEP-FSU Loiret), Henri Fourtine (SNASUB-FSU), Rémy Frey (US CGT Commerces et services Gibert Joseph), Philippe Gaser (Union syndicale de la psychiatrie Languedoc-Roussillon), Edouard Gloanec (SUD Santé-Sociaux Gard Lozère), Laurent Godard (Solidaires Draguignan), Guillaume Goutte (Syndicat des correcteurs CGT), Eddy Guilain (UL CGT Douai), Gaétan Helon (Syndicat Etudiant.e.s et Lycéen.ne.s-CGT valenciennois), Hortensia Inès (CNT-SO éducation), Stanislas Jaunet (Cheminot CGT Nantes), Ronan Jeanne (CGT Chômeurs Lorient), Raymond Jousmet (Snes-FSU), Mohamed Khenniche (Solidaires Industrie), Sylvère Labis (syndicat des retraités interpro CGT du Florentinois), Christel Lacaille (SUD Solidaires MATMUT Ile-de-France), Kaou Lampriere (Solidaires Ille-et-Vilaine), Catherine Laurenti (FSU), Isabelle Le Roux-Meunier (CGT Banque de France), Emmanuelle Lefevre (SNUipp-FSU Loire Atlantique), Chantal Legeais (CNT-Solidarité ouvrière du Nettoyage Rhône-Alpes), Jean-Yves Lesage (Syndicat Général du Livre CGT), Philippe Levet (SNUipp-FSU), Claude Lévy (CGT Hôtels de Prestige et économiques), Nathalie Loinsard (CGT Santé Ile-et-Vilaine), Alexis Louvet (CGT RATP Bus), Grégory Marchand (CGT éduc’action 92), François Marchive (Solidaires Isère), Cathy Menard (SUD Culture-Solidaires Loiret), Bruno Menguy (CNT-Solidarité ouvrière Hôtellerie-Restauration Paris), François Millet (SNU Pôle Emploi FSU), Marie-Line Mongin (SUD Santé Sociaux Rhône), Franck Monvoisin (CNT-Solidarité ouvrière de la Société Oent nettoyage), Grégoire Nadin (SNTRS CGT), David Nimeskern (CNT usine Renault SOVAB Batilly), Hélène Ohresser (Solidaires Bouches-du-Rhône), Louise Paternoster (SUD éducation 93), Ramón Pino (Syndicat parisien des diffuseurs de presse CGT), Julien Plaisant (Solidaires Val-de-Marne), Thierry Porré (Syndicat des correcteurs CGT), Jeronimo Prieto (LAB), Yves Quignon (UL CGT Douai), Hugo Reis (Fédération SUD PTT), Eddy Reyes (CGT Cheminots 30), Valérie Richard (CFDT Décathlon Lorraine), Julien Rodrigues (syndicat CGT Services publics), Théo Roumier (Solidaires Loiret), Olivier Sagette (CGT Paris – Banques), Mathieu Santel (SUD Aérien), Eric Santinelli (Fédération SUD Rail), Marie-Paule Savajol (CGT éduc’action Orléans-Tours), Jérôme Schmidt (Fédération SUD énergie), Frédéric Siméon (CNT Wolters Kluwer France), Eric Sionneau (Solidaires Indre-et-Loire), Pierre Stambul (FSU), Damien Steiner (CGT Cultura), Stéphane Thiel (CNT garages Renault groupe GGBA), Vincent Touchaleaume (STEG UTG Cayenne, Guyane), Julien Troccaz (Solidaires Savoie), Sylvie Vénuat (SNICS-FSU Loiret), Olivier Vinay (FSU), Elise Vinauger (section SUD éducation Université d’Orléans), Christian Zueras (CGT Haute-Pyrénnées)…
 

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Textes du patron

Les textes du projet de loi travail El Khomri

Le texte de la loi travail qui devait initialement être présenté en conseil des ministres le 9 mars 2016.  Son exposé des motifs
Les modifications du texte de la loi travail après la mobilisation du 9 mars 2016.

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Interprofessionnel

Le 17 mars en grève et dans la rue pour le retrait de la loi travail !

Ce mardi 14 mars, le gouvernement a annoncé quelques modifications à son projet de loi travail. Ces petits reculs obtenus par la mobilisation du 9 mars ne sont pas satisfaisants.

Ils ne modifient en rien le cœur même du projet de loi qui vise à faire du Code du travail, non pas le socle minimum de droits des salariés mais son maximum, et ce par le jeu des accords d’entreprise dont il est avant tout prévu qu’ils puissent diminuer les droits des salariés.

En outre, privilégier la négociation au niveau de l’entreprise a pour objectif de diviser les travailleurs en faisant jouer la concurrence entre eux. Toute l’histoire des luttes des travailleurs a été, au contraire, de créer des cadres collectifs les plus larges possibles face au patronat, car la force des travailleurs réside dans leur nombre et leur unité.

Il ne faut pas non plus se faire d’illusions en tant que travailleurs du public ; l’État, s’il réussissait à faire passer cette loi pour le privé, ne manquerait pas de s’appuyer sur ces reculs pour diminuer les droits des agents de la fonction publique.

La CNT appelle donc à maintenir la pression sur le gouvernement pour obtenir le retrait de la loi travail.

Le 17 mars en grève et dans la rue !


Carte des manifestations

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A lire - à voir

Le Code du travail, garant de l’emploi

Article de Rachel Saada paru dans le Monde Diplomatique de janvier 2016.

Deux siècles de luttes

Feu sur le droit et sur le code du travail, qui angoisseraient patrons et salariés et seraient responsables du chômage ! Ils doivent être réduits, ramenés à quelques grands principes, entend-on partout. Pourtant, avant de chercher à les déconstruire, il serait judicieux de voir comment ils se sont construits. Rien n’est là par hasard. Comme dans un écosystème, chaque élément est utile à certains, et le tout, utile à tous.

Cet édifice s’est élevé lentement au fil des siècles. Il s’est affermi dans la sueur et les larmes, parfois à cause de catastrophes industrielles ou de guerres. Et il n’a pas fini d’évoluer.

Dans le système économique d’après la Révolution française, il n’existe pas de droit du travail. Les rapports entre patrons et ouvriers sont régis par le contrat, le code civil précisant que celui-ci a force de loi. L’égalité entre les citoyens proclamée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 entraîne de facto l’égalité entre les contractants — une fiction juridique. La Révolution consolide ainsi le mythe de la liberté de négociation.

Le contrat lierait deux hommes libres et consentants, tous deux propriétaires, l’un de sa seule force de travail, l’autre de beaucoup plus et notamment des moyens de production, mais tous deux égaux malgré tout. M. François Rebsamen aurait pu sans risque d’anachronisme déclarer devant l’Assemblée nationale de l’époque, comme il l’a fait devant le Sénat le 22 mars 2015, alors qu’il était ministre du travail : « Le contrat de travail n’impose pas toujours un rapport de subordination ; il est signé entre deux personnes libres qui s’engagent mutuellement. » Cette liberté contractuelle se doublera alors de l’interdiction de tout groupement patronal ou ouvrier, ou de toute action concertée qui pourrait faire de l’ombre à la liberté de contracter d’individu à individu. C’est la loi dite Le Chapelier du 14 juin 1791.

Le travailleur donne donc à bail ses services, pour lesquels l’employeur paie un loyer (le salaire), comme un simple locataire. La force de travail n’étant qu’une marchandise, l’Etat n’a pas à intervenir : elle se régule par la logique de l’offre et de la demande. Déjà, on ne s’encombre pas de trop de lois dans ce domaine. La « pensée unique » de l’époque peut se résumer ainsi : « Ce qui est contractuel est juste. » Le code civil consacre 66 articles au louage de choses, dont 32 à celui du cheptel, et 2 seulement au « louage de service » — le contrat de travail du XIXe siècle.

La fiction de l’égalité des parties ne résiste pas à l’épreuve des faits, des maladies et des morts qui ponctuent les cent vingt années séparant la Révolution de la naissance d’un embryon de code du travail, en 1910. Il faut la misère des ouvriers et de leurs enfants — mise en lumière dans le rapport du docteur Louis René Villermé [1. A la suite de plusieurs pétitions réclamant une réglementation sur le travail des enfants, l’Académie des sciences morales décida en 1835 de se pencher sur le sujet et désigna deux enquêteurs : Louis-François Benoiston de Châteauneuf et Louis René Villermé.], qui dresse en 1840 un « tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie » — ainsi que les catastrophes industrielles pour que naisse le droit du travail moderne, celui-là même qui est vilipendé aujourd’hui.

Conçu pour que chacun puisse s’y retrouver

Quelques repères historiques aident à comprendre l’immensité de la tâche et sa difficulté, car, de tout temps, la doxa économique est venue s’y opposer. Ce n’est qu’en 1841, avec la loi du 22 mars, que le travail des enfants de moins de 12 ans a été limité à huit heures par jour, celui des moins de 8 ans prohibé dans les entreprises de plus de vingt salariés, et le travail de nuit interdit pour tous les enfants. Les débats à l’Assemblée ont été âpres. Le 5 mars 1841, l’économiste Pellegrino Rossi martèle ainsi : « Je le répète, cet enfant [qui ne travaillera plus] sera souvent la victime de la négligence de ses parents. N’oublions pas les égarements des passions humaines. Quand le salaire collectif de la famille se trouvera ainsi diminué, c’est sur l’enfant que retombera la colère d’un père ignorant et grossier ; c’est le plus faible qui en souffrira. » Malgré cet assaut d’arguments de haut vol, la loi est adoptée.

Celle du 26 mai 1864 abroge le délit de coalition, mettant ainsi fin à la pénalisation de la grève. Il est permis de constituer des syndicats professionnels après la loi du 21 mars 1884, mais il faudra attendre… 1968 pour que le syndicat puisse entrer dans l’entreprise, à travers la section syndicale. Toujours la prévalence du droit de propriété et de la règle du charbonnier maître chez lui.

Près d’un siècle après la Révolution, la loi du 10 mai 1874 interdit complètement le travail des enfants de moins de 12 ans. C’est aussi l’année de naissance de l’inspection du travail. Deux décennies plus tard, la loi du 12 juin 1893 obligera les employeurs à respecter des règles d’hygiène et de sécurité dans les usines et les manufactures, les morts et les estropiés se comptant par milliers et menaçant les recrutements dans l’armée. Puis, le 9 avril 1898, les accidents du travail sont reconnus en tant que tels : la loi instaure un régime de « responsabilité sans faute » des employeurs. L’indemnisation des accidentés est assurée en échange d’une certaine immunité patronale.

Mais, en ces années de révolution industrielle, la course à la productivité continue de tuer. La catastrophe de la mine de Courrières, le 10 mars 1906, fait plus de mille morts. Les grèves qui s’ensuivent imposent enfin le droit au repos dominical (loi du 13 juillet 1906). Loin d’entraver l’emploi, le code du travail le sauve, tout simplement.

En 1918, avec la démobilisation et le retour du front, les demandeurs d’emploi affluent ; le chômage menace. Sous la pression, le gouvernement accepte une réduction du temps de travail à huit heures par jour, six jours par semaine (loi du 23 avril 1919), afin de favoriser la création d’emplois. On expérimente alors le principe « Travailler moins pour travailler tous ».

Signés le 7 juin 1936 entre le patronat et la Confédération générale du travail (CGT), sous les auspices du gouvernement du Front populaire dirigé par Léon Blum, les accords de Matignon sont restés dans les mémoires. Ils sont transposés dans la loi qui fixe la durée du travail à quarante heures hebdomadaires et donne aux salariés deux semaines de congés payés. Pour la première fois, la vie ne se réduit pas à l’aliénation au travail ; elle peut commencer à s’ouvrir sur autre chose.

Après l’horreur de la seconde guerre mondiale, dans un pays détruit et ruiné, les hommes et les femmes de la Libération, profitant de la position de faiblesse d’un patronat français qui s’est enrichi et a collaboré avec l’occupant allemand, posent les fondements du droit moderne : les comités d’entreprise, la Sécurité sociale [2. Lire Bernard Friot et Christine Jakse, « Une autre histoire de la Sécurité sociale », Le Monde diplomatique, décembre 2015.], la médecine du travail, les comités d’hygiène et de sécurité, les caisses de chômage, le salaire minimum.

Ces principes n’ont pas seulement germé dans la tête de quelques illuminés communistes ou gaullistes. La déclaration de Philadelphie du 10 mai 1944, adoptée à l’unanimité par l’Organisation internationale du travail (OIT), proclame en son article premier que « le travail n’est pas une marchandise », et en son article 2 qu’« une paix durable ne peut être établie que sur la base de la justice sociale ». L’OIT reconnaît ainsi que le contrat qui considère le travail comme une marchandise a produit la guerre, relève Alain Supiot, professeur au Collège de France, dans L’Esprit de Philadelphie [3. Alain Supiot, L’Esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total, Seuil, Paris, 2010.].

Mais, dans les années 1980 et 1990, deux facteurs vont converger : la contre-révolution libérale menée sous la houlette de Ronald Reagan aux Etats-Unis et de Margaret Thatcher au Royaume-Uni, puis la soudaine conversion des pays européens se réclamant du communisme à l’économie de marché. Cette occasion historique permet de défaire les solidarités construites depuis la seconde guerre mondiale pour les remplacer par les dogmes du marché. Ainsi s’opère ce que Supiot appelle le « grand retournement ». Certes, en France, la contre-révolution est plus longue à mettre en œuvre que dans les pays anglo-saxons ; mais les gouvernements successifs n’y renoncent pas.

Ce bref rappel historique permet de mesurer l’inanité des discours relayés avec complaisance par certains journalistes, à l’exemple de David Pujadas qui, au journal télévisé de France 2, le 8 septembre 2015, abattait devant lui un épais volume, « notre fameux code du travail, si lourd avec ses près d’un kilo et demi » [4.Lire Gilles Balbastre, « Combien de pages valez-vous ? », Le Monde diplomatique, novembre 2014.]. Dans une société où la minceur fait l’objet d’un culte et passe pour un signe de bonne santé, le terme « obèse », souvent employé, n’a rien d’innocent : il signifie que le code du travail n’est pas seulement épais, mais aussi malade.

L’offensive vise à mettre à bas les principes mêmes du droit du travail, qui tempèrent encore quelque peu la logique de l’ultralibéralisme. Comme les critiques sont formulées pour de mauvaises raisons, elles ne peuvent reposer que sur des mensonges. M. Patrick Quinqueton, conseiller d’Etat, ancien inspecteur du travail, membre du groupe qui a travaillé en 2008 à la recodification souhaitée par le président Nicolas Sarkozy, rappelle que, si le nombre d’articles a été augmenté, c’est de façon délibérée, « en appliquant le principe selon lequel chacun, pour être compréhensible, ne doit comporter qu’une seule disposition [5. Patrick Quinqueton, « Le code du travail mérite-t-il d’être brûlé ? », Semaine sociale Lamy, no 1684, Paris, 2 juillet 2015.] ». Et si le code comporte de nombreuses parties, c’est précisément pour que tous puissent s’y retrouver, qu’ils soient salariés, dirigeants d’une très petite entreprise (TPE), d’une petite ou moyenne entreprise (PME) ou d’un grand groupe. Les TPE n’ont ainsi pas à connaître le chapitre des relations collectives, avec ses 105 articles sur les délégués du personnel ou les 289 autres consacrés aux comités d’entreprise.

De même, ce qui concerne la durée du travail et la rémunération a été regroupé dans la troisième partie. Les 210 articles relatifs au temps de travail ne s’appliquent pour l’essentiel qu’« à défaut d’accord de branche ou d’entreprise ». Ceux relatifs aux salaires ne portent que sur le respect du smic et sur la protection du salaire (par exemple contre les saisies). Enfin, comme le souligne toujours M. Quinqueton, la quatrième partie, relative à la santé et à la sécurité des travailleurs, comporte 2 500 articles. Serait-ce là que se niche la poche de graisse qui contrevient de façon si insupportable aux canons de beauté ?

Le plus souvent, il s’agit de dispositions techniques très précises pour une activité ou une autre, comme l’article sur la « prévention contre les risques chimiques » : « Les concentrations des agents présents dans l’atmosphère des lieux de travail figurant dans le tableau suivant ne doivent pas dépasser dans la zone de respiration des travailleurs les valeurs [ici définies]. » Suit une liste impressionnante de produits chimiques dangereux, comme l’acétone ou le chlorobenzène. Faudrait-il supprimer de telles dispositions ?

Une fable colportée depuis trente ans

En réalité, ceux qui se plaignent de la multiplication des textes y ont eux-mêmes contribué, puisque, depuis le début des années 1990, les employeurs ont réclamé et obtenu dérogation sur dérogation, soit autant de pages supplémentaires. Quant à l’idée selon laquelle les licenciements d’aujourd’hui feraient les emplois de demain, il y a plus de trente ans que le patronat colporte cette fable. Déjà, dans les années 1980, M. Yvon Gattaz, président du Conseil national du patronat français (CNPF) — l’ancêtre du Mouvement des entreprises de France (Medef), que dirige aujourd’hui son fils, M. Pierre Gattaz —, avait demandé et obtenu la suppression de l’autorisation administrative de licencier. Il clamait urbi et orbi que si les entreprises n’embauchaient pas, c’était parce qu’elles devaient demander à l’inspection du travail l’autorisation de licencier. Depuis 1986, plus besoin d’autorisation… mais pas d’embauches pour autant.

Dans les années 2000, il a été décrété que le droit du licenciement était compliqué : nécessité d’une convocation à entretien et énonciation écrite du motif. Les risques judiciaires encourus par l’employeur pouvaient mettre en danger l’entreprise, affirmait-on aussi. En janvier 2008, on a donc instauré la rupture conventionnelle : pas de convocation formelle, pas de motif à indiquer, pas de contestation possible devant le conseil des prud’hommes — sauf démonstration d’un vice du consentement. Résultat : un record de ruptures conventionnelles chaque année (plus d’un million en 2014) et pas d’embauches en contrat à durée indéterminée (CDI) pour compenser [6. Lire Céline Mouzon, « Rupture conventionnelle, virer sans licencier », Le Monde diplomatique, janvier 2013.]. Au contraire : on remplace ces derniers par des contrats à durée déterminée (CDD), qui représentent 85 % des embauches. Et qui, jugés trop compliqués, sont désormais à leur tour dans le collimateur : l’idéal serait de les remplacer par des contrats de mission, aussi précaires, mais plus longs.

Martelant un discours qui n’est jamais décortiqué par les médias, les patrons répètent qu’ils veulent moins de lois, tout en réclamant et en obtenant une protection forte de l’Etat quand il s’agit de valider leurs plans de licenciements : avec la loi du 13 juin 2014, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) les homologuent en un temps record (vingt et un jours au plus tard après la demande patronale), et le juge ne peut plus s’en mêler. Une loi formidable, claire comme de l’eau de roche…

La violence du combat idéologique et l’inégalité des armes conduisent en général à adopter une position défensive, alors que des progrès sont encore possibles. Certains glorifient la négociation collective, parant le « dialogue social » de toutes les vertus ; mais cela a-t-il un sens au moment où les syndicats n’ont jamais été aussi faibles ? Il en résultera non pas une meilleure compréhension du droit, mais un émiettement des droits ainsi qu’une jurisprudence encore plus foisonnante. Et, contrairement à ce qu’assurent Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen dans leur ouvrage Le Travail et la loi, aucun lien entre protection des travailleurs et taux de chômage n’a jamais pu être démontré.

Le professeur de droit du travail Pascal Lokiec relève que ces polémiques dénotent « un changement profond dans la problématique du droit du travail ». On est en train, dit-il, « de sortir de l’opposition entre salariés et employeurs au profit d’une opposition entre travailleurs et chômeurs, entre travailleurs précaires et permanents » [7. Pascal Lokiec, Il faut sauver le droit du travail !, Odile Jacob, Paris, 2015.]. A ce jeu, salariés, chômeurs et précaires sortiront tous perdants…

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Report ou pas : le 9 mars et au-delà, on sera là !

Communiqué du bureau confédéral de la CNT du 5 mars 2016

Manuel Valls a annoncé le report de présentation de la Loi Travail à fin mars. Ne nous leurrons pas, ce report qui intervient face à la colère sociale montante n’enlève rien à la volonté du gouvernement d’en découdre avec les classes populaires. Nul doute que cela lui laissera le temps de négocier ce projet de régression sociale avec ses partenaires sociaux : Medef et « syndicats complaisants » de la réforme (ceux qui négocient la taille des chaînes).

D’ailleurs, ce jeudi 3 mars, l’intersyndicale « réformiste » (composée de la CFDT et de ses alliés) a décidé de céder à la tentation des petits arrangements avec le gouvernement tandis que celle composée des centrales plus « combatives » a annoncé qu’elle ne commencerait à mobiliser qu’à la fin du mois. Pourtant, d’ores et déjà, de nombreuses initiatives ont émergé spontanément des bases syndicales et populaires du pays : préavis de grève dans le secteur des transports, dans de nombreuses entreprises privées et services publics mais également au sein de la jeunesse avec un appel à manifester de toutes les organisations, syndicats étudiants et lycéens dès le 9 mars. C’est bien là l’expression de la force des bases militantes lorsqu’elles prennent leurs affaires en mains face aux bureaucraties et c’est tant mieux !

La CNT se félicite de ces réactions salutaires et participe partout où elle le peut à la construction de cette dynamique en portant une stratégie de grève reconductible interprofessionnelle, tant sur les revendications sectorielles (face aux coupes budgétaires et à l’austérité généralisé dans les services publics et le social, pour la hausse des salaires, pour l’amélioration des conditions de travail, etc.) que sur celles touchant l’ensemble de la société et restreignant encore plus ses droits et conditions de vie :

  • Retrait de la Loi Travail impliquant la destruction des droits collectifs contenus dans le Code du Travail ;
  • Abrogation de la loi Macron libéralisant l’ensemble de l’économie et impliquant la restriction des droits syndicaux ;
  • Abrogation des réformes patronales telles que le CICE (60 milliards d’euros de cadeaux au patronat) et autres pactes de compétitivité n’ayant quasiment créé aucun emploi mais ayant par contre garanti une progression des marges bénéficiaires au profit exclusif des actionnaires et grands patrons ;
  • Arrêt des peines de prisons pour les syndicalistes et répressions massives suite à l’établissement de l’état d’urgence et à sa future constitutionnalisation, tout comme le racisme affiché de la déchéance de nationalité. N’en jetez plus, la coupe est pleine.

Pour construire un mouvement social fort et victorieux, l’heure est à la démocratie directe et à la convergence des luttes. La CNT appelle toutes et tous à se mobiliser massivement dans les grèves et à amplifier les diverses initiatives de lutte qui émergent, et notamment les 9 et le 31 mars prochains.

Tous les acquis n’ont été obtenus que par la lutte !

La CNT

Tract argumentaire : Pourquoi la loi Travail mérite-t-elle une grève générale ?

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Le mauvais procès instruit contre le Code du travail

Extrait de la préface à la seconde édition de Au-delà de l’emploi (2016, Flammarion) d’Alain Supiot.

Article paru sur Alterecoplus.

« Le droit du travail est dénoncé dans tous les pays européens comme le seul obstacle à la réalisation du droit au travail. A l’image du président Mao guidant le Grand Bond en avant [1. Imposé par Mao dans les années 1950 pour rattraper le niveau de développement des pays industrialisés, cette politique économique aveugle aux réalités a causé l’une des plus grandes famines de l’histoire, provoquant la mort de plus de 30 millions de personnes selon les estimations actuelles (cf. Yang Jisheng, Stèles. La Grande famine en Chine, 1958-1961, Paris, Seuil, 2012, 660 p.).], la classe dirigeante pense être l’agent historique d’un monde nouveau, dont l’avènement inéluctable exige de la population le sacrifice de toutes les sécurités acquises. Cette fuite en avant est éperdue chez les gouvernants des pays de la zone euro.

S’étant privés de tous les autres instruments de politique publique susceptibles de peser sur l’activité économique, ils s’agrippent au seul levier qui leur reste : celui de la déréglementation du droit du travail. Agrippement d’autant plus frénétique qu’ils sont désormais placés sous la menace des sanctions prévues par les traités, mais aussi et surtout de la perte de confiance des marchés financiers.

La Commission et la Banque centrale européenne les pressent de procéder aux « nécessaires réformes structurelles », nom de code de la « réduction du coût du travail » et de la « lutte contre les rigidités du marché du travail [2. Cf. les « Recommandations de la Commission européenne concernant le programme national de réforme de la France » publiées le 13 mai 2015, COM (2015) 260 final ; et dans le même sens, M. Draghi, « Réformes structurelles, inflation et politique monétaire », discours d’ouverture du président de la BCE, au forum consacré à l’activité de la Banque centrale (Sintra, le 22 mai 2015), accessible en ligne sur le site de la BCE (www.ecb.europa.eu).] ».

Relayé quotidiennement dans les médias par les talking classes [3. Christopher Lasch désigne ainsi la « classe jacassante », omniprésente dans les médias (La Révolte des élites, op. cit., p. 89).], l’appel à ces « réformes courageuses » est un mot d’ordre si rabâché depuis quarante ans, qu’on en oublierait presque l’obscénité du spectacle donné par ceux qui, cumulant souvent eux-mêmes les sécurités du public et les avantages du privé, dénoncent au nom des outsiders les avantages extravagants dont jouiraient les insiders et n’ont de cesse d’opposer les chômeurs aux smicards, les précaires aux titulaires d’un emploi stable, les salariés aux fonctionnaires, les actifs aux retraités, les immigrés aux indigènes, etc.

Que veut dire « réformer » ?

Une véritable réforme du droit du travail n’a évidemment rien à voir avec les sermons de ceux qui relaient ainsi la consigne de l’adaptation des hommes aux besoins d’un Marché devenu total. Ces prédicateurs s’inscrivent dans la lignée des « terribles simplificateurs [4. En français dans le texte d’une lettre de Jacob Burckhardt du 24 juillet 1889, Briefe an seinen Freund F. von Preen, 1864-1893, Stuttgart-Berlin, Deutsche Verlag Anhalt, 1922, p. 248.] », dont Jacob Burckhardt annonçait l’« absolue brutalité [5. Cf. J. Nurdin, Le Rêve européen des penseurs allemands (1700-1950), Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2003, 296 p.]».

C’est un abus de langage en effet de qualifier de projets de réforme du droit du travail les appels à sa déréglementation. De tels projets sont au droit du travail ce que le redécoupage des régions a été à la réforme territoriale française décidée en 2014 : non pas l’expression d’une action politique réfléchie, mais des signaux destinés à satisfaire l’appel aux « réformes structurelles » ; non pas la source de plus de simplicité et de démocratie, mais au contraire de plus de complexité et de prébendes.

Il ne faut pas confondre en effet le transformisme, qui réduit la politique à la soumission aux contraintes du marché et à l’évolution des mœurs, avec le véritable réformisme, qui consiste à mettre politiquement en œuvre la représentation d’un monde plus libre et plus juste [6. Cf. B. Trentin, La libertà viene prima. La libertà come posta in gioco nel conflitto sociale, Rome, Editori reuniti, 2004, p. 128.]. Réformer le droit du travail exige de prendre la mesure de l’extrême complexité et des transformations profondes de la division du travail dans le monde contemporain, et d’imaginer sur cette base des catégories juridiques nouvelles, propres à favoriser la liberté, la sécurité et la responsabilité de tous les travailleurs. (…)

Un vieux procès

Au moment où nous rédigions notre rapport [c’est-à-dire en 1999, N.D.L.R.] les pratiques des entreprises, peu à peu légalisées, voire encouragées par les Etats, promouvaient déjà depuis des années le travail précaire, à durée déterminée, le travail à temps partiel, la mise à leur compte de travailleurs plus ou moins indépendants, la pluriactivité, la sous-traitance, le recours à des travailleurs détachés, l’intermittence, etc.

Et depuis des années déjà, la difficulté des entreprises à créer de l’emploi était imputée à un droit du travail devenu trop protecteur et trop complexe. Dès 1984, M. Yvon Gattaz – président du CNPF et père de l’actuel président du Medef – promettait l’embauche de 471 000 salariés moyennant la création d’« emplois nouveaux à contraintes allégées » (Enca). C’est pour répondre à cette demande que fut supprimée en 1986 la suppression de l’autorisation préalable de licenciement, qui ne se solda par aucune création nette d’emplois.

L’argument n’en est pas moins repris aujourd’hui par les organisations patronales, selon une démarche typiquement française[7. On n’imaginerait pas le dirigeant d’une grande entreprise allemande qui, perdant des parts de marché, en imputerait la responsabilité à la Bundesrepublik au lieu de commencer par s’interroger sur la sienne. Il est vrai que les patrons allemands sont le plus souvent sortis du rang et ont une culture industrielle qui fait défaut à leurs homologues français, sortis du moule des grandes écoles et habitués à passer du public au privé. Cf. Hervé Joly (dir.), Formation des élites en France et en Allemagne, Paris, CIRAC, 2005, 228 p. ; Joël Massol, Thomas Vallée et Thomas Koch, « Les élites économiques sont-elles encore si différentes en France et en Allemagne ? », Regards sur l’économie allemande, no 97, 2010, p. 5-14.]. L’Etat en France est « l’ennemi commun mais aussi l’allié de tous » . Comme les médecins, les agriculteurs, les universitaires ou les motards en colère, bref comme tout ce que la France compte de corporations, les dirigeants d’entreprise imputent toujours leurs difficultés d’abord à l’Etat plutôt qu’à eux-mêmes. Tous se tournent vers la République comme vers une « Big Mother » dont on dénonce l’envahissement tout en en réclamant l’aide [8. Michel Schneider, Big Mother : Psychopathologie de la vie politique, Paris, Odile Jacob, 2005, 379 p.].

L’argument a donc pu sans peine être répété en chœur par le monde politique et les experts de tout poil : le premier responsable du chômage, c’est le code du travail ! Qu’attend donc le gouvernement pour en réduire drastiquement le volume et voir refleurir l’emploi en France ?

Simplifier ou déréglementer ?

C’est dans ce contexte que de bons esprits ont récemment déclaré avoir découvert un « remède à portée de main » à la lutte contre le chômage : une simplification drastique du droit du travail, ramené à cinquante principes, qui en seraient autant de « poutres maîtresses [9. Cf. R. Badinter et A. Lyon-Caen, « Pour une Déclaration des droits du travail », Le Monde du 6 juin 2015, et la version un peu plus longue publiée sous le titre Le Travail et la Loi, Paris, Fayard, 2015, p. 80.] ».

Les meilleurs spécialistes n’ont pas manqué de noter que des principes pourtant aujourd’hui reconnus en droit français, comme le droit de grève [10. E. Dockès, « Préservons un système qui protège les employés, Le Monde, 27 juin 2015, p. 15.] ou le salaire minimum [11. J.-J. Dupeyroux, « Faut-il simplifier le Code du travail ? », L’Observateur, 27 août 2015. ], ne figuraient pas dans cette liste. Tandis qu’en revanche s’y trouve promu un « principe » jusqu’ici inconnu : celui de la prescription triennale des salaires, dérogatoire au droit commun et défavorable aux salariés [12. J.-J. Dupeyroux, « Faut-il simplifier le Code du travail ? », art. cité.]. Ce qui laisse entrevoir sous la paille de la simplification le grain de la déréglementation.

« Séquence » politique

La publication de cet ouvrage s’est du reste inscrite dans une « séquence » politique coordonnée par le Premier ministre et destinée à répondre aux consignes européennes de « réforme structurelle » du droit du travail. Dans sa lettre de mission du 1er avril 2015, le Premier ministre demandait au président de la section sociale du Conseil d’Etat, M. Jean-Denis Combrexelle, de conduire une réflexion sur « la place des accords collectifs en droit du travail et la construction des normes sociales », en lui indiquant qu’il « aura profit à examiner les contributions des think tanks et publications à venir [13. Cf. le texte de cette lettre de mission, reproduit en annexe du rapport de J.-D. Combrexelle cité infra.] ».

Ont été publiés dans la foulée, en juin 2015 l’ouvrage de MM. Badinter et Lyon-Caen, et en septembre deux rapports de ces fameux think tanks : l’un de l’Institut Montaigne proposant de « sauver le dialogue social » et l’autre de l’institut Terra Nova indiquant comment « Réformer le droit du travail ». Clôturant cette séquence, M. Combrexelle pouvait remettre le 9 septembre 2015 son rapport, dont les conclusions allaient évidemment dans le même sens [14. J.-D. Combrexelle, La Négociation collective, le travail et l’emploi, rapport au Premier ministre, France Stratégie, septembre 2015, p. 135.]. Cette publication a ouvert une nouvelle « séquence », avec la nomination d’une commission présidée par M. Badinter chargée de définir les « principes fondamentaux du droit du travail ».

Etendre la négociation d’entreprise

Face à « l’obésité » du code, la « réforme » du droit du travail consistera à étendre considérablement le champ de la négociation d’entreprise, en réduisant celui de l’ordre public et en limitant la capacité de résistance éventuelle que les salariés tirent de leur contrat individuel. Ce qui frappe le plus dans cette résurgence du vieux projet de « contrat collectif d’entreprise » est d’abord son caractère suranné. C’est une vieille idée puisée dans les recettes du néolibéralisme, d’abord avancée par le Premier ministre Raymond Barre dans les années 1970, puis dans les années 1980 et 1990 sous le nom de « contrat collectif d’entreprise » [15. J.-D. Combrexelle, La Négociation collective, le travail et l’emploi, rapport au Premier ministre, France Stratégie, septembre 2015, p. 48.] ». Elle participe de l’agenda néolibéral des années 1970, qui a déjà été largement mis en œuvre et dont il serait avisé de dresser le bilan plutôt que de continuer à y obéir aveuglément.

Depuis trente ans en effet – contrairement aux poncifs sur l’aversion française aux réformes –, toutes les potions du néolibéralisme censées doper la croissance et l’emploi ont été administrées à notre pays : la corporate governance, le new public management, la déréglementation des marchés financiers, la réforme des normes comptables, l’institution d’une monnaie hors contrôle politique, l’effacement des frontières commerciales du marché européen… Et bien sûr la déconstruction du droit du travail, objet d’interventions législatives incessantes et source première de l’obésité (réelle) du code du travail.

Le mauvais bilan du libéralisme

Mais quel est le bilan de ces réformes ? La déréglementation des marchés financiers a conduit à leur implosion en 2008, suivie de l’explosion du chômage et de l’endettement public. La corporate governance, en indexant les intérêts des dirigeants des grandes entreprises sur le rendement financier à court terme, a précipité ces dernières dans un temps entropique incompatible avec l’action d’entreprendre, l’investissement productif et donc… l’emploi. Quant au droit du travail, le reflux de la loi au profit de la négociation collective a déjà été largement engagé.

Avec quels résultats ? M. Combrexelle a le mérite de le dire clairement : « La négociation collective n’est plus adaptée aux exigences d’une économie moderne et mondialisée, les acteurs sont fatigués et dépassés, les résultats sont décevants, bref la négociation collective ne permet pas d’obtenir des résultats conformes à l’intérêt général[16. « Comme en témoigne la lettre de mission du Premier ministre, le gouvernement fait clairement le choix de [cette] option », J.-D. Combrexelle, rapp. cité, p. 49).]. » S’il recommande de persévérer dans cette voie, c’est explicitement par devoir plutôt que par conviction.

Pourquoi le code du travail est-il obèse ?

Il est vrai que le code du travail est devenu énorme et compliqué. Cela pour au moins deux raisons. La première, évoquée dans notre rapport, est que le droit du travail régit aujourd’hui la plus grande partie de la population active ; non plus une classe ouvrière homogène mais un monde du travail hétérogène et complexe. Or, le propre d’un droit codifié est de réunir dans un même codex les règles répondant à cette complexité et cette hétérogénéité.

Dans les pays où cette législation est éparpillée en textes divers, la pratique éprouve le besoin de compilations, dont le volume n’a rien à envier à notre code. Par exemple en Allemagne le Arbeitsrechts-Handbuch : Systematische Darstellung und Nachschlagewerk für die Praxis, qui compte 3 030 pages dans son édition 2015 et pèse plus de 2 kg. Et si l’on veut comparer ce qui est vraiment comparable, on pourrait mettre en regard de notre code du travail, celui du commerce ou le code général des impôts, puisque tous s’appliquent également aux entreprises. Si l’on prend les excellentes versions annotées publiées en 2015 par les éditions Dalloz, on constate que ces codes sont aussi volumineux (environ 3 800 pages) que le code du travail.

Sans que l’on dénonce le poids écrasant qu’ils feraient peser sur les petits entrepreneurs, ni que l’on s’interroge sur l’impact du droit commercial ou du droit fiscal sur l’emploi. Or, si l’on s’avisait de publier à l’intention des entreprises de moins de onze salariés (soit plus des deux tiers des entreprises françaises, employant un salarié sur cinq), une version du code du travail restreinte aux seules dispositions qui les concernent, il s’agirait d’un ouvrage assez mince et d’un accès assez commode.

Calcul économique

La seconde raison de l’inflation des lois en droit du travail est l’asservissement de ces dernières au calcul économique. Réduite à l’état d’outil de politique économique, la loi dégénère en bavardage normatif abscons et inconstant. Déjà à l’œuvre dans la planification soviétique, cette instrumentalisation de la loi est aujourd’hui théorisée par la doctrine Law and Economics et mise en œuvre par les « politiques de l’emploi » et de « fluidification du marché du travail », qui sont aujourd’hui la principale source de l’obésité et de la complexité du code du travail.

Ainsi, le démantèlement progressif de la règle claire et simple du repos dominical [17. Code du travail, article L.3132-3. ] a conduit depuis une dizaine d’années à un empilement de dispositions législatives, dont la couche la plus récente (loi dite « Macron » du 7 août 2015) a ajouté sur ce seul sujet au code du travail quinze articles d’un volume équivalent de cinq pleines pages du Journal officiel [18. Code du travail, article L.3132-20 à 3132-27-2]. Promulguée dix jours plus tard, la loi « Rebsamen » l’a lesté de 43 pages supplémentaires, destinées selon son exposé des motifs à « simplifier les obligations d’information, de consultation et de négociation dans l’entreprise »…

L’épuisement du modèle industriel de l’emploi

Le procès ainsi instruit contre le code du travail occulte les causes profondes de la crise de l’emploi. Ces causes sont à rechercher dans l’effacement des frontières du commerce, dans la révolution informatique et dans la dictature des marchés financiers, qui se conjuguent pour saper les bases économiques et territoriales de l’Etat social et pour mettre les travailleurs du monde entier en concurrence, en vue de l’établissement de ce que Friedrich Hayek, l’un des pères de l’ultralibéralisme, a nommé la catallaxie, c’est-à-dire « l’ordre engendré par l’ajustement mutuel de nombreuses économies individuelles sur un marché [F.A. Hayek, Le Mirage de la justice sociale (1976), PUF, 1981, p. 131.] ».

Quand nous avons entrepris nos travaux, l’échec de toutes les politiques (de droite comme de gauche) de flexibilisation de l’emploi pour lutter contre le chômage sautait déjà aux yeux. Le développement du travail précaire sous toutes ses formes, les différents dispositifs « ciblés » sur les jeunes, vieux, chômeurs de longue durée… avaient montré leur impuissance pour assurer à toute la population un travail décent, en dépit de l’allègement des charges sociales et de la restriction des droits sociaux qu’ils autorisent.

Ces mesures ont en revanche eu pour effet de réduire le périmètre et le niveau de la protection sociale attachée à l’emploi. Elles participent aussi du mouvement plus général de mise en concurrence des travailleurs les uns contre les autres : européens contre immigrés, salariés contre fonctionnaires, titulaires d’un CDI contre précaires, jeunes contre vieux, Français ou Allemands contre Polonais ou Grecs… Cette mise en concurrence détruit les solidarités nécessaires à une action revendicative commune, engendre la division syndicale et attise les repliements corporatistes et xénophobes [20. De 2006 à 2011, le nombre de travailleurs détachés en France, avec une déclaration en bonne et due forme, a été multiplié par quatre, passant de 37 924 salariés à 144 411. Il a augmenté de 8 % au cours de la seule année 2014, atteignant 230 000 salariés. Le nombre des détachés « irréguliers » serait à peu près équivalent. L’économie pour l’utilisateur est considérable puisque le travailleur détaché n’est pas assujetti aux cotisations sociales du pays d’accueil (en France un ouvrier polonais dans le BTP revient ainsi 30 % moins cher que son « concurrent » français ou malien en situation régulière). Voir le rapport du sénateur Éric Bocquet fait au nom de la commission des affaires européennes, no 527 (2012-2013), 18 avril 2013 ; Les Échos, 12 février 2015.]. »

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Clip confédéral contre le projet de loi El Khomri de réforme du Code du travail

Posté par CNT Lille sur mercredi 2 mars 2016