Un projet de règlement intérieur à usage hiérarchique ?
Comme annoncé dans la loi travail et défini par l’article L.8124-1 du code du travail « un code de déontologie du service public de l’inspection du travail » doit être établi par décret. Celui-ci doit fixer « les règles que doivent respecter ses agents ainsi que leurs droits dans le respect des prérogatives et garanties qui leurs sont accordées pour l’exercice de leurs missions définies notamment par les conventions n° 81 et n° 129 de l’Organisation internationale du travail ».
Un projet de décret vient de sortir pour être soumis au prochain CTM.
Que peut-on en dire en première analyse ?
1. « Préserve-moi de mes amis, je m’occupe de mes ennemis »
Comme nous pouvions le craindre ce code de déontologie est avant tout conçu comme un outil disciplinaire à usage essentiellement hiérarchique.
Ainsi, si l’article R.8124-1 commence par lister l’ensemble des agents du « service public de l’inspection du travail », y compris les autorités hiérarchiques comme étant soumis à ce code, c’est tout de suite après pour en confier l’application à cette même « autorité hiérarchique » (articles R.8124-3 et R.8124-3).
Cette même « autorité », juge et partie, se voit confier une mission explicite d’exégèse des obligations découlant du code de déontologie. Elle doit en « expliquer le sens à l’ensemble des agents placés sous son autorité » et « précise, en tant que de besoin par ses instructions, les modalités de mise en œuvres ».
C’est donc le chef de service qui nous explique ce que nous devons comprendre et comment l’appliquer.
Et si ce sont les pratiques du chef lui-même qui posent un problème déontologique, que fait-on ?
Si cette autorité garante de l’ « indépendance [des agents] dans l’exercice de leur mission, les préservant des influence indues » se fait elle-même le relais d’influences indues ?
On nous répondra probablement qu’il faut aller voir le chef du chef… et ainsi de suite jusqu’au big boss du chef, du chef, etc., de l’agent.
Il demeure pourtant un problème de fond : peut-on sérieusement commencer par poser dans ce décret que le garant et l’interprète du code de déontologie est une partie soumise à ce même code.
Nulle besoin de faire ici des procès d’intention particulièrement malveillants pour comprendre le problème d’indépendance et les éventuels conflits d’intérêt d’un « garant » juge et partie.
Pourquoi ne pas d’emblée faire référence à une autorité indépendante comme garante de la déontologie, comme le CNIT, par exemple ?
Certes, il est fait référence en passant à la toute fin du décret à la simple possibilité de saisir le CNIT si on le souhaite, mais c’est tout.
On peut néanmoins relever l’intérêt de l’article R.8124-8 stipulant que « chaque agent mis en cause par un usager a le droit d’être informé sans délai par son autorité hiérarchique ». Quand on sait le nombre de fois où des directeurs se sont dispensés d’informer les agents de contrôle de plaintes patronales, voire se sont engagés auprès de ces derniers sans en informer les agents de terrain, on ne peut qu’espérer que cette « déontologie » là soit enfin respectée (toute ressemblance avec plusieurs événements récents dans plusieurs départements de Rhône Alpes ne serait évidemment que purement fortuite).
2. Le « devoir d’impartialité » vs le droit syndical ?
Plus loin le projet déclare solennellement que « les entreprises et les établissements doivent bénéficier […] d’un traitement égal de la part des agents comme du service en tenant compte des spécificités constatées, des priorités collectives, des risques professionnels et des moyens de l’administration ».
On ne sait si c’est un éclair de lucidité qui a fait rajouter ici la référence aux « moyens de l’administration ». Car oui, on le sait et nous le vivons tous les jours, l’état de délabrement des services est tel du fait de manque de moyens que la notion d’ « égalité de traitement » perd son sens.
En section notamment, quel agent de contrôle, devant la masse des sollicitations toutes plus urgentes les unes que les autres, n’a jamais eu le sentiment que son arbitrage confinait à l’arbitraire ?
Mais on connaît déjà la réponse de la novlangue DGT : « priorités collectives », « action en système », « synergie », « transversalité », etc.
Mais il y a mieux !
Toujours dans la même partie consacrée au « devoir d’impartialité », on nous explique que les agents « s’expriment librement » mais « ne peuvent tenir des propos dénigrant le service public de l’inspection du travail ». Tiens donc !
Parodiant Ford qui expliquait que l’on avait le choix de la couleur de la voiture pourvu que ça soit noir, nous avons donc la possibilité de nous exprimer tant que ce n’est pas pour « dénigrer ». Par contre on a le droit de chanter les louanges du système d’inspection du travail. Tous les jours même si on veut.
Quid du droit syndical ? Certes l’article R.8124-10 prévoit le « libre exercice du droit syndical dans les conditions définies par les lois ».
Nous trouvons, pour le moins, curieux que ce rappel ne soit pas fait dans l’article R.8124-17 interdisant explicitement de « dénigrer » son administration.
3. Impartialité ou invisibilité ?
« Ils ne peuvent se prévaloir de la qualité d’agent du système d’inspection du travail dans l’expression de leurs opinions politiques » (R. 8124-18). Si l’on comprend bien, il deviendrait maintenant impossible de faire valoir son expérience personnelle professionnelle pour justifier de ses opinions politiques ?
L’État aurait-il si peur de la réalité sociale des travailleurs pour qu’il ne souhaite pas que nous puissions en faire valoir notre connaissance de par notre métier ?
Notre rôle social, au-delà de nos fonctions, est aussi d’être des observateurs des réalités sociales et d’en témoigner, si nécessaire, au sein de la société.
4. Le « devoir de réserve » vs la possibilité de se défendre ?
La partie consacrée aux « obligations de discrétion, secret, confidentialité » interdit « de divulguer à quiconque n’a le droit d’en connaître les informations dont ils ont connaissance dans l’exercice de leurs fonctions ».
Là aussi on peut se demander quelle est la portée de cette interdiction ? Quid de la possibilité de se défendre pour les agents lorsque l’on est mis directement en cause ?
Peut-on faire appel à des syndicats et leur transmettre des informations montrant que l’on a tenté de faire obstacle à nos missions ?
L’affaire TEFAL est venue malheureusement illustrer très concrètement ce problème. Lorsque ni l’échelon hiérarchique, ni la justice ne répondent, l’agent n’aurait d’autre choix que de se taire ?!
La pratique montre que quand les différents échelons hiérarchiques « dysfonctionnent » et/ou manquent à leur soutien des agents dans leurs missions, seuls les syndicats peuvent réellement jouer un rôle de contre-pouvoir.
A tout le moins quand l’administration est défaillante et/ou complaisante, il serait inconvenant de venir nous reprocher de tenter de nous défendre en utilisant ce qui nous reste : à savoir les syndicats et éventuellement la presse.
Un autre exemple récent de mésaventure arrivée à des collègues chargés du contrôle des centrales nucléaires subissant pressions répétées d’EDF, de l’ASN et laissés sans soutien de la part du ministère est édifiant à ce sujet.
L’obligation au « devoir de réserve » ne doit pas servir à nous faire taire lorsque nous sommes mis en cause et à nous empêcher de nous défendre !
Aujourd’hui c’est moins de recadrage déontologique dont nous avons besoin, que de réels moyens et un réel soutien pour exercer nos missions !
Le projet de code de déontologie : code_de_deontologie_projet_decret
Le tract en pdf : tract-code-de-deontologie-inspection-du-travail-cnt