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Pénicaud déraille !

A la suite d’un accident ferroviaire survenu mercredi 16 octobre 2019 dans les Ardennes, les cheminotes et cheminots ont massivement fait valoir leur droit de retrait pour danger grave et imminent, s’interrogeant sur la réalité de leur sécurité à bord des trains circulant avec le conducteur seul à bord, sans contrôleur.

Les représentants du personnel ont mis en œuvre la procédure de droit d’alerte pour danger grave et imminent, et face au désaccord persistant entre Direction et Représentant.es du personnel, l’inspection du travail est intervenue.

Le mardi 22 octobre 2019, Mme la Ministre du travail, interviewée sur France Inter, a publiquement remis en cause la position prise par les agents de son ministère en affirmant que les travailleuses et travailleurs du rail étaient en grève et non en droit de retrait. Cette position lui permettant du même coup d’affirmer que cette « grève » était illégale puisque ne respectant pas un préavis.

Outre le fait de dénigrer le travail de l’inspection du travail, elle place les cheminot.e.s dans une situation de fragilité face à leur employeur. Pour Mme la Ministre le message était très clair, soutenir la grande entreprise française coûte que coûte.

Mme Pénicaud a introduit son intervention en disant qu’elle s’appuyait sur le droit et rien que le droit, cependant la Ministre lit le Code du travail avec les lunettes du patronat !

Non, Mme Pénicaud, le droit de retrait ne se fonde pas sur la réalité d’un danger grave et imminent, mais sur un motif raisonnable de penser que la situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.

L. 4131-1 du Code du travail : Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation.

L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection.

Lors de son intervention radiophonique, Mme Pénicaud, toujours équipée de ses lunettes pro-patronales, égratigne une inspectrice du travail, qui aurait, selon elle, pris position en confirmant le danger grave et imminent. 

Pourtant dans les courriers adressés à la SNCF à aucun moment les agents de contrôle ne se prononcent sur l’existence ou non d’un danger grave et imminent, car, contrairement à ce que sous-entend sa ministre, l’inspection du travail n’a agi qu’en fait et en droit. L’inspection se prononce sur l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, et c’est bien le moins ce qui est attendu de notre mission et de notre fonction, qui plus est après un accident grave.

Alors oui, les conclusions des agents de l’inspection du travail intervenant dans ce dossier ont pour conséquence de renforcer la position des cheminotes et cheminots qui ont exercé leur droit de retrait face à un employeur incapable de leur fournir les éléments rassurants permettant de conclure à l’absence de danger grave et imminent, cependant cette conclusion résulte de l’analyse juridique de la situation.

C’est bien Mme Pénicaud qui prend une position politique, de classe au profit de quelques-uns, en dénaturant et le droit du travail et le travail des agents de l’inspection du travail pour s’opposer à des travailleurs exemplaires qui agissent pour la sécurité de tou.tes et la défense du service public !

La CNT du ministère du travail rappelle toute l’importance de l’indépendance de l’inspection du travail et de ses besoins criants en effectifs pour assurer ses missions.

Nous affirmons notre solidarité avec les cheminotes et cheminots et réaffirmons que le droit du travail doit être au service des travailleurs !

L’inspection du travail est sur la bonne voie !

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Flicage et benchmarking

Dans un contexte d’effondrement des services publics, de démantèlement du ministère du travail et d’épuisement de l’inspection du travail en particulier, la DGT n’a rien trouvé de mieux que d’ajouter une nouvelle couche de répression et stigmatisation des agents.

Tout pour le GOSPLAN[1. GOSPLAN qui signifie littéralement « Comité d’État pour la planification ») était en URSS l’organisme d’État chargé de définir et de planifier les objectifs économiques à atteindre. Cet organisme avait pour particularité de falsifier les chiffres pour annoncer à la fin de chaque plan quinquennal le dépassement des objectifs fixés.]

Certes la direction du ministère n’en est pas à son coup d’essai et semble coutumière du fait. Matraquer les agents avec la politique du chiffre et les rendre responsables des suppressions de postes et donc de la dégradation de leurs conditions de travail n’est pas nouveau. Le courrier honteux de 12 pages du DGT envoyé en mars dernier constitue un modèle du genre et venait acter une rupture totale entre une vision d’un service public au service des salariés défendue tant bien que mal, et au détriment de leur santé, par les agents de terrain ; et une administration obnubilée par une politique du chiffre qui n’a d’autre objectif in fine que de justifier leur existence, leur poste et l’inflation pléthorique d’échelons hiérarchiques et de pilotes en tout genre qui sont apparus ces dernières années. Tout peut bien disparaître tant qu’il y a des chiffres à faire remonter et des plans d’actions à valoriser. Peu importe le travail réel, peu importe l’état des agents du moment que les objectifs du GOSPLAN sont atteints.

stakhanov benchmarking

Néanmoins devant le tollé suscité par ce dernier courrier nous aurions pu penser que la DGT allait avoir la décence de calmer le jeu pendant quelques temps. Mais non ! Toute honte bue notre administration va toujours plus loin, toujours plus fort. Désormais elle passe à la vitesse supérieure en ordonnant le fichage des agents. Dans un mail du 12 septembre 2019, Laurent Vilboeuf, DGT adjoint, a ainsi demandé à l’ensemble des DIRECCTE de « faire remonter la liste des agents qui ne saisissent pas leur activité dans Wiki’t pour le 31 octobre 2019 au plus tard », ceci afin de « déterminer les mesures les plus appropriées ».

C’est donc bien d’un fichier nominatif des agents manquant d’enthousiasme dans le renseignement de WIKI’T dont il s’agit ; charge à l’encadrement intermédiaire d’effectuer le sale boulot. Nous allons voir que dans certains endroits c’est avec zèle qu’ils s’y sont appliqués.

Cachez cet avis que je ne saurais voir

Pour atteindre ses objectifs la direction du ministère ne s’embarrasse même plus de légalité. Depuis le début de la mise en place de ce merveilleux outil, la DGT n’a eu de cesse de répéter que WIKI’T ne devait pas servir à un fichage individuel à des fins d’évaluations. Dans cette lignée la CNIL rappelait dans, sa délibération du 6 octobre 2015, que WIKI’T ne pouvait, conformément aux objectifs officiels affichés : « que le suivi de l’activité sera fait sous formes de statistiques agrégées ne permettant pas d’identifier les personnes et prend acte du fait que le présent traitement n’a pas pour finalité le contrôle individuel des agents ».

Nous n’avons jamais été dupes et les dérapages récurrents de RUCS et RUDS sur le sujet tendaient déjà à se multiplier. Désormais le masque tombe et la DGT assume de s’asseoir sur les engagements pris devant les agents et surtout devant la CNIL.

Mais qu’attendre d’une administration qui, encore récemment, n’a pas été gênée de passer à son encadrement intermédiaire des instructions afin de gonfler artificiellement les chiffres sur les PSI et faire plaisir à la ministre PENICAUD. A tel point que le CNIT a fini par recadrer de cette mascarade en avril dernier. La direction du ministère ne respecte pas notre travail, ne respecte pas les agents, c’est entendu. Devant de tels procédés, on se demande si elle se respecte elle-même.

And the winner is…?

Dans cette fuite en avant, il faut toujours quelques collaborateurs zélés pour se distinguer. Rhône-Alpes a la palme.

Là où la DGT ne demande, officiellement du moins, qu’un fichage de ceux qui ne remplissent pas WIKI’T, certains hiérarques ont décidé de faire plus fort en appliquant des seuils de productivité obligatoires. C’est ainsi qu’en Direccte Rhône-Alpes, certains agents ne remplissant « pas assez » ne sont également trouvés convoqués par leur hiérarchie locale. Sur la base de quels critères ? Le pôle T a phosphoré et établi une médiane de la moyenne (ou l’inverse), tous ceux qui se trouvent en dessous du seuil décrété ont été fichés. Dès lors que l’on établit un seuil d’activité basé sur une productivité attendue, on peut être sûr que celui-ci a vocation à augmenter les années suivantes.

gosplan stakhanov URSS

On le voit le délire de la politique du chiffre est sans fin et n’a pas vocation à s’arrêter de lui-même si l’on n’y résiste pas.

Nous appelons les agents à refuser collectivement ces convocations pré-disciplinaires.

Nous appelons tous les agents à sauvegarder le sens de leur travail en ne cédant pas à la pression de la politique du chiffre.

Nous appelons tous les agents victimes à saisir la CNIL.

Nous appelons l’encadrement intermédiaire, s’ils ont encore une peu de conscience professionnelle et de respect pour le service public, à refuser d’être utilisés à une entreprise de délation.

L’idéologie managériale comme seule boussole de la DGT

Derrière cette fuite en avant politique qui peut paraître, à juste titre, complètement folle et destructrice pour les agents et au final de l’ensemble des services, il y a bien une orientation qui est tout sauf originale. Vincent de Gaulejac, sociologue du travail, appelle cela la « nouvelle gouvernance managériale», soit un ensemble d’éléments interdépendants associés :

1) l’intensification et la flexibilité du travail – « faire plus, mieux et plus vite avec moins » ;

2) l’évaluation – « la folie évaluatrice » – fondée sur des dimensions quantitatives, sur des indicateurs chiffrés,

4) l’individualisation,

5) l’instrumentalisation des salariés/agents à des fins managériales… (et non à des fins de services rendus aux usagers dans le cas d’un service public)

Les conséquences lors de leur mise en œuvre sont chaque fois les mêmes : coûts sociaux, perte de sens, dégradation de l’amour du métier, injonctions paradoxales, travail empêché, culte de l’urgence, déni de reconnaissance, statuts et identités bousculés, etc. La plupart de ces causes agissent de manière interdépendante et coordonnée par des techniques de gestion, aussi bien dans le privé que dans le public. Les effets sont donc cumulatifs et vécus le plus souvent sur le mode individuel, les collectifs étant progressivement délités.

Plus particulièrement les pratiques managériales se sont développées autour de la politique du chiffre, de la « lean production », de la culture de la « haute performance » exclusivement centrée sur l’amélioration des résultats financiers et qui ont envahi progressivement le service public.

Ainsi sitôt que l’on élargit le regard, non seulement la politique suivie par la DGT est tout sauf originale, mais elle ne fait que singer l’idéologie managériale qui s’est d’abord développé dans le secteur privé pour l’appliquer au secteur public et le détruire de l’intérieur.la hiérarchie c'est comme les étagères plus c'est haut moins ça sert

La politique du chiffre n’est donc pas un moyen de sauver nos services en justifiant de notre utilité auprès d’une autorité politique qui se soucierait de nous en fonction du taux de remplissage de WIKI’T. Les suppressions de postes sont déjà actées jusqu’en 2022 et seule la lutte peut les empêcher.

En revanche la politique du chiffre est bien le cheval de Troie de l’idéologie managériale qui va détruire jusqu’au sens même de notre travail et tout idée de service public, au profit d’une valorisation permanente à la main d’un encadrement toujours plus déconnecté du travail du réel et centré sur lui-même.

Pour notre part, nous continuons à penser, et à revendiquer, que nous n’avons pas besoin de plus de pilotes, de chefs, de sous-chefs pour effectuer des médianes de la moyenne à destination des échelons du dessus, mais d’agents de terrain pour un rendre un service public de qualité au service des salariés.