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Motions Réflexions

La bataille de l'usager

Motion adoptée au congrès 2019 de la Fédération CNT TEFP

Argumentaire :

Depuis 2014 et la réforme Sapin, le service public d’inspection du travail est engagé dans une réforme profonde qui tend à changer le sens de notre travail. Lorsque on analyse la situation sur la durée, on constate plusieurs dynamiques sont à l’oeuvre et entrent en raisonnance les unes avec les autres pour redéfinir lentement, sûrement, l’idée même de service public.

Les tendances à l’oeuvre sont les suivantes :

  • inflation d’échelons hiérarchiques au-dessus de l’agent de contrôle, de « managers » dont la fonction est centrée non autour de la production d’un service en direction d’un usager mais de contrôler et orienter l’action de l’agent de contrôle et assistantes. En un mot des bullshits jobs au sens donné par David Graeber.
  • Une dépénalisation progressive du droit du travail. Par dépénalisation nous n’entendons pas simplement le taux très important de classement sans suites et/ou les disparitions de procédures. Ce phénomène existe depuis longtemps, et bien avant la réforme Sapin. Il est le lot de tous les « polices » s’occupant de la délinquance en col blanc. Par dépénalisation nous entendons plusieurs mouvements et dynamiques conjugués : – le classement/disparitions de procédure ; – La mise en place de sanctions administratives organisant dans les faits (malgré une liberté de choix entre la voie pénale ou administrative totalement fictive) une répartition entre « petites » infractions relevant de sanctions administratives ou « grosses » infractions relevant du pénal. A cet égard il faut noter que la mise en place de sanctions administratives permet de faciliter une politique de valorisation interne et d’alimenter une politique du chiffre. – pour certains procureurs le fait de ne plus poursuivre du tout selon le droit pénal du travail mais uniquement selon le code pénal et/ou en exigeant un niveau d’ITT à trois mois, ce qui permet d’augmenter encore le taux de classement ; – enfin la tendance de fond (accélérée par les lois travail I et II) et situant la première source du droit au niveau de l’accord d’entreprise, c’est-à-dire à un endroit où il n’y a pas ou peu de pénalités.
  • Une augmentation du prescrit hiérarchique. Les plans d’actions et le prescrit hiérarchique ont toujours existés. Là encore il ne s’agit pas d’une nouveauté mais d’une tendance de fond à l’accroissement quantitatif qui témoigne d’un changement qualitatif. Cette tendance est bien entendu à mettre en relation avec l’augmentation des échelons hiérarchiques, chaque échelon ajoutant peu ou prou sa couche de prescrit et de pressions afin de justifier son existence vis-à-vis de l’échelon supérieur. Dans le même temps nous assistons à la diffusion de l’idéologie managériale au sein des services publics développant une vision de l’activité déconnectée de la relation de service et orientée vers la valorisation. Chaque échelon doit valoriser et singer une mascarade de « productivité » pour justifier son existence à chaque niveau et ce jusqu’à la ministre. A cet égard le pôle T s’emploie activement à la mise en place d’indicateurs de benchmarking par actions, entre UC, entre UD et entre UR et mois par mois. Sur fond de suppressions de postes, si les chiffres attendus ne sont pas au RDV, loin d’une remise en question du système, la hiérarchie en déduira qu’il faut ajouter une couche de prescrit et de pression hiérarchique sur les agents de contrôle (et éventuellement d’échelons hiérarchiques). Si les chiffres sont en RDV, la hiérarchie augmentera les objectifs. Nous sommes donc face à une fuite en avant.
  • une augmentation de la répression antisyndicale. Les différentes dimensions rappelées ci-dessus changent le rapport de la hiérarchie aux agents en général, et aux agents récalcitrants ou résistants en particulier. Ceux-ci sont de plus en plus vus comme de simples adversaires empêchant la machine de tourner, plutôt qu’un retour du travail réel face à une organisation virtuelle. En bout de chaîne, la pression hiérarchique se traduit ainsi par une augmentation de la répression antisyndicale.

Les différentes tendances et dynamiques rappelées ci-dessus doivent être envisagées ensemble. Elles dessinent une évolution des services vers une administration autocentrée, uniquement préoccupée de valorisation, censée prouver son « efficacité », où chacun, en interne, essaye de sauver sa peau. Le point aveugle de cette évolution est la relation de service, cad au final la relation à l’usager en tant que demande sociale. Eternellement conçue, explicitement ou implicitement, comme la variable d’ajustement par rapport au prescrit hiérarchique, elle tend même à être ramenée, dans le discours de la DGT, à un alibi d’agents récalcitrants et ne voulant pas travailler. Elle est pourtant le fondement du sens de notre travail. Si notre administration est en train d’inventer le service public sans public, nous devons défendre un service public au service du public.

Motion :

La CNT-TEFP défend un service public aux service des salariés.

Cette revendication implique la prise en compte dans nos luttes la défense, le maintien et l’extension de l’accueil concret des usagers (service de renseignements permettant un accueil physique et sans RDV dans toutes les UD, nombre d’assistants suffisants afin de répondre et orienter les demandes).

La CNT-TEFP promeut d’utiliser les moyens à notre disposition pour associer, chaque fois que possible, les usagers et leurs organisations syndicales à travers les parties civiles sur les procédures pénales, l’information sur les recours au TASS, et les procédures de sanctions administratives.

La CNT-TEFP estime que les pratiques « pré-prud’homales », communication de constats par des courriers d’informations, ou pressions sur les patrons pour obtenir des régularisations, font pleinement parties de notre métier.

Sans se prononcer par principe contre tout plan d’action ou action collective, elle considère que ce sont les agents de contrôle eux-mêmes qui sont les mieux à mêmes de prioriser leurs actions en fonction des moyens qui leur sont alloués, et de définir la pertinence d’une action collective en fonction des réalités du terrain.

La CNT-TEFP réaffirme que le service public n’a de sens et de légitimité qu’en tant qu’elle rend un service effectif à ses usagers, elle s’élève contre l’orientation de l’activité à des fins de valorisation hiérarchique interne.

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Justice de classe

Motion adoptée au congrès 2018 de la Fédération CNT TEFP

Argumentaire

L’inspection du travail subit directement l’effet d’une politique et d’une justice de classe.
Les faibles moyens réels accordés à cette police du travail n’ont rien de conjoncturel, cette institution n’a jamais eu depuis sa création les moyens de faire respecter le droit du travail. Les procédures sont faiblement suivies par les procureurs (¾ des procédures disparaissent ou sont classées sans suite).
Les condamnations sont elles-mêmes trop faibles pour être dissuasives, le droit pénal du travail étant lui-même dérogatoire par rapport au droit commun.
Face à ce fiasco judiciaire notre hiérarchie sort du chapeau la fausse bonne solution des sanctions administratives. Mais passer d’un système de sanctions pénales à un système de sanctions administratives revient à sortir les employeurs des tribunaux correctionnels pour les ramener dans le jeu ouaté des négociations administratives entre gens de bonne compagnie. Exit l’audience publique devant un juge, exit les parties civiles (salariés et leurs organisations syndicales) remplacées en dernier recours par une discussion de marchands de tapis dans le bureau d’un hiérarque du ministère du travail. Ce dispositif n’est que la dernière étape d’un processus de distinction séparant le traitement de la délinquance patronale des illégalismes de droit commun sur les biens et les personnes.
Ce constat d’une justice de classe appliquée à notre secteur peut nous amener à formuler plusieurs revendications immédiates.

Motion

La CNT revendique que l’opportunité des poursuites en matière d’infraction à la législation du travail relève uniquement des agents de contrôle de l’inspection du travail et que cette faculté soit retirée au Procureur de la République.
La CNT revendique donc que les infractions en droit du travail soient sanctionnées par la seule voie pénale et que les PV de l’inspection du travail soient tous audiencés.
En outre, la CNT revendique que les agents de contrôle aient la possibilité de faire appel des procédures pénales dont ils sont à l’origine et ce à tous les niveaux de juridiction (Cassation, CEDH, etc.).
Cela doit permettre à l’inspection du travail de rétablir les victimes dans leurs droits ce qui constitue le sens même de la mission de l’inspection du travail.
Enfin, la CNT invite tous les agents de contrôle à :

  • informer systématiquement les organisations syndicales de l’établissement d’un PV pour qu’elles puissent se porter partie civiles ;
  • promouvoir auprès de ces dernières l’intérêt de la partie civile et de la procédure de citation directe.
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Stratégie syndicale et travail unitaire

Motion adoptée au congrès 2017 de la Fédération CNT TEFP

Argumentaire

Particularité de la CNT

La CNT prône l’auto-organisation des luttes comme moyen et comme fin de son action syndicaliste révolutionnaire. En ce sens notre syndicalisme de lutte diffère fondamentalement d’un syndicalisme centrant son activité sur la représentation au sein des différentes instances paritaires et/ou sur un lobbying parlementaire.
Nous savons que nos acquis et conquêtes sociales sont le résultat d’un rapport de force imposé. Néanmoins, sauf à tomber dans une illusion incantatoire, construire ce rapport de force nécessite partir des réalités des forces en présence dans nos services. Le pluralisme syndical est notamment une réalité au sein de nos services qui doit être envisagée de façon pragmatique. Dans ce cadre donné, se donner les moyens de mener des luttes victorieuses, c’est notamment travailler, autant que faire se peut, à construire une unité syndicale.

Une unité par et pour la lutte

Cette unité syndicale, qui n’est pas un but en soi, mais un outil au service de la lutte impose les bases d’en définir les bases tant sur le fond sur la forme.
Sur le fond : nos participations aux intersyndicale doivent se faire, autant que faire ce peut, sur la base de revendications claires, et une orientation générale des appels qui ne soient pas en contradiction avec nos revendications. Ainsi, si le travail intersyndical, impose nécessairement des compromis, il ne peut se faire au détriment des objectifs de la lutte elle-même. Si des mandats cadres doivent permettre une certaine autonomie des mandatés CNT au sein des intersyndicales, des allers-retours entre le ou les mandaté-es et la fédération (ou syndicat) peuvent néanmoins s’avérer nécessaires en fonction de l’évolution des discussions.
Sur la forme : Les appels et le travail unitaire doit être l’occasion de développer l’auto-organisation des luttes et non se substituer à elles. Il doit permettre et favoriser des pratiques démocratiques de mobilisation : contact direct avec les collègues, heures d’info syndicale devenant des AG, encouragement à la prise de parole par tous (tour de parole), liberté d’expression et prise de décision collective.

Articulation entre auto-organisation des luttes et travail unitaire :

Au-delà d’un positionnement de principe, la question de l’auto-organisation des luttes est elle-même un gage d’efficacité de la mobilisation : faire que chacun prenne part au mouvement et à son organisation implique plus que des positionnements d’organisations syndicales, cette pratique implique les individus eux-mêmes ;
Dans ce cadre, et pour construire ces adhésions et ces engagements, l’unité des organisations syndicales autour de revendications et de luttes communes permet de définir un cadre large de mobilisation pour rassembler au-delà de nos étiquettes syndicales respectives. Il est également un outil indispensable pour la convergence de luttes éparses au sein des différentes UT/UD.

Motion

La CNT, dans la perspective de construction d’un rapport de force nécessaire à l’aboutissement de ses revendications, s’implique autant que possible dans un travail unitaire avec les autres organisations syndicales.
La stratégie unitaire est et demeure une stratégie de lutte, qui nécessite d’intervenir à partir de mandats, et qui est susceptible de se reposer à l’aune de chaque lutte et en fonction de son utilité la lutte en question.

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Motion antifascisme

Confortés par des partis qui reprennent des propos et des pratiques de l’extrême droite, les groupes fascistes refont surface. Les dernières actions contre le mariage pour tous et toutes ont été l’occasion pour eux d’être mis sur le devant de la scène. Nous dénonçons la banalisation du FN et de ses idées xénophobes et racistes.

L’exclusion, le rejet de l’autre, la fermeture des frontières, la désignation de boucs émissaires, la dénonciation de l’immigration comme responsable de tous les maux sont des attitudes qui, l’histoire en témoigne, conduisent au pire. L’Etat entretient un climat délétère en organisant des expulsions massives qui participent à la stigmatisation des immigré-es et des Roms. Au contraire, il est nécessaire d’agir avec détermination contre les commandos fascistes.

Odieux et inacceptable en lui-même, le meurtre de Clément dépasse le drame individuel. Agressions contre les lesbiennes, bi-es, gays et les personnes trans, contre les immigré-es et les personnes issu-es de l’immigration, les musulman-es, actes antisémites, violences envers des militant-es antifascistes et des organisations progressistes, se sont multipliées dans toute la France comme à travers toute l’E

urope. Le mensonge, la haine, la violence, la mort, voilà ce que porte l’extrême-droite, de tout temps et en tous lieux.
Ce n’est pas une question morale ; le fascisme se nourrit des peurs face à l’avenir : 5 millions de chômeurs et chômeuses, 8 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, 3,5 millions de mal logé-es, accroissement de la précarité, conditions de travail dégradées, licenciements, fermetures d’entreprises… Face à l’explosion des inégalités et aux politiques d’austérité, il faut reconstruire l’espoir collectif en une société plus juste. La question de la répartition des richesses que nous produisons est fondamentale. L’extrême-droite est à l’opposé de ces valeurs.

Si nous ne lâcherons rien face à l’extrême droite, refusant qu’elle parade dans la rue, agresse des militants, s’attaque à des locaux syndicaux, violente des personnes pour leur seule « différence » (immigrés, homosexuels, etc.) ou diffuse ses idées xénophobes, homophobes et autoritaires, nous ne lâcherons rien non plus sur le terrain social !

Certes nous sommes antifascistes et antiracistes pour des questions de valeurs et d’éthique. Mais s’arrêter à cette position ne nous satisfait pas. Car notre lutte contre l’extrême droite se fonde sur un projet de société radicalement antagoniste.

Anticapitalistes ! Parce que nous pensons qu’au cœur des drames sociaux, économiques, écologiques et humains qui sévissent aujourd’hui, se trouve la division de la société en classes sociales. D’un côté ceux qui possèdent, dirigent et optimisent leurs profits ; de l’autre ceux qui sont soumis au chantage à l’emploi, subissent la dictature de la productivité, doivent obéir à leur hiérarchie et sont privés de toute capacité de décision réelle. Ce ne sont pas l’Union européenne, le Qatar, la Chine ou la « finance » qu’il faut combattre, ni même le « grand capital et la mondialisation ». Ce ne sont que des leurres, des paravents pour éviter une remise en cause du capitalisme lui-même. La lutte des classes existe, et nous devons la mener, et contester la cause première des crises économiques et sociales : le fait qu’une minorité possède les moyens de production et d’échange, décide de leur usage, de nos besoins et de ce que nous devons accepter de faire pour satisfaire à leur unique but, conserver, voire augmenter, leur profit ! La « financiarisation » ou à la « mondialisation » de l’économie ne sont que les conséquences actuelles de cette logique. Attaquons-nous donc au fond, le capitalisme lui-même, et non à ses formes.

Autogestionnaires ! Parce que nous pensons que déléguer son pouvoir de décision à des leaders, des partis politiques ou des experts-spécialistes, c’est déjà accepter que d’autres gèrent nos vies sans nous demander notre avis et sans que le moindre contrôle réel puisse exister. Les projets sociaux-démocrates comme communistes autoritaires ont échoué d’avoir sacralisé l’État, la représentation politique et les « avant-garde éclairées ». L’extrême droite ne sait que réclamer un renforcement de l’Etat, de la hiérarchie et de l’autorité. Plutôt que de continuer à chercher qui sera notre meilleur représentant, le plus « compétent » ou le « moins pourri », prenons nos affaires en main, reprenons le contrôle de nos vies. La démocratie, oui, mais directe. Des mandatés, oui, mais révocables. Des syndicats, oui, mais autogérés ! Un projet certes exigeant, mais qui est la seule alternative pour éviter « trahisons », « non-respect des promesses » et autres « affaires de corruption » qui font le jeu de l’extrême droite.

Internationalistes ! Parce que nous pensons que les références à la « patrie », au « protectionnisme économique », à « l’union nationale » ou au « contrôle de l’immigration » ne sont que des reculs idéologiques pour gagner des voix et flatter les bas instincts des électeurs influencés par le discours volontairement simpliste de l’extrême droite. Parler de patrie, c’est faire croire que, parce que l’on est né français, on a les mêmes intérêts que l’on soit patron ou salarié. Parler de contrôle de l’immigration, c’est nier les responsabilités néocoloniales de l’État français et des entreprises françaises dans l’appauvrissement volontaire et la destruction des systèmes sociaux des pays dits « du Tiers-Monde » : pillage des ressources naturelles (pétrole, uranium, bois, cacao, etc.), mais aussi privatisations des services publics, imposition d’une agriculture intensive contre les cultures vivrière et d’autosubsistance, accords de soutien militaire et « policier » (rappelons-nous la Tunisie de Ben Ali, par ailleurs membre de l’internationale des partis socialistes…), etc. Si Areva (entreprise bien française…) arrêtait de détruire des régions entières du Mali ou du Niger pour récupérer l’uranium nécessaire à l’énergie nucléaire française, si Bouygues, Bolloré et consorts arrêtaient de soutenir les dictatures des pays ouest-africains pour défendre leurs parts de marché, les habitants de ces pays n’auraient sûrement pas la nécessité de venir chercher en France de quoi survivre en abandonnant toute leur vie… C’est aussi faire croire que le chômage viendrait des immigrés et non pas des licenciements… Or ce sont bien les directions des entreprises qui virent pour accroître leurs profits, et l’État qui, sous prétexte d’économie, supprime des milliers de postes de fonctionnaires et détruit les services publics. Bref, parler de patrie ou de contrôle de l’immigration c’est encore une fois accepter de céder à l’extrême droite qui ne cherche qu’à nier la lutte des classes pour la remplacer par la lutte entre les peuples…

L’extrême droite se nourrit des contre-réformes des gouvernements successifs face au capitalisme en crise ; elle se délecte des renoncements idéologiques politiques et syndicaux ; elle prospère sur le terrain du recours aux faux-semblants de patrie, d’État protecteur et de personnalisation du pouvoir ; elle grossit des affaires de corruption à répétition entre détenteurs du pouvoir politique ou économique ; elle s’extasie de la destruction des systèmes de solidarité comme du repli sur soi et de la peur qui s’ensuivent.

Alors, si nous voulons réellement renvoyer l’extrême droite dans les poubelles de l’histoire, nous devons reprendre l’offensive sociale, renforcer l’auto-organisation des travailleurs, reconstruire des lieux d’entraide et refuser de déléguer notre pouvoir de décision à qui que ce soit. L’extrême droite hait les syndicats, les grèves et les victoires sociales parce qu’elle ne vit que de la misère, de la peur et de la victimisation. Nous ne la vaincrons qu’en renversant enfin le rapport de force et en conquérant enfin de nouveaux droits sociaux. Ce sera l’un des enjeux fondamentaux de la lutte qui s’annonce contre les nouvelles contre-réformes des retraites et de l’assurance chômage. Céder une fois de plus sera la porte ouverte vers la résignation, l’individualisme, la rancœur, la haine et le refuge vers « celui ou celle qui gueule le plus fort ». Il n’appartient qu’à nous de tout faire pour l’empêcher…

Plus que jamais, sur le terrain, dans les quartiers, dans les entreprises, nous lutterons sur le plan syndical, social et humain, contre les idées de l’extrême droite et de ses alliés.

La CNT appelle l’ensemble des travailleuses et des travailleurs à la plus grande vigilance et à réagir à chaque situation où s’expriment le racisme, l’homophobie, le sexisme, et l’autoritarisme. Sur nos lieux de travail et dans nos quartiers, ne laissons pas le venin de l’extrême-droite se répandre.

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Ethique syndicaliste révolutionnaire et mission d’agent de contrôle

Le droit du travail en système capitaliste

En tant qu’agents du ministère du travail notre mission est d’appliquer un droit du travail censé protéger les salariés. Comment doit-on considérer ce droit ? Le droit du travail est-il un droit protecteur ou le droit du capital et du travail subordonné ? Le droit du travail est fondamentalement ambigu, à la fois outil de politique économique ou moyen de politique sociale. Le droit du travail est un droit protecteur pour les salariés ET le droit du capital.

Ce droit n’est « protecteur » que dans certaines limites qui sont celles du capitalisme. Pour exemple il n’y a pas et il n’y aura jamais de réelle définition contraignante du motif économique sur le fond. La grève n’est tolérée qu’une fois vidée de son potentiel révolutionnaire avec l’interdiction des grèves dites « politique » et de solidarité, la sacro-sainte « liberté du travail » pour les non grévistes. Le travail sera toujours soumis à la loi du profit et à la toute puissance patronale de disposer librement et privativement du travail d’autrui, de l’organiser et de s’en séparer.

De ce point de vue le droit du travail organise le travail subordonné et les règles de concurrence entre entreprises mais dans le même temps il pose certaines limites à la relation d’exploitation. Plus, l’instauration d’un droit du travail minimum est indispensable au système capitaliste, il lui permet de fonctionner et de se reproduire, en offrant à la main d’œuvre des garanties sans lesquelles elle s’épuiserait et en maintenant la paix sociale.

Ainsi le droit du travail révèle la vraie nature du pouvoir politique en général, de la social-démocratie en particulier.

C’est dire que ce droit n’est pas l’œuvre d’un législateur bienveillant, agissant au nom de l’ « intérêt général ». Dans le système capitaliste qui l’a vu naître et se développer, il est en effet le produit des luttes entre patrons et travailleurs. L’encadrement de cette subordination fondamentale du travail, le degré de protection et les évolutions du droit dépendent essentiellement du niveau de mobilisation des travailleurs et des rapports de force sociaux. C’est bien à la réalité de ces rapports de forces à laquelle nous sommes confrontés en permanence.

Quelle mission et quel positionnement pour l’agent de contrôle ?

Ce préalable doit orienter notre positionnement en tant qu’agent de contrôle. Nous ne cherchons pas à appliquer le droit du travail comme une fin en soi, mais bien en ce qu’il peut être utile aux travailleurs à titre individuel et collectif. Et ceci ne peut se faire indépendamment des luttes sociales que ceux-ci mèneront pour garder leurs droits et en imposer de nouveaux.

Loin d’être un acteur « neutre » ou « impartial » au dessus de la mêlée, nous sommes engagés dans la mêlée de la lutte des classes. Ce n’est pas parce que nous sommes dans une institution étatique de régulation sociale que nous sommes condamnés à intégrer l’idéologie social-démocrate de la régulation dans notre rapport au travail.

En interne, notre mission n’a de sens qu’en tant qu’elle peut être utile pour faire respecter les droits des travailleurs ou l’aider à faire valoir ses droits devant les prud’hommes. Toute autre mission éventuelle (flicage des étrangers, contrôle d’affichage sur demande du pouvoir politique ou de l’administration, etc.) est étrangère à cette mission.

En externe, nous participons aux luttes du monde du travail par notre engagement direct (manifestations, grèves, etc.) au sein de ces mouvements et participons à diffuser l’information sur ces luttes afin se sensibiliser nos collègues. Au-delà de la participation effective à lutte en question, il s’agit de tenter de faire progresser la conscience de classe. Ce qui signifie pour nos collègues agents de contrôle, les faire de descendre de leur piédestal de régulateurs sociaux, afin qu’ils s’identifient eux-mêmes comme des travailleurs pouvant participer et aider les luttes des autres travailleurs.

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La liberté d'entreprendre, salariat et démocratie ?

D’après une réflexion de Frédéric Lordon.

Proposition

Le principe démocratique est celui de l’égale participation de tous aux affaires collectives, or tout rapport de production (engageant plus d’une personne), est une entreprise collective, le principe démocratique doit s’y appliquer et donc, la propriété privée de l’entreprise est par nature anti-démocratique.

Corollaire

Nous devons affirmer le principe autogestionnaire dans les sphères productives et politiques. Nous devons œuvrer à l’abolition du patronat et du salariat.

Argumentaire

Partons du concept rudimentaire mais consensuel de la démocratie, définit par le principe d’égale participation de tous les citoyens aux affaires collectives, au pouvoir politique. Cette égale participation implique certaines conditions de réalisation. Par exemple l’égalité des droits doit être garantie, mais on voit rapidement que c’est insuffisant : la loi interdit aussi bien au riche qu’au mendiant de dormir sous les ponts. Comment parler de démocratie lorsque des inégalités économiques et sociales de ce type rendent la participation au pouvoir politique impossible ?

Le mendiant n’est-il pas un citoyen ? S’est-il exclu lui-même des affaires collectives ? Qui aujourd’hui aura le front de dire que le mendiant est à la rue par ses fautes et insuffisances personnelles ? Et, pour reprendre le mot de Rousseau, qui sera assez simple pour le croire ? A l’extrême rigueur, on sait bien que les prétendues erreurs ou accidents de parcours n’ont pas la même probabilité d’apparition ni les mêmes conséquences pour les différentes classes sociales. Dira-t-on que ces différences sociales sont légitimes ?

La déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen (fondation de la République française instaurée par la Révolution) affirme que les différences ne peuvent être fondées que sur l’intérêt commun. C’est à ce moment que les problèmes commencent car comment, et surtout qui, établira cette définition de l’intérêt commun ? C’est naturellement le pouvoir instituant du peuple, démocratiquement, soit à cette époque l’assemblée des représentants. Mais au moment où la possibilité même de l’inégalité et la limitation de cette inégalité sont discutées et validées dans la déclaration de droits de l’homme, les conditions de la démocratie sont-elles suffisamment établies ? Et dans le cas contraire, ne risque-t-on pas de voir cette limitation de l’égalité servir non l’intérêt commun mais celui de la classe sociale (les représentants bourgeois) qui a pu justement élaborer la définition de l’intérêt commun ? On comprend ainsi que cette définition reste encore aujourd’hui un enjeu de bataille politique entre les classes sociales.

Quoiqu’il en soit, l’idéologie dominante oscille actuellement entre l’acceptation des inégalités les plus fortes, au nom de la liberté économique (amenant au final la prospérité globale par les mécanismes du marché), et une certaine limitation de cette inégalité au nom de la paix sociale, d’un certain humanisme (à gauche) ou de la charité (à droite). Dans les deux cas la liberté économique, la liberté d’entreprendre sont considérées comme fondamentales à l’intérêt général. C’est l’extension de cette liberté qui fait en général débat, jamais son principe.

La déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen garantissait aussi le principe très général de la propriété privée, incluant sans distinction la propriété des moyens de production et la possibilité d’avoir un usage garanti des biens (et il y a eu querelle autour de ce point, en particulier entre les robespierristes qui voulaient subordonner le principe de propriété à celui de l’égalité, et entre autres, les libéraux).

Quelle relation pointer entre la propriété privée, la liberté d’entreprendre et de la démocratie ?

La liberté d’entreprendre et la garantie de la propriété privée permettent la constitution de l’entreprise au sens où on l’entend aujourd’hui. Or qu’est-ce que l’entreprise ? C’est la rencontre du capital et du travail dans le but de produire des biens et services pour permettre la survie de l’entreprise et « éventuellement » d’un profit.

On voit immédiatement que la rencontre du travail et du capital est a priori un rapport de réciprocité car les apporteurs de machines ne peuvent se passer du travail et, inversement, les travailleurs ne peuvent travailler sans l’utilisation des machines.

Mais le capital est aussi du capital argent. Et la domination ira à celui qui peut se passer le plus longtemps de l’autre. Et à ce jeu là le travailleur est battu d’avance car pour se payer à manger aujourd’hui il doit travailler, alors que le capitaliste a assez d’argent pour tenir un moment.

[ Marx répond à deux questions qu’il nous est impossible ici de détailler: l’origine du capital initial dans les mains de l’entrepreneur est issu d’un rapport de domination et d’un procès historique de violence (théorie de l’accumulation primitive du capital : Le Capital, I, VIII, XXVI) ; le profit ne peut se faire que par le « vol » d’une partie du travail (théorie de la plus-value). ]

A partir de cet instant le capital va pouvoir entrer dans un rapport dissymétrique, faire travailler sous ordres, par subordination, en échange de la rémunération (la plus faible possible, mais là n’est pas l’essentiel, l’essentiel est le rapport salarial comme tel).

Ici la liberté d’entreprendre se lie au problème démocratique. Car l’esprit d’entreprendre peut généralement se définir par la volonté de réaliser des choses. Ceci ne pose pas de problème démocratique direct tant que l’on peut entreprendre seul : monter une entreprise de vente de papillon peut se faire seul. Dès que l’on veut faire quelque chose qui demande la collaboration d’autrui le problème change de nature. Collaborer signifie que l’on va participer à un projet collectif, à une affaire commune. Or, l’entrepreneur privé ne veut pas de collaborateur, d’associés égaux, il veut des mercenaires. Le rapport salarial est un rapport d’enrôlement. Plus généralement, c’est un rapport de subordination, un rapport inégalitaire. C’est un rapport social non démocratique dans le cadre d’une affaire pourtant commune à plusieurs personnes. Est-ce acceptable ? Les libéraux diront que oui, mais nos institutions dévoilent la contradiction entre les principes démocratiques et le rapport salarial. Cette contradiction s’incarne dans un dispositif qui reconnaît que le contrat de travail n’est pas un véritable contrat (car selon la théorie libérale même, ne peuvent contracter que des individus égaux et sans contrainte). Ce dispositif est le Code du Travail, fort attaqué à notre époque, et qui est censé compenser le caractère inégalitaire du rapport. Est-ce suffisant ? Nous pensons que non.

Pour confirmer notre hypothèse, il faut affirmer l’idée du caractère politique des relations sociales en entreprise. Dans l’entreprise il y a des rapports de pouvoir, de domination, des décisions prises et qui concernent l’ensemble des travailleurs. La démocratie peut-elle s’arrêter aux portes de l’entreprise ? Cela voudrait dire que l’entrepreneur peut acheter (souvent à vil prix SMIC, contrats aidés, etc.) la liberté du travailleur. Cela voudrait dire que la démocratie valide l’inégalité, cette menace des conditions d’exercice de la souveraineté populaire. Plus profondément cela signifie que des affaires collectives peuvent être achetées par le capitaliste, et qu’à terme, par le procès d’accumulation, toutes les activités sociales pourront entrer dans la sphère marchande et le rapport de la propriété privée.

Donc, le principe démocratique implique que l’entreprise, qui concerne tous ceux qui y travaillent, soit considérée comme une entité collective, donc politique, et qu’elle ne peut appartenir à un propriétaire ou à des actionnaires. Elle doit appartenir, à égalité, à tous ceux qui y travaillent. Son extension et son activité limitées n’en font certes pas une chose publique (une République, concernant tous les citoyens) mais une chose commune (une Récommune, concernant tous les travailleurs).

La liberté d’entreprendre ne peut donc s’accorder à la démocratie que par l’abolition de la propriété privée des moyens de production, et par la transformation de l’entreprise en récommune.

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Autorité : Quelle organisation non hiérarchique de nos services ?

Affirmer et agir partout et tout le temps, quand c’est possible, le principe de refus de la hiérarchie.

La notion de hiérarchie, un sacré obstacle

Durant la Grande Révolution, quand s’affirmaient les principes républicains naissants, et où le peuple veillait à ce qu’on ne les prostitue pas, une intense réflexion était menée quant à l’élection des officiers par les hommes du rang. Qu’est-ce que cela nous apprend sur la hiérarchie ?

L’armée, domaine où le principe hiérarchique semble le plus incontestable, a été investie par l’aspiration démocratique. Rappelons au passage que le stratège, dans l’Athènes classique, était élu. Essayons de voir dans quelle mesure la démocratie et la hiérarchie sont incompatibles.

Hiérarchie dérive de deux mots grecs : hiéros et archè. Archè signifie principe, fondement, origine, comme dans monarchie : un seul principe, un seul fondement du pouvoir. Hiéros signifie sacré. Or le sacré est ce qui sort de l’appréhension commune et quotidienne, c’est ce qui ne se discute pas, ce qui semble inaltérable, qui ne semble pas issu de l’activité de la société.

Pourquoi tient-on autant à ce mot de hiérarchie alors que l’on prétend que les différences de statut social sont définies et garanties par le pouvoir législatif des députés, donc par la « volonté » des électeurs ? C’est sans doute parce qu’il faut que nous gardions en tête que ces différences sont peut-être modulables à la marge, mais aucunement attaquables dans leur principe. Et les députés, s’ils sont élus, n’en respectent pas moins le caractère sacré de la hiérarchie, la défendant comme tel. Il faut conserver le caractère indiscutable et impensable de cette sacralité. En outre, derrière le mot sacralité résonne un principe ontologique et axiologique. Ontologique signifie que la hiérarchie est une donnée fondamentale de l’être en général, c’est une propriété de toutes organisations, cette graduation entre supérieurs et inférieurs serait dans la nature des choses. Il est aussi fou de vouloir la combattre que de vouloir combattre la loi de gravitation. Axiologique signifie relatif aux valeurs. La hiérarchie est aussi une échelle de valeur. Les individus ont d’autant plus de valeur qu’ils occupent une place élevée. Combattre la hiérarchie serait un scandale moral.

Revenons aux armées révolutionnaires. En voulant élire directement les officiers, c’est l’égalité qui se faisait jour. C’est à égalité que les soldats auraient tiré de leurs rangs ceux qu’ils estimaient les mieux placés pour coordonner les opérations. De portée plus générale est le dialogue entre un chirurgien célèbre invité à l’émission de radio Répliques, et un Alain Finkielkraut outré par ses propos. Le chirurgien affirmait qu’il fallait parfois un coordonnateur, un chef d’orchestre dans un bloc opératoire, mais que cette fonction pouvait être remplie par un infirmier.

Ceci illustre le fait que, ces fonctions spéciales n’impliquent pas de privilèges, de supériorité de salaire, etc. D’ailleurs, ces fonctions de responsabilité doivent être désirées par implication dans une ouvre collective à laquelle on a suffisamment participé, à égalité, pour la penser notre. Ainsi, on pourra les faire tourner. Et le poids de la responsabilité ne justifiera pas une rétribution financière ou un pouvoir lié à un statut définitif, sacré, hiérarchique.

Alors chez nous, nous pourrions tout à fait penser une organisation égalitaire qui élirait les fonctions de « direction », qui définirait un plan de formation pour que chacun puisse occuper tour à tour ces positions. Les fonctions de direction n’étant pas directement « techniques », on peut imaginer une formation généraliste. Preuve en est les énarques qui peuvent diriger tour à tour, et avec une compétence et une intelligence toutes relatives, le Ministère de la Santé, du Travail, du Budget, de l’Intérieur, etc. On peut penser également, que la nature des fonctions et leur extension soient définies par le collectif de travail. Nos collectifs de travail étant sous contrôle direct de l’ensemble des citoyens quant à nos objectifs généraux et leur réalisation. Ainsi nous en aurions fini avec l’organisation hiérarchique.

Nous pourrions déjà demander des AG autogérées, des réunions hors hiérarchie avec une présidence tournante, nous pourrions affirmer que des sections uniquement composées d’inspecteurs ne posent pas problème si l’éventuelle fonction d’animation ou de direction est rotative, si nous renonçons à l’évaluation par un supérieur… Mais le réel est là. Nous ne fonctionnons pas ainsi et toute tentative séditieuse finirait au mieux par une procédure disciplinaire. Comment dès lors travailler sans risque à la réalisation des conditions de possibilité d’une telle organisation ?

La notion d’autorité ou comment affaiblir le pouvoir de la hiérarchie

Le philosophe et psychanalyste Slavoj Zizek reprend la notion d’autorité pensée par Hannah Arendt :

« L’autorité représente le pouvoir dont sont investies certaines personnes en raison de leurs fonctions, ou de leur « position d’autorité » concernant l’information et la connaissance dont il est question. Par exemple, nous trouvons une forme d’autorité personnelle dans la relation entre parent et enfant, entre enseignant et élève – ou elle peut être conférée aux fonctions (un prêtre peut accorder l’absolution, qui est valable même s’il est complètement ivre). Elle se caractérise par une reconnaissance incontestable de la part de ceux qui sont enjoints d’obéir : la coercition et la persuasion ne sont pas nécessaires. L’autorité ne provient ainsi pas simplement des attributs de l’individu. Son exercice dépend d’une volonté de la part des autres de lui accorder leur respect et de reconnaître sa légitimité, plutôt que d’une capacité personnelle à persuader ou à contraindre. »

Arendt précise que le pouvoir par l’autorité est solide tandis que le pouvoir par contrainte et persuasion est instable. Ainsi pense-t-on que le parent qui doit battre son enfant, le professeur qui multiplie les punitions, ou l’État qui massacre sa population ou l’enferme massivement pour conserver sa domination sont des exemples de pouvoirs faibles sombrant dans la violence, et au final, prêts à se fissurer.

Nous autres, qui ne sommes plus des enfants, à qui accorderons-nous l’autorité ? A qui est-il décent d’obéir ? En tant que citoyens, nous avons par principe l’égale participation à la direction de la cité. Cette souveraineté partagée nous est volée par le principe général de la représentation et de la hiérarchie ; dans les entreprises par le principe de la subordination salariale (obéir au propriétaire en échange d’une paye). Tout le problème vient de l’autorité qu’ont les patrons, et les chefs. Tout le problème est cette autorité qu’on veut bien leur consentir.

Il n’est légitime et digne d’accorder l’autorité qu’à ceux que nous désignons directement et aux conditions qui sont les nôtres. Nous ne sommes pas des enfants, nous sommes des citoyens, aussi devons-nous refuser l’autorité à ces « chefs » imposés par la bureaucratie. La condition de possibilité d’une organisation non hiérarchique est le retrait de l’autorité de nos chefs pour ne leur laisser que la persuasion et la menace disciplinaire. Et cela est très simple à faire, il suffit de les regarder dans les yeux pour qu’ils ne trouvent dans notre regard aucun respect pour le pouvoir attaché à leur fonction. A partir de ce moment là, il n’y a plus que la contrainte économique pour nous faire « accepter » cet état de fait. Nous n’avons que dédain pour un pouvoir attaché à une personne que nous n’avons pas choisi. Parce qu’il faut bien voir que lorsqu’on travaille correctement avec nos chefs, n’en demeure pas moins un rapport fondamental de domination (a minima statutaire), du fait que leur position n’est pas issue de la volonté directe du collectif des travailleurs. Ceci est absolument intolérable à quiconque œuvre au mouvement d’émancipation.

La Boétie décrivait déjà ce principe au XVIe siècle, beaucoup ont des chefs sur la tête (chefs, sur-chefs, DRH, actionnaires, PDG, Préfets, Ministres, etc.) et des subordonnés. S’il faut retirer l’autorité des chefs, en tant que chef soi-même, non désigné par la communauté des égaux, il est possible d’avoir un rapport ironique à sa propre position, mépriser cette posture assumée uniquement par la contrainte de son propre chef.

Ainsi tout le système perd son autorité, se fissure, devient de plus en plus grinçant. Les divers échelons entrent en grève, en boycott des dispositifs de flicage et de contrôle (management), les conditions d’un changement d’époque sont en place.

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Politique du chiffre & entretiens d’évaluation

La stratégie de marchandisation capitaliste de l’ensemble des activités peut s’appliquer aux services publics de différentes façons tout en obéissant aux mêmes logiques fondamentales :

  • La première attaque, et la plus visible, est celle consistant à privatiser purement et simplement l’entreprise publique et changer ainsi son statut. Que cette privatisation soit totale ou par « ouverture partielle du capital » ne change rien sur le fond puisque le statut de l’entreprise change et que le principe de valorisation marchande et l’application de critères de rentabilité vont s’appliquer de la même façon.
  • Une deuxième façon d’attaquer est de progressivement démembrer une activité en sous-traitant et « externalisant » une partie des activités « annexes » ou « supports » et de supprimer des postes pour les métiers qui restent dans le secteur public. Les activités externalisées en question seront alors considérer comme accessoires par rapport au « cœur de métier ». Plus fondamentalement il s’agit surtout, et encore une fois, de privatiser tout ce qui peut être rentable et de maintenir dans le giron public ce qui ne l’est pas tout en le réduisant au minimum. Dès lors si l’entreprise ne change pas officiellement de statut elle se trouve peu à peu démembrée et réduite à la portion congrue.
  • La troisième façon d’attaquer est ce qu’on pourrait appeler une privatisation de l’intérieur par l’application des techniques managériales du privé au sein même du service public. Il s’agit là, non d’une valorisation directement économique de l’activité (par la vente d’un service), mais plutôt d’une modification profonde du sens de l’activité par l’ intégration des valeurs du capitalisme (au sens éthique, façon de se comporter) et de la théorie du capital humain. L’intégration de l’idéologie managériale permet et accompagne ainsi une modification de l’organisation du travail et des critères de production et de réalisation du service.

Ces trois stratégies ne sont bien sûr pas exclusives les unes des autres, elles doivent cependant être distinguées en théorie pour bien comprendre ce qui nous arrive. Et notamment comprendre que l’application de la logique capitaliste ne se réduit pas forcément et immédiatement au passage à une logique de profit économique.
C’est dans le cadre de la troisième stratégie et de l’imposition d’une culture managériale qu’on peut situer la politique du chiffre que vient incarner notre CAP SITERE préféré et les entretiens individuels d’évaluation qui se sont généralisés comme outils de gestion.

Concernant la politique du chiffre

Si notre travail, en tant qu’il n’est pas directement soumis à un échange marchand, ne produit pas de profit économique ; la politique du chiffre qui nous est quand même appliquée a pour fonction de singer les critères de rentabilité et de valorisation capitalistique du travail pour justifier notre activité, et en quelque sorte s’excuser d’exister encore comme activité de service public, cad comme « coût pour la société ». Il faut ainsi être « productif », « atteindre des objectifs » et « valoriser » notre activité : ce qui signifie produire du chiffre et communiquer autour.
La question n’est pas alors d’être réellement rentable puisque nous ne vendons pas une prestation (du moins pas encore pour ce qui nous concerne dans notre ministère) mais de vouloir l’être et de le montrer, de faire montre de bonne volonté auprès de la hiérarchie et au-delà du pouvoir politique et économique. Et accessoirement de donner une justification à la baisse continue des effectifs en intensifiant le travail par le biais du pression aux chiffres.
La justification du travail n’est plus dans la qualité du service rendu et l’ampleur de la demande sociale mais dans la justification capitaliste du maintien de notre activité selon des critères abstraits de rentabilité symbolique et de productivité.
D’où l’inflation de bilans, de plans, de reportings, de valorisation, de compte-rendus et d’aperçus chiffrés et bien sûr d’évaluations alors même que les moyens alloués à notre travail tendent à diminuer du fait de la RGPP.
Au nom du passage d’une culture de moyens à une culture du « résultat », la révolution managériale réussit ainsi le tour de passe de passe extraordinaire de mettre en scène un « résultat » par la production de chiffres tout en oubliant la question quantitative des moyens au nom de la qualité du travail.
La boucle est bouclée.

Concernant l’évaluation

Les techniques d’évaluation individualisée des performances sont un des instruments privilégiés de cette révolution managériale. On passe ainsi d’une culture juridique du contrôle de régularité au management par objectifs dans une culture du résultat. L’évaluation est censée indiquer si les objectifs sont atteints avec sanction ou gratification à la clef. Ce faisant, et sous le paravent idéologique d’une mesure « objective » du « mérite » individuel, l’évaluation suscite une compétition des agents et est une redoutable arme de division des personnels et d’intensification du travail.
Cette évaluation est étroitement liée à la politique du chiffre et à la mise en place d’indicateurs comptables. L’évaluation abstraite se substitue à la discussion autour du travail bien fait qui renvoie immanquablement au travail réel et à des jugements de valeur autour du sens du travail.

Motion : cap sitere ou tout autre logiciel à la con du même genre

La CNT combat la politique du chiffre comme destructrice du sens de notre travail en tant que service public, destructrice de nos collectifs de travail par la mise en concurrence des agents, et participant à l’invisibilisation et au mensonge sur le travail réel.
La CNT s’inscrit dans tous les mots d’ordre de boycott des remontées chiffrées comme moyen de pression et de lutte collective.
Au-delà, et en dehors d’un contexte de lutte collective, la CNT fixe au minimum un « tarif syndical » à ne pas dépasser afin d’éviter la mise en concurrence individuelle et de ne pas participer au mensonge sur le travail réel.

Motion : entretiens individuels d’évaluation

La CNT dénonce le caractère pathogène des entretiens individuels d’évaluation de performance conçu comme outil de soumission à la logique managériale du capitalisme.
Notamment,

  • la destruction des collectifs de travail par la mise en place d’une compétition individuelle.
  • L’individualisation consistant à faire supporter à chaque agent la responsabilité de ses conditions de travail.
  • la déconnection entre le travail réel et une évaluation quantitative abstraite.
  • Le lien entre l’évaluation et la relation hiérarchique et ses conséquences en termes de sanction et aliénation à la reconnaissance hiérarchique

Néanmoins le travail ne saurait se passer d’une évaluation prise dans son le plus général. Tout ne se vaut pas et chacun est amené, consciemment ou non, à évaluer en permanence son travail, dans un rapport à soi et aux autres.
La critique portée contre les entretiens individuels des performance peut, de ce point de vue, porter en creux ce que pourrait être une évaluation légitime pour nous :

  • Une évaluation déconnectée du lien hiérarchique.
  • Une évaluation déconnectée de l’abstraction quantitative.
  • Une évaluation non centrée sur l’individu.

En gros une évaluation démocratique, organisée par une discussion collective autour des règles de métier.

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Répartition ou RSA-RGU : solidarité vs charité publique

Face au chômage et/ou à la dégradation des conditions de travail dans le cadre du salariat la revendication d’un revenu garanti universel (RGU) a retrouvé une nouvelle jeunesse en France dans les années 90. Cette revendication a le parfum de l’audace, l’accent de la radicalité. Elle est pêle-mêle liée au rejet des valeurs attachées au travail, au salariat, à la protection sociale assise sur les cotisations liées au travail.

Il convient pourtant de resituer la revendication du RGU, comme extension de la logique du RMI/ RSA, dans le contexte de la création du RMI. Créé en 1988 par la Gauche, il devait permettre d’assurer aux plus démunis un revenu minimal leur permettant de survivre. Il répondait à la progression massive du chômage qu’aucun gouvernement n’avait pu ou voulu juguler. La première question qu’il est permis de se poser est alors : pourquoi, alors qu’existait déjà une réponse de la société au chômage, l’assurance-chômage, a-t-il fallu mettre en place un système radicalement différent, en parallèle ? Car l’assurance-chômage, qui fait partie de ce qu’on appelle la « répartition », était un système qui fonctionnait depuis sa création en 1958. En fait, parallèlement au développement du RMI, l’assurance-chômage – dont les valeurs initiales étaient universelles – a vu son champ d’action se restreindre progressivement. Le RMI est arrivé exactement au moment voulu, comme arme fatale contre l’assurance-chômage. Comme un produit de substitution destiné à assurer une soupape de sécurité au système capitaliste, permettant de faciliter la remise en cause d’une protection sociale selon un système de répartition en laissant aux exclus un minimum vital.

Le RGU et le système par répartition sont ainsi essentiellement différents dans leurs principes, leurs financements, leur fonctionnement et les institutions qui les mettent en œuvre.

Le contrôle par l’État et le patronat

Le RMI est d’abord essentiellement différent de l’assurance chômage par son financement. Il est financé par l’impôt et non par les cotisations sociales (cad la socialisation d’une partie du salaire versé par le patronat). Financé par l’État, il est également contrôlé par lui, qui décide seul de ses modalités d’application, de son existence même. En revanche le projet initial de protection sociale par répartition prévoyait des caisses gérées directement par les travailleurs sans passer par la tutelle politique, même si le détournement du projet initial nous a amené au paritarisme.

La charité publique

Le RMI/RSA repose sur une logique distributive également foncièrement différente du système par répartition. Comme son nom l’indique, ce dernier provient de la répartition entre salariés actifs et inactifs des richesses produites. Il repose donc sur une logique de solidarité. Le RMI, lui, repose sur une logique de charité publique. C’est l’institutionnalisation étatique du principe de la dame patronnesse tandis que le patron pompe les salariés, l’État redistribue une miette des richesses aux pauvres. Ce faisant on régresse vers le vieux principe de l’aide sociale philanthropique aux miséreux du 19e.

De plus, comme cet argent vient de l’impôt, il est pompé pour une bonne part non sur les profits du patronat (la finance est très peu imposée), mais sur la faible part laissée aux travailleurs (par le biais de l’impôt sur le revenu et de la TVA).

L’individualisation

Pour finir, le RMI/RSA correspond à une logique d’individualisation consubstantielle au capitalisme. C’est l’union qui fait la force, un « vieux » principe qui sera toujours valable, alors qu’atomiser les pauvres permet de mieux les dominer. Lorsque la répartition est un droit collectif acquis collectivement, le RMI est attribué au cas par cas, en fonction de critères individuels. Le RMIste est isolé du reste de la collectivité. Il n’est plus un chômeur en attente de réintégrer le monde du travail, il est un assisté qui doit dire merci et ne pas se plaindre. La somme qu’il touche lui permet de survivre. S’il n’a pas de soutien extérieur ou des acquis antérieurs, il lui sera impossible de trouver un logement, de mener une vie sociale normale.

De l’affrontement de classe à l’opposition inclus/exclus

En déconnectant en apparence le revenu du travail le RMI/RSA met en scène une aide aux « exclus » dans une logique d’opposition exclusion/inclusion fondée sur le fait d’avoir ou pas un emploi. Par la défense du salaire socialisé il s’agit de considérer non pas des exclus qu’il faudrait aider, mais faire payer au patronat les situations de non-travail (chômage, maladie, accident, retraite). Dans ce cadre conceptuel on reste dans l’opposition capital/travail (le chômeur n’est qu’un travailleur sans emploi qui reste indirectement exploité par le capital comme variable d’ajustement).

Du RMI au RSA

Le RSA (Revenu de solidarité active) a été adopté suite à une nouvelle charge politicienne contre les « assistés ». Il est la concrétisation des pires présages concernant le RMI. Le RMIste est un assisté, il doit donc accepter n’importe quel travail. C’est le principe fondateur : on ne va pas faire survivre une armada d’inutiles sans en profiter pour les exploiter. Service du travail obligatoire, avec un salaire misérable à peine supérieur au RMI. Plus grave : pour la première fois, ce travail est déconnecté de tous les acquis et les droits liés au salariat : le travail effectué dans le cadre du RSA ne donnera lieu à aucune cotisation sociale. En clair ? Le bénéficiaire du RSA bossera, mais sans ouvrir de droits ni pour le chômage, ni pour la retraite, ni pour la maladie (dans ce dernier cas il profitera de la couverture liée au RMI mais sans que son patron cotise!). On peut ainsi parler de travail forcé.

Alors, le RGU ?

Le RGU, conçu comme l’extension du RMI, et son élévation au niveau du SMIC est donc un leurre dangereux, une arnaque d’envergure.

Pourtant, il est des prises de position qui devraient inciter à la méfiance. Les puristes libéraux et chantres politiques de la charité chrétienne se retrouvent pour revendiquer la mise en place d’un tel système. : Alain Madelin, fer de lance du capitalisme libéral en France, a toujours été partisan convaincu du RMI. Ancien animateur de Démocratie libérale, il tranche avec la vieille bourgeoisie conservatrice : moderniste, il sait quelles sont les potentialités de cette arme fatale. Christine Boutin, dans la tendance catholique intégriste de l’UMP, a eu l’occasion de rendre un rapport à l’Assemblée nationale, en septembre, dans lequel elle aussi prônait ce qu’elle appelle un « dividende universel », sur le mode « Nous sommes tous des actionnaires ! » Attribué à tout individu dès sa naissance, sans conditions, il remplacerait… l’ensemble du régime par répartition ! Plus de Sécu, de retraite, de chômage ! I C’est ainsi que la boucle se boucle.

Pour les partisans « progressistes » du RGU qui insisteront, disant que si le RMI est au niveau du SMIC, c’est vachement bien parce qu’on peut vivre sans bosser, plusieurs questions se posent :

– Qui peut croire qu’un jour, le patronat et l’État accepteront de donner suffisamment d’argent à tous pour vivre décemment sans travailler ?

– Une société faite uniquement d’inactifs peut-elle survivre ?

Sinon qui devra travailler pour que ces inactifs puissent gagner de quoi vivre décemment sans travailler ? Car dans une société, capitaliste ou non, si personne ne travaille pour la collectivité, il n’y a plus de richesses produites et donc plus de moyens de subsister !

– À qui rend-on service en soutenant la logique du RMI contre le régime par répartition ? Pourquoi ne pas tout simplement lutter pour l’extension du régime par répartition ?

Le régime par répartition

La répartition recouvre en fait deux structures : la Sécurité sociale, qui comprend elle-même l’assurance maladie, l’assurance retraite et les allocations familiales, et l’UNEDIC, qui gère le chômage.

Pour et par les exploités

En 1945, la Sécurité sociale se crée sous le contrôle des syndicats de salariés, dont sont issus les 3/4 des représentants. Ce sont les travailleurs qui gèrent un outil destiné aux travailleurs : une partie du salaire est prélevé, sous forme de cotisations sociales. Il appartient à la collectivité des travailleurs et permettra aux travailleurs inactifs de vivre, grâce à la solidarité collective.

Vocation universelle

Ce système a une vocation universelle, c’est-à-dire qu’il doit idéalement s’appliquer à tous les travailleurs actifs et inactifs. Tout inactif doit pouvoir bénéficier de ce salaire socialisé. En plus d’être un principe de solidarité effective assurant l’existence en cas de problème, c’est également une arme redoutable contre le patronat. Celui qui est assuré de toucher un salaire s’il ne travaille pas n’hésitera pas à se mettre en maladie s’il est malade, aura les moyens de refuser un travail trop mal payé ou trop pénible. Cette situation est inacceptable pour le patronat. Voilà pourquoi toute son activité est concentrée sur la destruction de ce système. Au contraire par la mise en place du RSA il est possible de faire travailler des salariés sans les cotisations sociales et les droits qui y sont rattachés normalement.

Principe révolutionnaire

La répartition est plus qu’une épine : c’est un pieu enfoncé dans le capitalisme, malheureusement pas suffisamment pour entraîner sa mort et il est vital pour les profits de s’en débarrasser. Le principe révolutionnaire de ce système comporte plusieurs niveaux:

  • il fonde son existence sur la participation de tous à la société commune, les actifs assurant la vie des inactifs en attendant de le devenir eux-mêmes ;
  • il échappe à la logique capitaliste : il est géré par les travailleurs, avec l’argent des travailleurs, il représente un système complètement alternatif au capitalisme puisque les cotisations perçues sont immédiatement reversées, il n’y a pas de capitalisation, pas d’alimentation des marchés financiers ;
  • il n’y a ni profiteurs, ni assistés ;
  • il redistribue les richesses produites.

Le régime par répartition, en tant que conquête dans le cadre de la société capitaliste, se heurte à des limites

Le principe de répartition, limité dans le cadre du capitalisme, n’abolit pas la relation exploiteurs/exploités et la production de plus-value accaparée par le capital. Tant que la répartition laissera en place une part réservée au profit, tant que les richesses produites ne seront pas intégralement socialisées, le capitalisme voudra grossir sa propre part, donc diminuer la part des salariés, donc détruire la répartition qui l’empêche de se réaliser pleinement.

Deuxième limite, la gestion paritaire des caisses par les organisations syndicales de patrons et de salariés. Les caisses (maladie, retraite, chômage) sont alimentées par une part du salaire (que les cotisations soient patronales ou salariales ne change rien, il s’agit toujours d’une part de la production qui revient in fine au salarié, sous forme de salaire net ou de salaire socialisé). Elles sont destinées aux travailleurs inactifs (malades, retraités, chômeurs). Il est inacceptable que le patronat contribue à leur gestion, ce qui constitue une mise sous tutelle des travailleurs : c’est comme si nos patrons géraient « paritairement » nos comptes en banque et avaient leur mot à dire sur la partie nette de notre salaire ! D’ailleurs, à l’origine, la Sécurité sociale était gérée majoritairement par les salariés et ce n’est qu’en 1967 que la parité a été instaurée, à cause des dissensions entre syndicats de salariés.

Troisième limite, la corruption des organisations syndicales. Selon un dossier réalisé par Capital, les organisations syndicales de salariés comme de patrons se servent allègrement dans les caisses, cela représentant selon le journaliste de cette revue environ 33 % de leur budget, soit davantage que les cotisations (environ 25 %) ! Tout le monde se tait, car beaucoup y gagnent (excepté les travailleurs) : les syndicats qui puisent, mais également l’État qui se sert aussi dans la cagnotte, en l’utilisant pour financer des réformes gouvernementales.

Quatrième limite : une évolution nettement en faveur du patronat. Depuis la création des caisses, la part relative des cotisations patronales n’a cessé de diminuer, tandis qu’augmentait la part des richesses produites, transformée en bénéfice net. Par ailleurs, le nombre des exonérations de charges augmente sans cesse et les mécanismes de compensation théorique par l’État ne fonctionnent presque jamais, le coût réel retombant la plupart du temps sur les caisses elles-mêmes. Cette limite est donc consubstantielle au système lui-même et au caractère précaire de toute conquête des travailleurs tant que le capitalisme existera.

Etablir ces limites ne permet qu’une conclusion: aucun acquis ne sera définitif tant que subsisteront le capitalisme et l’exploitation. Le régime par répartition n’en demeure pas moins un enjeu essentiel de la lutte des classes. De plus il demeure un levier essentiel de lutte en préfigurant une société débarrassée de celui-ci.

Aujourd’hui, pour la répartition

Le régime par répartition doit être notre objectif, en termes de lutte pour la défense de nos acquis sociaux et promouvoir une répartition des richesses par et pour les travailleurs. L’acharnement du patronat et de ses relais politique à remettre en cause ce système de répartition pour promouvoir un système d’assurance privé (pour les plus riches) couplé avec un système d’aide sociale minimale étatique (pour les plus pauvres) démontre, si besoin était, l’importance de l’enjeu.

Par ailleurs, d’autres dangers que nous avons évoqué plus haut menacent la répartition, de l’intérieur même du système: dégénérescence des syndicats de salariés qui en sont les cogestionnaires, ponctions effectuées par l’État et les syndicats de patrons et de salariés, etc.

Il faut donc définir des axes de lutte qui visent non seulement à préserver les acquis, mais également à reconquérir le terrain perdu et à aller au-delà. Il faut remettre l’enjeu de la répartition au coeur des perspectives révolutionnaires.

Propositions possibles

Concernant la gestion des caisses: éviction du patronat; gestion par les syndicats, mais contrôle indépendant de cette gestion. Pas de décision importante sans consultation des salariés.

Concernant les différentes caisses : réunir toutes les caisses qui avaient été séparées afin de les fragiliser pour les attaquer à tour de rôle.

Concernant le champ d’application : à tous les salariés inactifs (tous les chômeurs, tous les retraités…) selon le principe de la répartition du travail ; le chômage sert le patronat, c’est donc à lui de payer le surcoût par l’augmentation des cotisations patronales.

Concernant les ressources: stopper les exonérations de cotisations patronales et les augmenter massivement pour les ramener au moins au rapport originel.
Revenus de remplacement à 100% du revenu de référence, etc.
 
Après, il faudra descendre dans la rue !

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Motion féminisme et CNT

Le féminisme pose une question transversale à toute la société, la question des inégalités dont sont victimes les femmes et qui est loin d’être réglée…

Quelques chiffres pour planter le décor  (rapport égalité homme femme 2010):

  • Les femmes représentent 47,5% de la population active mais est concentrée à plus de 70% dans les secteurs à bas salaires (grande distribution, restauration, services à la personne 97% de femmes…)
  • 81,9% des emplois à temps partiels
  • Plus nombreuses en contrats aidés ou CDD : 10, 7% des femmes contre 5,9% des hommes
  • 80% des salariés payés en dessous du SMIC
  • 54% des chômeurs inscrits à l’ANPE ( taux de chômage 0,6 point d’écarts : 10% hommes 10,6% femmes).
  • 57% des chômeurs non indemnisés
  • 83% des retraités qui vivent avec une pension inférieure au minimum vieillesse (retraites inférieures de 42% de celles des hommes)
  • Elles gagnent en moyenne 27% de moins que les hommes et à travail et qualification égale 10% de moins que les hommes.

Dans la sphère familiale les femmes assurent toujours 80% du noyau dur des tâches domestiques et si les hommes en assument davantage qu’il y a quelques dizaines d’années, ils se concentrent souvent sur les tâches les moins répétitives et les plus visibles.
En fait même dans les couples où le partage des tâches n’est pas trop défavorable, c’est à la naissance du 1er enfant que le décrochage s’opère : les hommes font un peu plus tandis que les femmes font tout le reste et notamment tout se qui se rapporte aux enfants.

Voilà la réalité de la condition féminine en France, même si on a certes fait des progrès notamment au niveau de l’intégration dans le marché du travail, même si beaucoup d’hommes sont conscients du poids qui reposent sur les épaules des femmes, même si les femmes profitent des droits obtenus dans les années 60/70….et pour lesquels il faut encore se battre pour les conserver ( contraception : planning / IVG : luttes Tenon – Lyon).

Les inégalités flagrantes au travail et à la maison reposent sur un système de domination des femmes qui a précédé le capitalisme. L’oppression des femmes est une construction sociale : il s’agit du contrôle par le groupe des hommes du corps des femmes, de leur travail, de leurs pensées.
Cette domination masculine prend deux formes :

  • une domination physique potentiellement présente au travail, dans les lieux publics et surtout au sein de la famille (violence psychologique ou verbale voire physique et sexuelle). Ces violences permettent de maintenir un contrôle social des femmes.
  • une domination symbolique (qui conforte la domination physique) qui s’exerce par l’intégration par les deux sexes d’un système de valeur qui offre une vision du monde favorable aux dominants : c’est la construction des genres qui colle dès la naissance au sexe biologique de l’enfant un comportement pré déterminé ( famille école jouets…) pour faire court : rose pour les filles, bleu pour les garçons.

De plus, le mode de pensée dominant tient pour acquis que les femmes et les hommes ont des capacités naturelles complémentaires qui les prédisposent à certaines tâches, et de ces capacités naturelles résulte une division tout aussi «  naturelle » du travail.

C’est au moment du capitalisme que la sphère de production qui correspond à l’usine est devenue séparée de la sphère de reproduction qui correspond au foyer. La division sociale et sexuelle du travail a pris toute son ampleur avec :
La séparation des tâches dans le travail toujours sur le mode de la complémentarité hommes/femmes avec les secteurs d’activité exclusivement féminin/masculin.
Une hiérarchie entre les tâches : le travail d’un homme vaut plus que celui d’une femme.
La dévalorisation des secteurs féminisés.
Le capitalisme a su utiliser l’oppression des femmes pour se procurer un réservoir de main d’œuvre bon marché, le salaire de la femme étant considéré comme un complément de celui de son mari.

Il y a cependant des articulations contradictoires entre capitalisme et patriarcat :
Le capitalisme a besoin :

  • d’une nouvelle force de travail que constitue les femmes et il a donc besoin de la libération de cette force de la domination qu’elle peut subir ( émancipation des femmes)
  • d’un sous salariat à exploiter (vente de leur force de travail subordonné à un travail social) et donc de maintenir les femmes dans une position de dominées qui rend leur position dans le salariat illégitime.
  • du travail familial pour reproduire la force de travail et l’ordre social

(contradiction entre le premier et les deux suivants)

Les féministes des années 70 se sont battues pour faire reconnaître l’existence d’une «  oppression spécifique » des femmes. Il s’agissait de faire admettre que cette oppression était plurimillénaire, qu’elle avait précédé l’apparition de la propriété privée dans les sociétés occidentales. Mais cet effort pour faire reconnaître le caractère spécifique de l’oppression des femmes a produit des effets pervers. Celui de marginaliser la réflexion sur ce terrain au lieu de l’intégrer dans une réflexion plus générale sur les voies de l’émancipation de tous les opprimés des deux sexes.

La CNT appartient au mouvement féministe luttes des classes c’est-à-dire que nous entendons justement étroitement lier la lutte pour l’émancipation des femmes à celles de tous les opprimés. La lutte des femmes n’est pas secondaire par rapport à la lutte de classe. Le capitalisme s’articule avec l’oppression des femmes. Il n’y a pas comme le pense Christine Delphy, d’un côté le capitalisme qui exploite les salariés dans la société et de l’autre le patriarcat qui exploite les femmes. Les deux sont inextricablement lié. S’il nous arrive d’utiliser le mot «  patriarcat », nous l’envisageons comme un synonyme de l’oppression des femmes.

Nous récusons enfin les théories essentialistes/différentialistes qui revendiquent des différences et une complémentarité naturelle des hommes et des femmes.
Enfin nous pensons que, de la même façon que les blancs ont leur place dans le combat anti raciste, le féminisme concerne les hommes comme les femmes.

La CNT défends la nécessité d’un mouvement autonome des femmes. Les femmes, partie prenante de tous les mouvements sociaux, ont été obligées de s’organiser séparément pour avancer sur la question de la condition des femmes. Pour nous, ce n’est pas une nécessité ponctuelle mais permanente dans une société où globalement les femmes sont dominées, où l’espace public est considéré comme masculin : il y a besoin d’espaces où les femmes puissent discuter de comment faire avancer leur place à égalité, et de mouvements que les femmes puissent diriger sans être subordonnées aux priorités des autres.

Les conséquences sur notre militantisme

Au sein de la CNT, tout doit être fait pour que les femmes soient à égalité avec les hommes. Cela implique :

  • une vigilance quotidienne sur les comportements des militants vis-à-vis des militantes
  • une prise en charge collective de la question des gardes d’enfants
  • de favoriser la prise de parole par les femmes, notamment la possibilité d’espaces de discussion non mixtes pour les femmes.
  • la mixité et parité des directions
  • un point systématique sur le féminisme au cours de chaque congrès.