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Projet de loi sur la réforme de l’inspection : le « renforcement » se transforme en dépossession !

Le plan Sapin comprend plusieurs volets : tout d’abord un plan (très) partiel de requalification des CT en IT ; ensuite la mise sous tutelle des agents de contrôle au sein de nouvelles Unité de contrôle par la création de DUC super managers de la politique Travail ; enfin le troisième volet devait être celui du renforcement des pouvoirs de l’inspection. Dans la lignée des précédents aspects de la réforme nous sommes face à un véritable jeu de dupes. Au lieu du renforcement annoncé, nous assistons à une véritable dépossession des agents de contrôle au profit d’un renforcement (véritable celui-là) des pouvoirs de notre hiérarchie.Rentrons dans le détail.

Derrière la vitrine…

Le projet de loi insiste dans un premier temps sur des nouveaux pouvoirs donnés aux agents de contrôle et le renforcement de certaines sanctions, notamment :

  • une extension des arrêts de travaux en dehors des chantiers du BTP concernant les machines dépourvues de protecteur ou en cas de risque électrique.
  • la possibilité de faire des demandes de vérifications d’analyses ou de mesures de matières physiques, chimiques ou biologiques.
  • la possibilité de se faire communiquer et prendre copie des documents relatifs « à l’objet du contrôle ». 

… un renforcement à relativiser

La généralisation des arrêts de travaux qui renforce donc nos pouvoirs en hygiène sécurité est un outil à double tranchant. Si elle constitue indéniablement un renforcement des moyens d’actions de l’inspection, cette modification réglementaire peut se retourner contre nos services. En effet, l’outil risque de créer la demande et de placer nos services dans une situation de « pompier » devant éteindre le feu des risques inhérents à l’entreprise. Cette position peut devenir très inconfortable pour l’agent de contrôle et pourrait, à terme, conduire à transformer progressivement nos missions de contrôle des obligations de l’employeur en une mission d’agent de sécurité, transférant ainsi peu à peu la responsabilité de l’employeur à nos services.

La possibilité de faire des demandes pour analyse est toute relative. En effet, n’oublions pas que l’inspecteur du travail dispose déjà d’un pouvoir de prélèvement. Pouvoir rarement mis en œuvre faute de laboratoire d’analyse à notre disposition… On vous donne un jouet mais vous ne pouvez pas l’utiliser !

La possibilité de se faire communiquer copie de documents est de fait une pratique courante des agents pour pouvoir faire leur travail. Il s’agit plutôt ici d’une régularisation qui fonde juridiquement ce qui est déjà concrètement pratiqué dans les services afin de ne pas être à la merci d’un patron un peu « joueur » nous obligeant à recopier des documents à la main. Toutefois et sans vouloir chipoter outre mesure, on peut cependant s’interroger sur la formule « documents relatifs à l’objet du contrôle ». Pourrait-il obliger l’agent à justifier de l’objet de son contrôle, ou à ne pas pouvoir se faire communiquer des documents ne faisant pas l’objet du contrôle ? Dans le doute nous préférons la formulation « nécessaires à l’accomplissement de leur mission » suggérée par le CNIT dans son dernier avis.

On peut enfin noter la tentative d’illumination de cette vitrine par l’augmentation de l’amende encourue en cas de délit d’obstacle qui passerait de 3750 euros à 37500 s’alignant ainsi sur la DGCCRF selon l’exposé des motifs qui vise à nous aveugler pour ne pas voir que le diable se cache dans les détails.

En effet, le point central de cette réforme, la grande innovation promise par Sapin censée renforcer notre pouvoir de sanction, est la mise en place de la procédure de transaction pénale et des sanctions administratives. Et c’est là que le bât blesse !

Une reprise en main des sanctions par la hiérarchie

Nous le savons, nos procédures finissent régulièrement classées sans suite et quand elles aboutissent, les employeurs sont souvent faiblement sanctionnés. La solution déjà annoncée, reprise par les journaux est la suivante : donner aux inspecteurs un pouvoir de sanctions administratives, c’est-à-dire des amendes notamment sur le champ contraventionnel. Sont ainsi concernées les dispositions relatives à la durée du travail (durées maximales, repos, décomptes…), les minima salariaux (SMIC et minima conventionnels) et les dispositions relatives aux installations sanitaires, d’accueil et d’hébergement.

Avec ces effets d’annonce, Michel Sapin a même réussi à faire peur au Medef qui couine déjà sur le « renforcement » des pouvoirs de l’inspection. Que le Medef se rassure : il y a bien un hic quand on lit le projet de loi. Ce n’est pas l’inspecteur qui aura ce pouvoir mais « l’autorité administrative compétente ». Or l’autorité administrative compétente sera le DIRECCTE (ou le RUT par délégation), et non pas l’inspecteur du travail qui est pourtant lui-même une autorité administrative.
Sur la base d’un rapport de l’inspecteur, les amendes seront donc négociées entre le Direccte ou le RUT et l’employeur. Il n’est pas besoin d’être grand clerc ou de faire du mauvais esprit pour imaginer tous les marchandages auxquels donnera lieu un tel pouvoir mis entre les mains de cette autorité administrative qui ne sera pas indépendante des problématiques politiques, notamment du champ emploi.

A cet égard, pour fixer le montant de l’amende, l’autorité administrative doit d’une part prendre en compte « les circonstances et la gravité de l’infraction » mais également « le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges ». Ouille !

On s’en doute, faire rentrer les considérations économiques dans le champ juridique augure de la plus grande mansuétude de « l’autorité administrative compétente » dans une période de « crise » qui dure depuis maintenant 40 ans !

Autre nouveauté la transaction pénale. Contrairement aux sanctions administratives il s’agit toujours d’une procédure pénale. Il y aura donc bien toujours établissement d’un procès-verbal et transmission au procureur. Mais, avec l’accord de celui-ci, l’administration pourra proposer une amende transactionnelle à l’employeur en infraction. Autant dire qu’au vu des moyens actuels de la justice, le procureur sera tout heureux de pouvoir redonner un dossier à l’administration s’il le peut. Or cette procédure serait ouverte pour les délits passibles d’une peine d’emprisonnement de moins d’un an, réprimés par les dispositions du Code du travail.

D’une façon générale, on peut ainsi dire qu’on passe d’un système de droit pénal à un système de négociation administrative quasi-permanente. Le patronat est ainsi explicitement encouragé à venir négocier les infractions dans des discussions de marchand de tapis. Le lobbying patronal est ainsi officialisé et légalisé.

La mise en place des amendes administratives et de la transaction pénale ne sont ainsi qu’un canada-dry de « renforcement » des pouvoirs de l’inspection. Faut-il rappeler pourquoi nous en arrivons à cette situation ? D’une part, parce que la justice pénale n’a pas les moyens de fonctionner (tout comme nous), d’autre part parce qu’il n’y a pas de volonté politique de sensibiliser les parquets et les juges afin de poursuivre la délinquance patronale, et enfin parce que le droit pénal du travail est dérisoire. C’est dans ce contexte qu’arrive la solution « miracle » des sanctions administratives.

L’indépendance ne se donne pas

Un tel système pose alors évidemment la question de l’indépendance de « l’autorité administrative » chargée de cette « négociation ».Il y a de quoi être inquiet quand on connaît la perméabilité de notre hiérarchie aux réclamations patronales.

Oui les pressions patronales existent ! Et oui, il arrive qu’elles soient relayées en interne par notre propre hiérarchie ! Inutile de faire ici une liste de ces « pressions extérieures indues » relayées en interne tant la liste serait longue, et ce à tous les niveaux (des RUT jusqu’à la DGT). Des directeurs d’autant plus perméables au lobbying patronal qu’ils sont eux-mêmes sous statut d’emploi et perméables aux injonctions du pouvoir exécutif (préfet, ministère), avec la double casquette travail/emploi.

On imagine assez bien dans ce contexte les services juridiques des grosses boîtes faire la queue devant le bureau du DIRECCTE (ou du RUT) pour négocier un jour des sanctions administratives a minima (ou pas d’amendes du tout)… et un autre l’embauche de contrats aidés. Nous pouvons de toute façon être certains qu’il n’y aura aucune transparence sur la façon dont seront négociés avec le patron les rapports des agents demandant des sanctions administratives.

L’indépendance de l’inspection ne délègue pas ni ne se donne. Elle ne peut être réelle et effective que si les agents de contrôle gardent la maîtrise de leur activité, tant dans le choix des contrôles à mener que dans les suite à y donner.

Le travailleur mis sur la touche

Outre le problème de l’indépendance de notre action, la création de l’opportunité de sanction administrative pose un problème certain pour les travailleurs eux-mêmes du fait de la dépénalisation du droit du travail qu’elle engendre. Certes la justice pénale dans notre société est une justice de classe mais il est moins que certain que nous soyons gagnants à passer à une négociation de marchand de tapis par notre administration.
En effet, il n’est pas sûr que les salariés soient gagnants dans cette affaire. De fait, il n’y aura plus de possibilité de constitution de partie civile pour les salariés victimes ou les syndicats de salariés. Combien d’affaires promptement enterrées en première instance ou en appel ont pu être relancées par les parties civiles ? Qu’on pense seulement ici au cas du non respect du SMIC par Carrefour et au pourvoi en cassation de la CGT et de la CFDT, obtenant ainsi la condamnation de cette société !

L’entreprise n’ayant pas obtenu satisfaction lors de la négociation en première instance, pourra faire en premier lieu un recours hiérarchique (ministre) et en second lieu un recours administratif (TA).

Bien entendu, nous ne sommes pas en train de dire que l’administration bloquera systématiquement toutes les demandes d’agents et n’infligera jamais de sanctions administratives. C’est bien plutôt un système à plusieurs vitesses qui risque de se mettre en place, des sanctions administratives immédiates pour les petites et moyennes entreprises ; et une attitude plus bienveillante envers les grosses sociétés ayant des services juridiques efficaces et un pouvoir de pression ou des moyens de contestation bien plus important.

De plus, les règles de la durée du travail et de la rémunération devront se reconstruire à l’aune de la jurisprudence administrative et seront de fait déconnectées de la réalité des travailleurs.

On le voit, l’opportunité de la sanction administrative n’est qu’un pis-aller.

Un outil de programmation et d’orientation de l’activité

En revanche, l’opportunité de sanction administrative constitue un redoutable moyen d’orientation politique de l’action. Qu’une campagne prioritaire nous descende de la DGT et l’on peut être certain qu’il y aura des amendes administratives avec affichage et valorisation tout azimut. Que des propositions de sanctions ne correspondent pas aux priorités ministérielles, et/ou viennent heurter des intérêts un peu trop puissants, et l’on peut s’attendre à ce que les rapports des agents finissent en classement vertical.

Avec le renforcement de la ligne hiérarchique les objectifs pourront être chiffrés, non plus en termes de contrôle, mais d’argent rapporté dans les caisses de l’Etat. Ce nouveau lapin sorti du chapeau du ministre sera sensible à la même carotte déjà disponible dans les services : l’attribution de parts de primes constituant la rémunération variable des agents…

Quoi d’autre dans le chapeau ?

A la lecture du nouvel article L. 8112-1 du Code du travail nous apprenons que les agents de contrôle de l’inspection du travail ne seront plus seulement les inspecteurs et contrôleurs affectés dans les unités de contrôle mais aussi les DUCS et les membres du groupe national de contrôle, d’appui et de veille. On se demande bien quel sera alors le statut de ces membres du groupe national de contrôle qui ne seront manifestement ni inspecteurs, ni contrôleurs. Nous ne sommes donc même pas sûrs que ce nouveau groupe national, bras armé de la DGT qui peut s’autosaisir de dossiers, bénéficie de la protection prévue par la convention 81 et accordée aux inspecteurs.

Au cas où ça ne suffirait pas, on apprend à la fin du projet de loi que le gouvernement pourra désormais modifier les « attributions des agents de contrôle » par simple ordonnance, même plus besoin de passer par un débat parlementaire.

Ce qui devait être le point positif de la réforme de l’inspection s’avère en fait un outil très dangereux de remise en cause de l’indépendance des agents avec :

– en amont la mise en place de supers managers à plein temps, les DUCs à la tête des Unités de contrôle pour programmer l’activité des agents ;

– en aval la mainmise par la hiérarchie sur les sanctions suites aux contrôles.

Les travailleurs apprécieront.

 

La CNT s’oppose à ce projet et demande pour contrôler le respect des droits des travailleurs dans les meilleures conditions un véritable renforcement des moyens d’action de l’inspection du travail par un renforcement :

         de nos effectifs ;
         de l’indépendance des agents de contrôle en supprimant la tutelle des DUCs ;
         des sanctions pénales du travail (le Code du travail est un des rares à disposer d’infractions sans sanctions) ;
         du montant des sanctions en matière de droit pénal du travail ;
         des moyens d’action et de l’indépendance des services de la justice ;
         de la politique pénal en matière de droit du travail.
 
 
Le tract en pdf : Projet de loi sur la réforme de l’inspection : le « renforcement » se transforme en dépossession !