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EPIT 2015 : récit et revendications

« Ô muse ! C’est à toi de chanter la colère

Du valeureux Achille, et cette injuste guerre

Que l’affreuse Discorde a nourri dans son flanc

Pour l’arroser de pleurs et l’inonder de sang ;

Dis, combien de guerriers sous les remparts de Troie

Des chiens et des vautours sont devenus la proie !

Muse, dis-nous encore, quel fut le dieu jaloux

Qui d’Atride et d’Achille alluma le courroux ? »

Homère

« La première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce »

Marx

Quel que soit le point de vue, il serait sage de s’éviter ça.

2+2 = 5

A force de se payer de mots et de pratiquer l’inverse de ce qu’il affirme, le Ministère du travail fait sonner creux les notions les plus fondamentales : justice, équité, objectivité, impartialité, service public, droit social. La loi El Khomri, après tant d’autres, a accéléré la création d’un monde où les inégalités attaquent le lien social et où des espaces toujours plus vastes du domaine public sont vendus aux forces du capital. Ceci a logiquement permis à Madame la Ministre, lors de la cérémonie de remise des cartes professionnelles aux lauréats de l’EPIT 2015, d’affirmer que sa loi préservait le modèle social français.

Finalement l’ennemi le plus direct de l’État et de la « République » n’est peut-être pas tant l’anarchiste que le politicien (« socialiste » ou « républicain ») et sa bureaucratie administrative, en ceci qu’ils se présentent sans rougir comme ses premiers défenseurs. Nous répétons souvent que le capitalisme n’a pas de meilleur allié que l’État ; il n’empêche qu’en fonction du rapport de force social-historique, il y a du plus et du moins. Actuellement, nous traversons une passe particulièrement mauvaise.

A ce titre l’EPIT 2015 nous offre une déclinaison locale de cette triste logique et des mesquineries que nous impose un système qui se pense encore tout puissant.

En effet, l’EPIT s’inscrit dans un ambitieux et très néolibéral programme de réforme du droit social. Il s’agit de son versant touchant à l’inspection du travail. Le Ministère avait tenté d’acheter la paix sociale, ou plutôt la dissension des luttes, en promettant une extinction du corps des contrôleurs compensée par leur promotion massive en inspecteurs via un pseudo-examen interne, l’EPIT. Diminution des effectifs ? Certes, drastique même. Ajout d’un échelon hiérarchique ? On en voit aujourd’hui partout les conséquences en termes d’inutilité, d’accroissement de l’isolement des agents, d’ingérences et de tensions. Mais il avait été suggéré que tous les contrôleurs verraient leur compétence reconnue, que tous les lauréats pourraient rester dans leur UD sans changement géographique forcé. Frustration compréhensible des inspecteurs, naïveté des contrôleurs devant l’opportunité ? La réforme a été habilement mise en place.

La CNT demandait alors et depuis longtemps un corps unique, mais sur la base de formations en alternance et d’un passage par ancienneté, sans cet EPIT qui singe le concours en ne satisfaisant personne. Las ! Certains ont cru en la réforme, l’heure est à la trahison des promesses.

Après quelques années sans autre dégâts que ceux d’un concours finalement imposé à tous par l’inéluctabilité de l’extinction du corps des contrôleurs, où les malchanceux (car c’est bien et avant tout de chance qu’il s’agit) à l’entrée étaient nombreux, et où les contraintes familiales des lauréats avaient pu être massives, l’EPIT 2015 aura commencé à lever le voile sur nos illusions. Il est maintenant démontré qu’il est possible de rétrograder des candidats ayant réussi l’entrée avec une note de 18/20, suivi la formation sans encombre, et obtenu une appréciation positive lors du stage en UD. Un oral de sortie d’une vingtaine de minutes aura pu anéantir tous ces éléments et réaliser ce qu’il convient d’appeler un assassinat professionnel, aussi scandaleux qu’absurde. Pour persévérer dans l’ignoble, il aura même été imposé à trois stagiaires une prolongation de 3 mois et demi, en pleine période de vacances d’été, sans programme individualisé précis (quid des congés d’été ?) et sans préoccupation d’ordre pédagogique de la part de la DRH ou de l’INT (document 1). Trois mois de stress intense étant donné l’enjeu, suivi d’un oral non prévu par les textes (décret 2013-511, article 6) qui aboutira pour l’un à une rétrogradation.

Quand on sait le lien intime entre la vie professionnelle et la vie privée, on ne peut que se faire une solide opinion sur la gestion RH du Ministère. Il est presque drôle de savoir qu’à la cérémonie de remise des cartes rue Grenelle, le Directeur de l’INT, Monsieur Bernard Bailbé, a commis un discours sur le thème de la punition et de la responsabilité associée.

Entrons dans le détail, le récit va encore se gâter…

Blondel alchimiste

Pour la première fois depuis le début du concours, des agents sont rétrogradés après la formation. C’est sidérant. Avec cynisme ou légèreté et croyant faire un bon mot, Monsieur Blondel précisait aux organisations syndicales : « C’est un concours, je m’étonne que vous vous étonniez qu’il y ait des recalés ».

Normaux, ces échecs ? Pas tant que ça.

Notons d’abord que Madame Lemaître, de la DRH, avait adressé une lettre au directeur de l’INT (document 2) dans laquelle elle précisait – en contradiction avec l’arrêté organisant le concours et dont elle était signataire – que l’oral de sortie n’aurait pas pour but de contrôler les connaissances. Elle indiquait en outre qu’aucune préparation spécifique n’était nécessaire. De fait, les responsables de formation de l’INT ont logiquement relayé le message en recommandant aux stagiaires de ne pas s’inquiéter et en présentant généralement l’oral comme une simple formalité.

Le résultat, on le connaît. Deux personnes rétrogradées sur plus de 200, cela fait moins de 1 %. Quel sens peut-il y avoir à repousser 1 % des candidats, sinon « faire un exemple » et terroriser les futurs stagiaires ? Le gain en termes de revendication et de docilité est évident. Il est décidément dans l’air du temps de museler par la menace (voir notre tract sur le code de déontologie).

Comment a donc été pensée cette épreuve ? Pourquoi l’INT n’en a jamais vraiment parlé ? Pourquoi l’INT n’a-t-il pas préparé les candidats ? Pourquoi les années précédentes personne n’a été ni prolongé, ni rétrogradé ? En quoi les malchanceux de cette année ont-ils été si exceptionnels ? Autant de questions sans réponse.

1 % qu’est-ce que cela peut bien signifier ? En 20 minutes le jury aurait-il décelé des problèmes rares, profonds, irrémédiables, alors même que ces candidats avaient réussi l’entrée ? Y aurait-il eu quelque aléa lors de la formation ? Il est quoiqu’il en soit difficile de donner crédit à ce jury qui décèle de gravissimes et rarissimes carences, mais qui se contredit trois mois après pour la moitié de ces « anormaux ». Pourquoi alors recaler quelqu’un dès le premier oral ?

Pour les repêchés en revanche, si catastrophiques au sortir de la formation, est-ce à dire que trois mois de prolongation valent mieux que 6 mois d’INT ? Ne serait-ce pas alors l’équipe pédagogique de l’INT (directeur et responsables de formation) qu’il faudrait recaler ?

La chose fait peu de doute : il s’agit avant tout d’affirmer l’arbitraire du jury, donc la puissance souveraine de l’administration : nous pouvons rétrograder qui nous voulons. Prenez-donc garde.

Cela peut signifier également : regardez comme il est risqué de concourir, vous qui avez réussi, vous le méritez. Bâton et pommade, toujours. Menace encore, d’ailleurs moins de candidats se sont inscrits au CRIT 2016.

Continuons sur les statistiques : quatre candidats visés, autant que de sous-groupe de jury… Quatre candidats inquiétés, dont trois syndicalistes… Deux rétrogradés finalement, dont un syndicaliste… On croirait lire le déroulé d’un plan conçu à l’avance.

Discrimination ? A cette question posée par les organisations syndicales, Monsieur Blondel a dégainé un argument du type de « l’ami arabe » (« je ne suis pas raciste, loin s’en faut : j’ai un ami arabe »). Combien avons-nous été estomaqué de l’entendre glapir : j’ai les statistiques des syndicalistes reçus depuis le début de l’EPIT, allez-donc démontrer la discrimination devant le juge ! Il n’empêche que cent syndicalistes reçus ne prouveraient aucunement l’absence de discrimination sur l’un en particulier. Imaginez ce type argument dans une décision de licenciement de salarié protégé : aucun lien avec le mandat puisqu’il reste 10 élus dans l’entreprise… Dans sa relation singulière avec les chiffres, Monsieur blondel se montre plus alchimiste que statisticien ou juriste.

Un exemple à ne pas suivre : Monsieur B

Nous avons obtenu des éléments édifiants concernant l’un des prolongés puis demandé des explications à la hiérarchie, sans succès. Peut-être les futurs lauréats puiseront ils dans cette histoire des indications pour adapter leur comportement et adopter les meilleures stratégies de survie à l’INT.

Une bonne information est une condition nécessaire à la démocratie, dit-on. Le syndicalisme, dans sa mission de défense des intérêts des agents et de la profession se doit d’être démocrate, et donc de partager les informations dont il dispose, fussent-elles dérangeantes.

Monsieur B. a été le seul, à notre connaissance, à se voir gratifié d’un rapport négatif de l’INT (document 3). Alors qu’il n’y a pas eu d’évaluation au cours de la formation, le directeur de l’INT aura néanmoins jugé nécessaire de transmettre au jury un livret indiquant une « conscience de la nécessité de poursuivre son perfectionnement », ainsi qu’un problème lié à des absences (dont 8 jours de grèves sur 9 absences). Or, une enquête sommaire aurait convaincu le directeur que le stagiaire n’avait pas démontré de difficulté particulière, bien au contraire (par simples retours de courriels, une quinzaine d’attestations de formateurs ont été transmises à Monsieur B.). De la même manière, n’est-il pas étonnant que pour un nombre d’absence égal, d’autres stagiaires ont vu leur assiduité saluée ?!! (document 4)

Nous avons envoyé un courrier au directeur de l’INT (document 5, où sont exposés en partie les faits syndicaux associés à l’agent durant la formation). Pas de réponse…

Le jury, confronté à ce remarquable livret, a bien entendu confirmé le jugement de l’INT en produisant un rapport fascinant à plus d’un titre (document 6). On remarque qu’un des objectifs de l’oral indiqué par la DRH, à savoir l’expression du besoin complémentaire en formation, a été détourné et utilisé contre le candidat. On notera aussi qu’aucun point fort n’est noté, mais parmi les points faibles il est écrit que l’agent « mentionne se sentir un peu en difficulté face à la complexité des entreprises ». Quand on sait que le candidat faisait valoir, comme beaucoup, une envie de suivre un module sur l’analyse du motif économique dans les licenciements de salariés protégés, et qu’il a indiqué en fait se sentir « un peu » en difficulté face non pas à la complexité des entreprises, mais face à certaines entreprises complexes, on pourra au moins douter de la bienveillance de ce jury et se rendre compte du caractère vexatoire de ce rapport.

Inutile de s’appesantir sur l’absence de qualité relationnelle relevée par le jury, ceux qui connaissent notre collègue pourront faire pièce à l’argument par un bel éclat de rire. Mais à tout seigneur, tout honneur : précisons que l’intersyndicale complète, ses collègues comme sa hiérarchie locale et régionale lui ont apporté un soutien sans faille.

Trois mois plus tard, comme évoqué plus précédemment, le jury produira un rapport quasi symétrique (document 7). Ce qui était faiblesse est devenu force, métamorphose d’un agent défaillant en super inspecteur.

S’unir pour supprimer ce concours

Nous avons insisté sur le sort de notre camarade, sans avancer de qualification pénale quant au rapport de l’INT et sans préjuger des procédures qu’il est en droit d’intenter pour obtenir reconnaissance et réparation. Mais nous n’oublions pas les deux collègues rétrogradées.

Il nous semble indispensable de construire un rapport de force pour en finir avec cette mascarade de concours. Ce qui passe par une revendication claire et sans ambiguïté de l’ensemble de l’intersyndicale

La CNT revendique toujours un passage à l’ancienneté, sans concours et avec une formation en alternance pour tous les contrôleurs du travail.

La CNT demande à l’administration de tirer les conséquences de ses fautes de procédure et de jugement, en prononçant l’intégration immédiate des deux recalées dans le corps des inspecteurs.

 
Le tract en pdf : epit-2015-recit-et-revendications
Les documents :