Article paru dans l’Humanité datée du 23 septembre 2014.
Article paru dans l’Humanité datée 23/09/2014
Les agents de l’inspection du travail manifestaient hier contre la réforme de leurs services, et pour exiger le retrait d’une plainte de l’administration suite à une action syndicale en octobre 2013.
Marcy-l’Etoile (Rhône), envoyée spéciale.
« Avant, il y avait une tradition dans le ministère, on négociait avant toute sanction », déplore Yves Roupsard, militant CGT entré dans l’administration en 1982 comme contrôleur du travail, qui se souvient encore de son sujet de concours portant sur la « liberté et la solidarité ». « Ça se durcit… », songe-t-il face aux grilles de l’Institut national du Travail (INT) gardées par des gendarmes mobiles. Hier à Marcy-l’Etoile en banlieue de Lyon, quelque deux-cents agents de l’inspection du travail sont venus de toute la France manifester devant leur école nationale de formation, à l’appel des syndicats CGT, SUD, SNU, FO et CNT.
A l’origine, il s’agissait une fois de plus de manifester contre la réforme en cours dans les services, annoncée à la rentrée 2013, entérinée par un décret de mars dernier, et dont la mise en œuvre doit débuter d’ici janvier prochain. La date avait été choisie parce que se tenait à l’INT une grand messe réunissant les responsables d’unités de contrôle ou RUC, nouvel échelon hiérarchique créé par la réforme et incarnant la reprise en mains des inspecteurs du travail jusque là très autonomes.
Mais début septembre, juste après l’annonce de la manifestation par les syndicats, quatre agents du Rhône – deux syndiqués CNT, un CGT et un non syndiqué – ont été convoqués pour le mois d’octobre par la police qui souhaite les entendre sur le déroulement d’une manifestation le 8 octobre 2013, déjà à l’INT, et déjà contre la réforme. Ce jour-là, à l’occasion d’un séminaire réunissant tous les directeurs du travail, une quarantaine d’agents avait contourné le bâtiment et franchi un grillage pour pénétrer dans l’INT et bloquer l’accès des cadres au réfectoire où étaient disposés les petits fours. Bernard Bailbé, directeur de l’INT, avait aussitôt porté plainte contre x. « C’est probablement une première, que l’administration porte plainte contre ses propres agents », estime Martine Corneloup, de la CGT.
De quoi réorienter en partie les slogans : « Dialogue social ne rime pas avec pénal, retrait de la plainte ! », scandent les agents. Venu à la rencontre des trublions, le directeur de l’INT croit bon de préciser qu’il « a porté plainte contre x, pas contre les organisations syndicales », et jure que ce n’est pas lui qui a donné les quatre noms à la police… Et d’ajouter que « le retrait de la plainte sera un élément de discussion », qu’il « peut y avoir des éléments d’évolution dans le cadre d’une négociation », mais sans préciser quelles contreparties il pourrait bien exiger. Les manifestants ont donc continué de bloquer l’accès, empêchant une partie des RUC d’accéder au séminaire.
« C’est caricatural, on était quarante ce jour-là, ils nous connaissent tous, mais ils prennent quatre d’entre nous pour faire un exemple et pour faire peur, et maintenant il faudrait négocier pour le retrait de cette plainte bidon, c’est du niveau bac à sable, lance Dominique Rols, militant du SNU dans le Rhône. Tout ça pour un poteau plié et des repas non consommés ». « C’est une façon de mettre la pression, en criminalisant notre action », renchérit Benoît Verrier, de Sud-travail. Un durcissement qui ne risque pas d’apaiser le climat social en interne, qui se détériore depuis la mise en place progressive d’objectifs chiffrés il y a quelques années, le déni de l’administration face à deux suicides d’inspecteurs en 2011 et 2012, et le lancement de la réforme il y a un an.
D’après les calculs des syndicats qui dénoncent un « plan social » à l’inspection, cette réorganisation des services se traduira par une baisse de 10% des effectifs de terrain, du fait des suppressions de postes nettes dans le ministère du Travail, mais aussi de la création de l’échelon des RUC par ponction parmi les agents de contrôle. Soit quelque 200 fonctionnaires en moins sur 2300 au niveau national pour recevoir les salariés, les renseigner sur leurs droits et intervenir dans les entreprises. « On est déjà trop peu nombreux, la réforme va encore augmenter notre charge de travail, explique Marie-Pierre Maupoint, inspectrice du travail et représentante de Sud-travail. On ne traite déjà que les urgences, demain on traitera les urgences parmi les urgences ! C’est un problème pour les usagers qui nous sollicitent, et pour nous aussi car cela crée de la souffrance ».
Fanny Doumayrou
Dans son délibéré publié le 18/09/2014, le Conseil National de l’Inspection du Travail (CNIT) vient de donner son avis sur l’ « affaire TEFAL ». Rappelons que le CNIT était saisi de cette affaire pour répondre en gros aux questions suivantes :
y-a-t-il eu tentative d’atteinte à l’indépendance d’une inspectrice du travail de Haute-Savoie par le biais d’une « influence extérieure indue » de l’entreprise TEFAL et du MEDEF local afin de contrer son action de contrôle de l’entreprise TEFAL ? Cette pression extérieure a-t-elle été répercutée en interne par la direction de l’UT ?
Disons le tout de suite, cet avis, mi-chèvre mi –chou (ou mi-figue mi-raisin, au choix), réussit le tour de force de pointer la responsabilité de l’administration… tout en faisant son maximum pour la dédouaner de l’accusation d’avoir relayé une « influence extérieure indue ».
Regardons tout cela plus en détail.
Le silence pesant de l’administration…
Dans une première partie, à la question « y-a-t-il eu des pressions extérieures indues ? », le CNIT répond clairement : OUI.
« Dans l’affaire en cause, tant l’entreprise que l’organisation patronale qu’elle a sollicitée ont cherché à porter atteinte à ces exigences en tentant d’obtenir de l’administration (préfet) et du responsable hiérarchique le changement d’affectation de l’inspectrice et par là-même la cessation de l’action de contrôle à l’égard de l’entreprise ».
Vient alors la question de l’attitude de notre administration face à ces pressions.
A cet égard le CNIT considère « qu’il est regrettable que, dès lors qu’elles ont été rendues publiques, aucune intervention publique des autorités administratives ou de l’autorité centrale de l’inspection du travail ne soit venue les condamner et rappeler les principes de droit interne et international qui garantissent l’indépendance de l’inspection du travail, qu’il s’agisse tant des règles relatives à la mobilité géographique des inspecteurs du travail que de leur protection contre les influences extérieures indues.».
Ce faisant le CNIT pointe clairement l’attitude de la totalité de la ligne hiérarchique : directeur départemental, directeur régional, DGT et Ministre.
Dans un contexte avéré de tentative d’atteinte à l’indépendance d’une inspectrice, le silence persistant de l’administration, alors même que l’indépendance de l’inspection était gravement mise en cause, a fini par devenir assourdissant. A tel point que même le CNIT s’en étonne et ajoute : « Le système de l’inspection du travail ne peut fonctionner que si la hiérarchie soutient et protège les inspecteurs au regard de potentielles influences extérieures indues. »
Or la seule préoccupation et intervention de la hiérarchie dans cette affaire peut se résumer de la façon suivante : chaque échelon hiérarchique soutient celui du dessous, et l’ensemble de la chaîne, pour sauver le directeur de l’UT et enfoncer notre collègue inspectrice.
Car si notre administration est restée silencieuse pour défendre l’indépendance de l’inspection, elle n’a pas ménagé ses efforts en interne pour essayer d’étouffer l’affaire y compris dans ses quelques réponses aux journalistes qui l’interrogeaient.
S’il est des silences qui finissent par devenir assourdissants, face à l’évidence des pressions, qui ne dit mot consent.
Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage.
La deuxième partie de l’avis du CNIT commence par relever que le principe d’indépendance des inspecteurs dans leur action de contrôle n’a pas pour effet de priver l’autorité hiérarchique « notamment au regard de leurs fondements juridiques ». En particulier « si un inspecteur du travail peut porter une appréciation sur la licéité d’un accord d’entreprise, il n’appartient qu’à l’autorité judiciaire d’en prononcer la nullité ».
Certes mais de quoi parle-t-on ?
Probablement de l’avis lapidaire contre notre collègue produit au CNIT par la DGT (signé du DGT récemment nommé au poste Yves Struillou, par ailleurs membre du CNIT au moment de la saisine). Dans son courrier la DGT a ainsi cru bon de descendre l’inspectrice en expliquant qu’elle se serait substituée au juge en donnant son avis sur la licéité d’un accord sur les 35 heures chez TEFAL. Car il faut peut-être le rappeler, à l’origine des foudres de TEFAL il y a l’examen d’un accord d’aménagement du temps de travail de cette entreprise sur demande des organisations syndicales de la boîte. L’inspectrice en cause a alors relevé un certain nombre d’irrégularités dans l’accord et a effectivement informé l’entreprise de ces irrégularités en donnant son avis sur sa légalité de l’accord comme tout agent de contrôle peut être amené à le faire lorsque nous sommes saisis par des salariés ou des organisations syndicales sur le sujet.
Ce qu’il faut retenir de ce passage n’est donc pas que seule l’autorité judiciaire peut prononcer la nullité d’un accord, ce qui est évident, mais que l’inspectrice était légitime à donner son avis sur l’accord après avoir été sollicitée par les organisations syndicales, contrairement a ce que pense notre DGT, et qu’elle n’a pas, par cet avis, outrepassé ses prérogatives professionnelles.
En outre « c’est à tort que, lors du même entretien, le responsable de l’unité territoriale a reproché à l’inspectrice du travail un contrôle inopiné au sein de l’entreprise en cause ».
OUI rappelle le CNIT (qui cette fois répond à une question de la saisine) nous pouvons rentrer dans un établissement sans prévenir la direction pour réaliser, si cela est nécessaire, un contrôle inopiné en un lieu précis de ce même établissement.
De même « les griefs formulés par des responsables de l’entreprise mettant en cause l’impartialité de l’inspectrice du travail accusée d’avoir fait preuve d’acharnement à son encontre sont dépourvus de fondement ».
Notre collègue n’a donc pas commis de faute professionnelle. Il est bon de le rappeler, compte tenu de la diabolisation, orchestré par le RUT du 74 en premier lieu et relayé par le DIRECCTE dans un second temps.
Faites ce que je dis mais faites ce que je dis
Si le rappel sur le droit de regard hiérarchique ne vise pas l’action de l’inspectrice, il vient avant tout répondre à une demande de la DGT faite en conclusion de son mémoire qui souhaitait : « dans le cadre des débats en cours à l’occasion de la mise en œuvre de la réforme de l’inspection du travail, [que soit] rappelé à tous les contours de l’exercice hiérarchique dans le système d’inspection du travail et les exigences découlant du respect qui s’impose à tous les agents publics du cadre institutionnel ».
Il vise ensuite directement le recadrage violent subi par l’inspectrice de la part de son directeur d’UT.
En langage diplomatique, l’avis du CNIT nous dit qu’en l’espèce l’exercice du pouvoir hiérarchique du RUT n’avait précisément aucun fondement juridique mais visait simplement à arrêter l’action de contrôle puisqu’il note que l’inspectrice a pu avoir « le sentiment qu’il était porté atteinte à son indépendance et à sa libre décision, en raison des motifs pour lesquels cette action a été contestée (contestation de la « stratégie de contrôle » et non des fondements juridiques de la démarche) d’une part et des termes très vifs de l’échange, qui ne répondaient pas aux conditions normales d’un entretien professionnel. »
En d’autres termes et en résumé pour le CNIT: OUI l’autorité hiérarchique peut avoir un regard sur l’action des agents sans contrevenir à leur indépendance pour peu que ce regard réponde à des considérations juridiques et/ou relève du conseil. Mais NON l’entretien menaçant et hurlant subi par l’inspectrice n’avait justement pas pour objet un sympathique échange professionnel ou une discussion juridique mais une volonté de « contester la stratégie de contrôle » !
Ainsi selon le CNIT, au vu de la teneur de l’entretien, l’inspectrice a pu légitimement avoir le sentiment qu’il était porté atteinte à son indépendance.
D’une façon générale le CNIT recommande alors « que l’attention des responsables hiérarchiques et des inspecteurs du travail soit appelée sur la distinction entre l’action de conseil aux inspecteurs qu’ils sont en droit de donner en matière de contrôle, et l’action de supervision qui doit être circonscrite aux fondements juridiques des actes ».
En ce qui nous concerne, et pour reprendre les termes de la DGT qui lie cette affaire à la réforme de l’inspection du travail, « dans le cadre des débats en cours à l’occasion de la mise en œuvre de la réforme de l’inspection du travail » nous serions également tentés de faire la même recommandation à tous les futurs DUCs qui s’apprêteraient à faire du zèle.
On se fait un bisou et on oublie tout ?
Après tout ça on s’attendrait en toute logique que le CNIT dénonce le relais des pressions extérieures indues de TEFAL et du MEDEF par notre hiérarchie. Et bien non !
Dans un exercice de haute voltige, qui nous a fait craindre un claquage dialectique en plein vol, le CNIT décrète soudain que « l’intervention du responsable d’unité territoriale […] n’avait pas pour objet et n’a pas eu pour effet de modifier les suites données par l’inspectrice du travail ».
Donc recadrer un agent « en des termes très vifs ne répondant pas aux conditions normales d’un entretien professionnel» (en Hurlant pendant 1h30 sur un agent) en « contestant sa stratégie de contrôle » (en lui donnant une semaine pour revoir sa position à l’égard de TEFAL) n’aurait pas pour objet de « modifier les suites données par l’inspectrice du travail » (en fait d’empêcher que le contrôle n’ait lieu).
On peut donc avoir le sentiment légitime de subir une pression sans que cela en soit une, saperlipopette! On croit rêver. Mais quel était donc l’objectif de l’entretien alors ?
Ainsi, si le CNIT déclare que cet entretien ne s’est pas déroulé dans des « conditions normales », il prend soin de l’extraire de son contexte pour en désamorcer la charge explosive.
Il est effectivement bien dommage que le CNIT n’ait pas rappelé le contexte dans lequel intervient cet entretien. On peut ainsi regretter qu’il n’ait pas relevé la coïncidence troublante entre un rendez-vous le 18 avril 2013 entre la direction de TEFAL et le directeur de l’UT, et le recadrage violent subi par l’inspectrice le lendemain matin le 19 avril 2013. Quelle troublante coïncidence, nous en sommes encore tout troublés ! Des esprits mal intentionnés et retords (comme nous) pourraient en être troublés au point de penser que la direction de l’UT a ainsi relayé les pressions de TEFAL. Mais tout ça n’est probablement que purement fortuit.
Il est également bien dommage que le CNIT n’ait pas pris la peine de répondre à toutes les questions de la saisine notamment : le RUT peut-il recevoir une entreprise sans en avertir l’inspecteur du travail ? Le RUT peut-il condamner le comportement professionnel d’un inspecteur du travail sans avoir au préalable communiqué au dit inspecteur les plaintes qu’il aurait reçu, ni entendu les explications de ce dernier ? Car c’est aussi ce qui s’est passé, sauf qu’il n’y a pas eu de plainte officielle de l’entreprise, comme cela arrive souvent, juste « un contact » en off de plusieurs mois avec le RUT et le préfet…
Mais le CNIT a certainement raison, convoquer un inspecteur du travail, le lendemain de la visite de l’entreprise à l’insu de l’inspecteur, pour lui reprocher, en lui hurlant dessus, son action et sa stratégie de contrôle dans cette même entreprise ne doit pas avoir pour objet de chercher une modification de l’action de l’inspecteur… Car oui, dire explicitement, en plein renforcement de la ligne hiérarchique, que la hiérarchie est du côté des patrons ça la foutrait un peu mal.
Enfin, il est bien dommage que le CNIT ne se soit pas prononcé sur les missions du RUT et sur la proximité entre certaines entreprises et les services des renseignements généraux. Fait-il parti des missions du RUT de démarcher les entreprises contrôlées par les agents de l’inspection pour placer des jeunes en stages en leur sein ? Et est-il normal que les entreprises de Haute-Savoie obtiennent du préfet la surveillance des inspecteurs du travail par les services des renseignements généraux ?
De plus, le CNIT prend soin également de ne pas décrire « les effets » qu’a eu cet entretien sur l’inspectrice du travail, soit l’abandon du contrôle annoncé à l’entreprise sur la durée du travail des salariés, du fait des irrégularités constatés dans l’accord d’aménagement du temps de travail, la création d’un sentiment d’illégitimité à poursuivre son action de contrôle dans l’entreprise entrainant l’abandon par cette inspectrice des dossiers en cours d’instruction (ATs – entrave CHSCT – chantier Amiante), et la détérioration de sa santé se traduisant concrètement par un arrêt de travail pour accident de trois mois…
De qui se moque-t-on en disant que l’entretien n’a pas eu « pour effet de modifier les suites données par l’inspectrice du travail »?
Ainsi, selon le CNIT, tout au plus nous serions face à une « défiance réciproque » inexplicable et inexpliquée. On préserve ainsi l’intégrité de l’autorité hiérarchique en renvoyant à un conflit de personne. Et le CNIT de conclure dans un lénifiant appel « au respect mutuel » : faites vous un bisou et on oublie tout !
On le craignait, et nous voyons ici clairement les limites politiques du CNIT :
– Le CNIT peut dire qu’il y a eu des pressions extérieures indues.
– Le CNIT peut s’étonner que notre hiérarchie n’ait pas joué son rôle en ne dénonçant pas ces pressions
– Le CNIT peut relever que le directeur de l’UT a outrepassé l’exercice normal son pouvoir hiérarchique en contestant la stratégie de contrôle de notre collègue.
– Le CNIT peut rappeler que notre collègue n’a pas commis de faute professionnelle dans l’exercice de sa mission.
– Le CNIT peut reconnaître que dans ce contexte l’inspectrice a pu légitimement avoir le sentiment qu’il était porté atteinte à son indépendance
Mais après avoir dit tout ça, dans un revirement presque désespéré, le CNIT ne peut pousser l’audace jusqu’à dire que notre hiérarchie a répercuté des pressions extérieure indues.
Tant et si bien que l’on peut résumer cet avis de la façon suivante :
« Quand on voit ce qu’on voit, vous avez raison de penser ce que vous pensez
mais nous ne pouvons nous permettre de le penser tout haut avec vous ».
L’avis du CNIT : Avis du Conseil national de l’inspection du travail – Téfal
Le tract en pdf: tract avis CNIT Téfal
Mise à jour : la convocation étant reportée au vendredi 3 octobre, la mobilisation l’est également
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Communiqué intersyndical CGT, FSU, CNT, FO et SUD Rhônes-Alpes
Face à la contestation sociale, le ministère du travail et du dialogue social porte plainte contre ses propres agents
Le 08 octobre 2013 une grande manifestation intersyndicale de contestation du projet de réforme de l’inspection du travail, dit « ministère fort », a eu lieu devant le centre de formation des inspecteurs du travail (INT). Le séminaire initialement prévu lors de cette journée regroupant l’ensemble de la hiérarchie du ministère et présidé par le Ministre, a été légèrement chahuté par les manifestants.
C’en était trop pour notre ministère qui manifestement ne supporte même plus la contestation sociale. Le directeur de l’Institut National du Travail, après avoir envoyé les gendarmes mobiles contre les agents, a fait le choix, sur instruction du ministère, de porter plainte contre les inspecteurs et contrôleurs en lutte pour de supposées dégradations afin d’intimider les agents et empêcher toute manifestation à venir.
Aujourd’hui 4 de nos collègues sont convoqués par la police pour être entendus dans le cadre de cette plainte.
Nous nous élevons contre cette volonté de criminaliser l’action syndicale.
Nous exigeons le retrait de la plainte de l’INT.
Nous appelons à nous rassembler le 2 octobre à 10h00 devant le commissariat de Villeurbanne afin de soutenir nos collègues.
Une conférence de presse aura lieu le jour du rassemblement à 12h00 à l’Unité Territoriale de la DIRECCTE (8-10, rue du Nord à Villeurbanne).
Le communiqué en pdf : Communiqué de presse plainte INTEFP
Texte lu aux noms des organisations SNU, FO, CNT, CGT et CFTC lors de l’hommage rendu Sylvie Trémouille et Daniel Buffière le 2 septembre 2014, dix ans après leur assassinats par un employeur.
Le meilleur hommage que nous puissions rendre à Sylvie Trémouille et Daniel Buffière c’est de défendre les missions et les statuts des agents du Ministère du Travail !
Il y a 10 ans, le 2 septembre 2004, Sylvie Trémouille, contrôleuse du travail, et Daniel Buffière, contrôleur de la MSA, étaient assassinés par un exploitant agricole à Saussignac.
Il est important de rappeler que cet acte odieux n’a jamais donné lieu à une mobilisation ministérielle à la hauteur des dérives largement diffusées et soutenues par divers groupements d’employeurs à l’encontre des services de l’inspection du travail.
Ainsi, le gouvernement n’a condamné que du bout des lèvres ces deux assassinats préférant parler de simple « drame » pour les déconnecter de leur contexte social.
En effet, les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, n’ont cessé de critiquer les droits des travailleurs, d’affaiblir le Code du travail, d’attaquer l’inspection du travail.
La condamnation pénale à 30 ans de réclusion du meurtrier ne masque pas que c’est dans ce contexte de délégitimation des contrôles en entreprise que, 10 ans après les assassinats, les obstacles, outrages et autres agressions ont été multipliés par 4 !
L’inspection du travail, chargée d’une mission de protection des travailleurs à travers la mise en œuvre d’un Code du travail – toujours protecteur des salariés malgré sa remise en cause par tous les gouvernements successifs – est toujours aussi menacée.
L’inspection du travail est, pour le MEDEF dont le gouvernement se fait le serviteur zélé, une contrainte insupportable (droit d’entrée de jour comme de nuit, contrôle inopiné, pouvoir d’enquête et d’audition, etc.), d’autant qu’elle a un lien direct avec les travailleurs et leurs syndicats, qu’elle bénéficie d’une indépendance d’action garantie par une convention internationale et qu’elle ne peut en cela être formellement supprimée.
Pour en finir avec l’inspection du travail, il faut donc sans cesse la réorganiser (combien de réforme depuis 10 ans, combien d’expérimentations ?) pour obéir à des « priorités nationales » fumeuses, coupée de la demande sociale, et ainsi la briser dans son indépendance d’action.
C’est le sens de la réforme de l’inspection du travail que le gouvernement met actuellement en œuvre. Elle détruit encore un peu plus son caractère territorial et généraliste. Elle casse avant tout le collectif de travail et se traduit sur le terrain par une suppression de 10% des postes de contrôle et le renforcement de l’encadrement intermédiaire chargé de mettre au pas les contrôleurs et inspecteurs du travail.
Depuis toujours les agents de l’inspection et du ministère du travail se mobilisent sans relâche pour résister à ces attaques. 10 ans après les meurtres de Saussignac, les agents et les missions de l’inspection du travail restent toujours à défendre parce que les attaques contre l’inspection du travail sont par nature des attaques contre les droits des travailleurs. D’autant qu’au même moment, le gouvernement VALLS II entend remettre en cause des pans entiers du Code du travail (seuils sociaux, travail du dimanche, 35h, etc.).
Aujourd’hui, nous rendons réellement hommage à Sylvie TREMOUILLE et à Daniel BUFFIERE en réaffirmant notre attachement à nos missions, à nos statuts, contre la casse du Code du travail.
Tous ensemble, refusons la baisse des effectifs,
la dégradation de nos conditions de travail
et du service rendu aux salariés !
Zéro suppressions d’emploi !
Refus de toute surcharge de travail !
Aucune mobilité imposée !
Non aux pools de secrétariat !
Affectation des secrétaires à des agents de contrôle et non à l’UC !
SNU, FO, CNT, CGT et CFTC appelleront courant septembre à une heure d’information syndicale pour organiser la défense de nos conditions de travail et préparer les mobilisations à venir.
Le tract en pdf : 10 ans Saussignac Sylvie Trémouille et Daniel Buffière Direccte Alsace
Le 18 avril 2015 le cabinet « Alternatives ergonomiques », mandaté par le CHSCTM, rendait son rapport. L’objectif de ce rapport était d’analyser les conséquences de la réforme Sapin, dite « ministère fort », sur les conditions de travail et la santé des agents. Pour ce travail les experts ont basé leurs analyses sur la manière dont les agents vivent leurs situations de travail actuelles dans 3 Unité territoriales (Paris, Toulouse et Montauban). C’est à partir des difficultés rencontrées par les agents dans leur activité que le rapport a ensuite cherché à identifier l’impact possible de la réforme. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, les analystes du travail ont tenu à revenir longuement sur les conditions de l’expertise.
Le char d’assaut de la DGT: retour sur les conditions de l’expertise et les motivations du projet de réforme…
Pour les analystes, l’appel d’offres du ministère contrevient aux conditions normales de réalisation d’une telle expertise, notamment les cadres temporels et surtout financiers, qui ont été fixés unilatéralement par l’administration. « Ici, le processus de mise en œuvre de la réforme s’est poursuivi parallèlement au déploiement de l’expertise […] Cette situation a conforté le point de vue des agents qui considèrent que, depuis le début de ce projet, le ministère avance en dépit de toutes les critiques » (p.17). De là à dire que pour l’administration cette expertise n’était qu’une formalité administrative à évacuer le plus vite possible, il n’y a qu’un pas. Sapin nous avait promis que le « char d’assaut de l’Etat » passerait.
Revenant également sur la synthèse des restitutions des expressions régionales des agents, les expertes notent, avec peut-être un brin de taquinerie et de fausse candeur, « de cet ensemble de critiques et de propositions, on voit mal pourquoi il est essentiellement ressorti le projet de transformer les sections en unités de contrôle sous la responsabilité d’un hiérarchique là où les demandes sont beaucoup plus de renforcer l’existant, de donner les moyens pour qu’il réponde aux missions attendues, de mettre de la cohérence dans ce qui existe » (p.31-32). On se le demande aussi mais peut-être que la réponse, on en frémit rien que d’y penser, est que le projet était déjà bouclé, avant la mise en scène de consultation des agents…
Sur les motifs du projet, le rapport relève au préalable qu’il n’existe pas de document de synthèse faisant le diagnostic de la situation actuelle et justifiant le projet de réforme. Ainsi « à défaut de ce diagnostic « mis sur la table », on fait comme si tout le monde avait le même point de vue sur ce qu’il faut modifier pour que ça marche, ce qui d’évidence ici n’est pas le cas » (p.21). A défaut de diagnostic, les analystes rappellent notamment à notre bon souvenir que, dès 2011, le rapport IGAS sur les sections d’inspection préconisait d’engager une réforme de l’organisation pour s’adapter aux réductions d’effectifs, notamment de secrétariats. La DGT proposait alors comme réponse de jouer sur le découpage et l’organisation de sections en optant pour une politique d’affichage par un renforcement de la programmation et de la ligne hiérarchique. Dans le même rapport IGAS, la DGT demandait que « la hiérarchie soit la clef de voûte du système » par une « programmation stratégique », en faisant remonter le lieu de l’arbitrage de l’activité au dessus de la section. On le voit la réforme « Sapin », qu’il faudrait plutôt appeler la réforme « DGT », vient de loin. Il n’est pas inutile de le rappeler.
Cherchant toujours les motifs du projet nos analystes finissent par déclarer « il est tout au plus possible de comprendre que la réforme se concentre sur un objectif : rendre l’action plus collective » (p.32) A ce sujet le rapport remet tout de suite les pendules à l’heure avant d’y revenir plus loin plus en détail : « le travail collectif ne se prescrit pas : il se crée et se recrée sans cesse, au gré des nécessités. Le collectif est de fait toujours à géométrie variable » (p.14).
INAPTE pour EPITaphe !
Le rapport rappelle que les contrôleurs demeurent dans l’incertitude quant à leur avenir, notamment après 2015. La RAEP qui impose un concours artificiel de « valorisation » fait naître le risque pour les contrôleurs ne réussissant pas cette épreuve « de se sentir humilié, voire nié dans ce qui le constitue comme professionnel » (p.55).
Sans déconner ?… !!!
Les analyses du terrain : la novlangue managériale à l’épreuve de la réalité.
Les analyses de terrain portent d’abord et essentiellement sur le « système d’inspection du travail ». C’est l’occasion de revenir sur un certain nombre d’idées reçues et de fausses oppositions développées constamment par notre hiérarchie.
Sur l’opposition demande individuelle/action collective :
Sur la base des observations qu’elles ont réalisées les analystes rappellent « qu’aucune des visites n’a pour horizon la seule demande individuelle, même si c’est celle-ci qui a pu déclencher le déplacement. Toujours la visite est guidée par des questions sur l’ensemble de l’entreprise » (p.36).C’est évident pour n’importe quel agent de contrôle mais ça va encore mieux en le disant. Cette fausse opposition montée de toute pièce par notre hiérarchie poursuit un double objectif : 1) faire croire que ne pas traiter une « demande individuelle » permettrait de régler par miracle la question de la charge de travail ; 2) justifier le flicage de l’activité en faisant une équation entre action collective = action collective programmée par la hiérarchie. Cette volonté d’écarter par un coup de baguette magique la fameuse « demande individuelle » de nos missions revient à promouvoir une administration fonctionnant à coups de plans d’actions valorisables en renonçant à être un service public au sens plein du mot, c’est-à-dire un service accueillant un public dans l’objectif de répondre à ses demandes.
Sur la capacité d’adaptation du contrôle à l’entreprise :
Autre idée véhiculée par notre administration sous influence patronale, la nécessité d’adapter notre action à la situation de l’entreprise. Veut-on dire par là, que les agents seraient trop imbéciles pour moduler leur action ou définir une stratégie d’action en fonction de la situation de chaque entreprise ? A cet égard le rapport répond à l’épreuve des faits : « Dans ce qui a été vu, rien ne ressemble à une action mécaniste de la norme » (p.36). L’enjeu n’est donc pas là. Il s’agit plutôt d’une posture politique derrière l’apparente neutralité d’un discours technique. Nous réaffirmons que le droit du travail n’est pas une variable d’ajustement éventuellement applicable en fonction des moyens supposés de l’entreprise. Il n’y a pas de réponse type à appliquer en fonction de la taille de l’entreprise sauf à institutionnaliser et généraliser une rupture d’égalité entre les salariés.D’autre part c’est l’occasion de rappeler que nous ne sommes pas des accompagnateurs mais des agents de contrôle. Ainsi, et à rebours de la DGT qui veut nous donner tous les rôles notamment celui de médiateur et de gentil animateur dans un projet politique non assumé de réorienter notre fonction vers d’autres finalités que l’application du droit du travail pour les salariés, les analystes « ont entendu à quel point les agents sont soucieux précisément qu’on ne leur donne pas tous les rôles. La réforme semble brouiller les pistes plutôt qu’elle ne clarifie les idées ». Les agents « préfèrent l’idée d’être garants du progrès social » (p.29-30). Il ne s’agit donc pas d’opposer le contrôle au conseil, mais de garantir l’autonomie des agents afin de permettre une adaptation réelle en situation avec pour finalité l’application du droit du travail pour les salariés.
Sur l’isolement, la complexité du métier et la charge de travail :
Sur les questions d’isolement et de charge de travail le rapport fait quelques remarques salutaires. En effet, les analystes observent que, si l’isolement fait parti du métier d’agent de contrôle, celui-ci n’est pas forcément ressenti comme problématique par tout le monde. Ce dernier devient problématique quand on reste seul, sans ressources face à des difficultés. De même : « à force de dire que le métier est complexe et difficile on peut en oublier d’entendre que ni la complexité ni la difficulté ne sont en elles-mêmes rebutantes » (p.37). Les analystes lient donc cette question à celle de la charge de travail et de ce qui la constitue confirmant ainsi le discours des organisations syndicales.
« Le fait d’avoir observé les agents en situation de contrôle ne montre qu’une partie de leurs difficultés, et aller plus loin s’avère nécessaire, mais il réserve la surprise de constater que cette partie du travail (le contrôle) n’est pas forcément celle qui pèse le plus. Autrement dit, que si les agents de contrôle ne vont pas plus sur le terrain c’est parce qu’ils en sont empêchés. » (p.39).Qu’est-ce qui empêche ? Nous savons que la préparation et surtout les suites à contrôle sont les moments les plus chronophages. Notre travail est constamment interrompu par de multiples sollicitations et le sentiment de débordement est quasi permanent. Face aux obstacles rencontrés, les analystes relèvent l’absence d’organisation du partage des difficultés entre pairs. C’est ce partage qui est fondamental pour sortir de l’isolement et des situations de blocage. Or en l’absence d’organisation de ces échanges par l’institution les constructions autour du métier sont essentiellement affinitaires et restent fragiles. « Car c’est en quelque sorte le revers de la médaille de ce métier exigeant : l’engagement est tel que l’épuisement guette. Or il n’y a rien d’évident à en parler. Cela suppose que les débats sur le métier soient suffisamment installés pour que ce soit dit. » (p.40)
Nous qui nous heurtons, dès que nous évoquons le problème de la charge de travail, au déni notre hiérarchie qui systématiquement évacue la question et la détourne vers des questions d’organisation et de pilotage tout en nous demandant d’aller plus sur le « terrain » pour remplir les objectifs, sommes ravis d’entendre ces « experts » nous dire que nous ne pouvons pas matériellement le faire.
Travailler à l’emploi… sans perspectives
On le sait, l’emploi est soumis aux politiques de l’emploi…Ainsi, les dispositifs créés peuvent disparaître du jour au lendemain, et l’organisation du travail n’est jamais stabilisée pour longtemps. « Mais ce n’est pas impunément, sur le plan subjectif, qu’on voit s’évanouir une mesure qu’on a promue activement pendant un an ». (p.44) Les agents du pôle 3E ont le sentiment d’une absence de perspective d’avenir et de démembrement des services. Le rapport décrit des incertitudes en cascade. Incertains sur l’avenir des mesures, les agents sont incertains sur les crédits qui seront débloqués. L’incertitude rejaillit sur la parole des agents que ceux-ci sont censés représenter l’Etat. Cette situation est notamment particulièrement difficile à vivre pour ceux qui ont en charge des dispositifs à destination des populations précaires. Il y a ainsi une perte de confiance ou de crédibilité de la parole de l’Etat. Le rapport prend l’exemple des CMAT et pose la question : comment avoir un quelconque poids dans la négociation avec les partenaires lorsqu’on ne peut pas le traduire en lignes budgétaires fixes ?
La charge de travail fluctue d’un extrême à l’autre, de la sous-activité aux situations de débordement. Sans surprise ces fluctuations sont liées au fonctionnement même du pôle 3E. Ceux qui sont en surcharge travaillent à flux tendu et n’ont pas toujours le sentiment de faire un travail de qualité. A l’inverse ceux qui sont en sous-charge culpabilisent et peuvent adopter des postures de repli. Ces situations peuvent également générer des tensions entre les équipes ou les agents. « Dans ces conditions, arriver à maintenir un sens à son travail et, comme le disent les agents, une certaine motivation peuvent être difficiles » (p.45).
Concernant la tarte à la crème du lien travail emploi que le projet « ministère fort » essaye de nous vendre, il convient de revenir la situation réelle pour sortir du bla-bla. La réforme va mécaniquement et progressivement faire disparaître les agents de contrôle des services emploi. Or selon les analystes « un agent de contrôle ne perd pas son approche spécifique de l’entreprise parce qu’il est agent de l’emploi : accorder des crédits à une association qui traite mal ses salariés, par exemple, ne serait pas supportable » (p.46). C’est donc bien plutôt vers un lien de plus en plus distendu entre le travail et l’emploi que nous allons. D’autant que les arbitrages échappent déjà souvent aux agents qui gèrent les dispositifs, notamment quand ceux-ci s’occupent de contrôler d’un peu trop les conditions fixées pour obtenir des aides. Là encore c’est le sens du travail qui est mis à mal et non débattu.
Une réforme à contre-sens pour avoir l’esprit « corporate » !
« En annonçant comme mesure principale de la réforme la mise en place d’unités de contrôle remplaçant les sections d’inspection, le ministère a focalisé sur l’organisation ce qui est d’abord une question de sens et d’objectifs. » (p.51),car « On ne fait pas ce métier par hasard » même si l’administration semble le déplorer.Mais du point de vue même du travail « on souligne assez peu ce que cet engagement apporte au métier. Ne peut-on dire pourtant que, sans cet engagement, bien des aspects du métier seraient impossibles ? » (p.51) Oui, on peut le dire !
C’est bien cet engagement qui permet la réalisation du travail tout autant qu’il fonde la dégradation, voire la rupture, entre les agents et leur autorité de tutelle politique et/ou administrative. En effet, « on peut ajouter tous les rôles à l’agent de contrôle, il reste défini d’abord en référence à l’histoire de la mission : l’agent de contrôle assure l’effectivité du droit du travail. […] La difficulté c’est que certains agents ne reconnaissent plus, dans le droit du travail tel qu’il évolue, les perspectives pour lesquelles ils ont choisi ce métier. » Cette remarque vaut aussi bien pour l’autorité politique qui est engagée depuis des années dans une entreprise de dérégulation du droit du travail qui s’incarne notamment par la remise en cause du principe de faveur, que pour l’autorité administrative. Inutile de rappeler à cet égard les petits arrangements continus entre notre ancien DGT et le patronat à coups de décrets illégaux pondus sur mesure pour répondre au lobbying de telle ou telle branche.
On le sait, l’alibi du projet « ministère fort » est de faire travailler plus collectivement les agents de contrôle dans le cadre d’un nouveau système d’inspection. Or le collectif ne se prescrit pas « car on peut sur le papier élargir la taille de l’équipe. On peut fixer différemment une organisation, une composition, des objectifs. Mais ce sont les individus qui forment les collectifs, pas les prescriptions de « faire collectif » (p.49). Lorsqu’on prétend prescrire du travail collectif, ce qui se construit dans ces cas-là c’est une organisation qui fonctionne sur l’autorité hiérarchique mais pas sur l’implication des personnes. Et c’est tout le problème de la nouvelle organisation en UC avec des DUC à leur tête. De plus, le risque est alors de casser les collectifs existants sans avoir réellement cherché à comprendre pourquoi ça fonctionne plus ou moins bien. En effet, on ne part pas de rien. Les analystes constatent que des collectifs existent, même si ceux-ci sont à géométrie variable. Si, lorsqu’elle fonctionne, la section d’inspection est le premier échelon du travail collectif ce dernier ne se limite pas pour autant à la section. Le collègue de promo, le collègue de la section voisine considéré comme compétent sur un sujet, les ingénieurs prévention, les ARM, les organisations syndicales : de multiples formes de collectifs et d’échanges existent. « Il n’y a pas de collectif sans informel, sans possibilité d’improviser la rencontre, ou de passer du coq à l’âne dans une discussion autour d’un café. » (p.51) Mais ce travail collectif, qui permet d’élaborer des stratégies communes, mais aussi de dire ses doutes et ses lacunes n’a rien d’évident. Les analystes ont entendu chez les personnes interrogées un manque d’outils communs et une faible capitalisation des expériences. « L’objectif doit être, puisque l’agent est seul sur le terrain, « isolé » comme il est dit, que chacun se sente en situation de contrôle avec [un] « collectif en soi », c’est-à-dire tout ce qui a fait collectivement expérience et qui peut devenir un moyen, un soutien, de son activité individuelle. » (p.48).
C’est là tout l’enjeu du débat autour du collectif : institutionnaliser les débats sur le travail pour dépasser la fragilité des échanges affinitaires semble nécessaire, mais prétendre prescrire du collectif par la ligne hiérarchique est un non-sens et une malhonnêteté intellectuelle qui cache mal la volonté de faire l’affichage. Il nous faut redonner du sens au travail pour pouvoir construire les collectifs de résistance nous permettant de sauvegarder le sens que nous lui donnons.
Evolution des Secrétariats de section : Evolution des tensions !
Le rapport revient sur les transformations de ce métier ces dernières années. La fonction a été mise à mal par les dernières évolutions institutionnelles (réductions des effectifs, fusion,…) et varie en fonction des pratiques des agents de contrôle (notamment sur la question de la frappe des courriers). Or « Les analyses montrent que l’organisation n’a pas pris la mesure des transformations vécues par les secrétariats qui se sont sentis délaissés. ». De fait le rapport constate « qu’aujourd’hui il n’est pas possible de parler DU travail de secrétariat. Il y a des manières différentes d’habiter la fonction de secrétaire qui sont le résultat de constructions singulières au sein des sections ». « Comment rester la clé de voûte quand les évolutions tendent à vous priver des informations sur la vie de la section ? » (p.42). Dans ce contexte le projet ministère fort génère de l’inquiétude. Outre le flou sur la façon dont va se structurer le secrétariat dans les nouvelles unités de contrôle, le passage en UC va mettre en évidence les différences dans la façon de travailler avec tous les risques de conflit qui peuvent en résulter. « Ces différences risquent d’être la source de tension entre les secrétaires : tension dans la répartition du travail à faire pour les agents de contrôle, tension du fait des évolutions prévues vers de l’assistanat entre les agents qui veulent évoluer, ceux qui acceptent de le faire parce qu’ils s’y sentent obligés, et ceux qui ne le souhaitent pas. ». Avec la nouvelle organisation en pool d’UC « le risque qu’une spécialisation des agents de secrétariat s’installe au regard des compétences détenues par chacun existe et figerait une situation qui mériterait au contraire d’être dynamisée. » (p.43).
La bataille pour l’autonomie ET l’indépendance
Parmi les éléments de langage développés constamment par notre hiérarchie, celle-ci nous explique que nous confondons indépendance et autonomie. On se souvient à cet égard du mot de notre DIRECCTE préféré pour qui nous nous prendrions pour des « professions libérales ». Or nous ne confondons pas autonomie et indépendance, nous revendiquons les deux : l’autonomie ET l’indépendance. L’autonomie dans l’organisation de notre travail et l’indépendance sur les finalités de notre action contre toute « influence extérieure indue ». Comme le note fort justement le rapport « l’autonomie ne se coupe pas en tranches puisqu’elle signifie capacité de fixer ses propres normes » (p.59). Ceci n’est absolument pas contradictoire avec des actions communes ou un travail collectif et c’est cette capacité à pouvoir fixer ses propres qui est garante de la santé au travail. En revanche la perte d’autonomie c’est la perspective ne plus avoir le temps de choisir des contrôles approfondis, c’est-à-dire éventuellement non productifs du point de vue de l’organisation, la perte de la capacité d’organiser son planning et au final le risque d’une perte de sens. On le voit, ces questions, travail collectif et sens du travail, s’incarnent dans la bataille autour de l’autonomie. Ainsi « l’organisation a tout à gagner à ce que les agents continuent à défendre la possibilité la plus large possible de choisir les jours où ils vont contrôler, les lieux, les thèmes, les façons de faire. C’est à elle de convaincre l’agent que les thèmes programmés nationalement ou régionalement, et les façons de faire proposées, ne contredisent pas l’idée qu’il se fait du métier. » (p.59).
« Points d’alerte » et…
Partout, le sentiment de déqualification gagne du terrain et « la porte est ouverte à toutes les possibilités de conflit » au sein de la nouvelle organisation: entre CT, entre IT et CT, entre IT-EPIT et les autres et entre secrétaires. Le cabinet d’expertise liste également un grand nombre de dangers pesant sur les futurs DUC. Notamment comment construire une relation de confiance pour parler métier alors même que le DUC sera dans une relation hiérarchique avec les agents ? Question que nous posons nous-mêmes depuis longtemps… comme tant d’autres.
Quelle reconnaissance pour les secrétaires qui vont être amenés à prendre en charge de nouvelles tâches ?
Enfin les services renseignements se sentent délaissés. A cet égard le silence du projet « ministère fort » sur le service renseignement est particulièrement inquiétant quand on sait par ailleurs que l’administration va mettre le fameux observatoire des services renseignements (ODR). Quel est l’objectif de cette expérimentation ? Faire une évaluation quantitative du travail de renseignement pour mieux le sous-traiter ?
« Pistes de travail »
Comme pistes de travail les analystes proposent de discuter de la réalité entre agent (et non descendante avec la hiérarchie), notamment par la mise en discussion du rapport, de recenser l’existant et les demandes en matière d’appui au travail, et bien sûr de répondre point par point aux points d’alerte soulevés par le rapport.
Le plan de prévention des risques proposé le 14 mai lors du CHSCT-M relève de la magie. Face aux dangers posés par la mise en place de la réforme, le ministère répond… par la mise en œuvre de la réforme. A cet égard nous pouvons reprendre telle quelle une formule du rapport selon laquelle « le ministère fait comme il s’entend (lui-même), sans entendre les autres. » (p.62).
Seule la mobilisation permettra de s’opposer aux dégradations de la santé que la réforme porte en germe. En construisant du sens nous construisons du collectif. Nous devons collectivement reprendre la main, en décidant ensemble de la manière dont nous voulons travailler demain et en posant les limites qu’on fixera à notre hiérarchie pour préserver notre santé.
Le tract en pdf : Tract Alter Ergo
« Liste des candidats déclarés aptes à prendre part à l’épreuve orale d’entretien »
Voilà comment le ministère considère les contrôleurs du travail n’ayant pas eu la chance d’être retenus : des inaptes.
La violence de l’intitulé de cette liste ne fait qu’illustrer la violence du système de sélection qu’est l’EPIT.
Rien ne justifie cette sélection
Certains diront qu’on ne peut pas retenir tout le monde, qu’il faut bien des critères, d’autres diront que c’est injuste certains agents ayant été écartés du jury et que les critères de sélection sont mal identifiés… Tout ceci sans remettre en cause le fondement même de ce concours qui n’a pour effet que de diviser les agents.
L’EPIT est violent car il exige des contrôleurs du travail de justifier de leur capacité à devenir inspecteur. Seulement quelles sont les différences entre inspecteurs du travail et contrôleurs du travail ? Qu’est-ce qui justifiait par le passé l’existence de deux corps différents pour des métiers similaires ? Qu’est-ce qui légitime l’existence d’un concours pour faire de toute façon les mêmes métiers ?
Si les inspecteurs ne sont plus chefs de service, pourquoi ne pas les rétrograder en contrôleurs ?
Les inspecteurs et contrôleurs contrôlent ou mettent en œuvre les politiques de l’emploi. Il est vrai qu’à l’inspection, les inspecteurs signent leurs décisions administratives. Pourtant au Service régional de contrôle, les contrôleurs comme les inspecteurs les rédigent sans avoir le pouvoir de les assumer. Doit-on pour autant rétrograder les inspecteurs du SRC en contrôleurs ? Et les contrôleurs qui ont été chefs de service à l’emploi, pourquoi ne sont-ils pas promus d’office ?
La sacro-sainte différence faites entre le contrôle des entreprises de plus et de moins de 50 salariés n’a pas plus de pertinence. Quelles sont les entreprises les plus faciles à contrôler ? Celles avec un DRH poli à qui l’entreprise n’appartient pas ou celles des petits artisans ?
Finalement, pourquoi avoir autant d’exigences pour le passage des contrôleurs en inspecteurs, alors qu’à tous les échelons de la hiérarchie, l’administration est capable de se contenter de ce que les agents ont à offrir, et parfois c’est bien peu de chose…
1 000 dossiers jetés à la poubelle !
L’EPIT est aussi un immense gâchis de temps. Combien d’heures de formation, de jours de préparation par les candidats pour voir 1 000 dossiers jetés à la poubelle ?
Au fond, l’EPIT ne représente que le mépris qu’a notre ministère pour le travail réel accompli par les agents. Si l’accent est ici mis sur la question des contrôleurs, nous pourrions avoir, à peu de choses près, la même analyse pour le passage des secrétaires en SA.
Pour les agents de contrôle en section, la période transitoire s’annonce difficile, notamment par le fait que les inspecteurs devront, outre leur section, s’occuper tout ou partie du contrôle des entreprises de plus de 50 salariés des sections occupés par les contrôleurs « résiduels ».
Pour les contrôleurs à l’emploi, c’est soit le passage obligé par la section via l’hypothétique EPIT, soit la perspective peu engageante de rester dans un corps en extinction, avec tout ce que cela implique en terme de perte de droits à mutation et de place dans le collectif de travail.
Qu’est-ce qui s’oppose au passage des contrôleurs en inspecteurs et à l’application de ce principe pourtant basique : à mêmes métiers, même statut, même salaire ?
Il a été écrit que cela déqualifierait les inspecteurs. Il est pourtant évident que le corps unique ne modifie en rien les capacités professionnelles des inspecteurs. Reste la question du rôle hiérarchique. Pourquoi est-ce que tout à coup cet aspect devient-il si important ? Nous qui croyions que les inspecteurs refusaient leur rôle de managers… A moins que les inspecteurs ne se prennent pour les protecteurs des contrôleurs, comme un suzerain avec son vassal.
Nous avons aussi pu entendre que le corps unique serait un déclassement des inspecteurs. Si nous aurions pu nous réjouir d’entendre apparaître – pour une fois ! – la notion de classe, elle nous paraît employée à l’envers. Nous considérons, d’un point de vue de classe, qu’il importe que nous ne nous fassions pas diviser par des catégories créées par notre patron.
La division affaiblit le collectif de travail, c’est pourquoi la CNT revendique :
- la suppression de l’EPIT ;
- le passage de tous les contrôleurs en inspecteur : travail, emploi et formation professionnelle dans le corps de l’IT sur leur poste ;
- le passage des agents de catégorie C en SA avec possibilité de passerelle vers le corps de l’inspection ;
- la garantie d’organisation et d’effectif des secrétariats par rapport au nombre d’agents de contrôle ;
- l’augmentation des effectifs pour répondre à la demande sociale tant à l’emploi qu’au travail.
Le tract en pdf : Examen professionnel d’accès à l’inspection du travail : mêmes métiers même statut
Article paru dans Liaisons sociales Magazine de juin 2014, dans le dossier « Ils font craquer les patrons ».
Inspectrice sous pression
La garante du Code du travail
Cette inspectrice du travail à l’Unité territoriale de Haute-Savoie ne s’exprimera pas. « Elle estime n’avoir fait que son travail », lâche un collègue. Ce n’est pas l’avis de la DRH de Tefal (1600 salariés) à Rumilly. Elle «nous inonde de
courriers sur tous les sujets depuis janvier 2013″, écrit-elle dans un document interne décrivant le plan d’action pour contrer la fonctionnaire, dont ce rendez-vous le 18 avril 2013 avec son supérieur hiérarchique, cette nouvelle conversation avec lui le 25 mai commentée d’un «on attend de voir si son action porte ses fruits »… Dévoilées par la CNT Travail puis l’Humanité mi-décembre, ces pièces éclairent l’affaire divisant l’UT 74. Puisque, au lendemain de son entrevue avec Tefal, le directeur départemental du travail a demandé à l’inspectrice de revoir sa position sur l’interprétation de la légalité de l’accord de RTT, dont elle avait demandé la renégociation.
Une mise en garde mal vécue l’intéressée, placée en arrêt de travail trois mois. Une atteinte au principe d’indépendance
pour les syndicats d’inspecteurs (CGT, FSU, CNT et SUD), qui en ont fait un symbole fin 2013, comme ceux de Tefal.
« Si on enlève toute autorité aux inspecteurs, quel recours reste-t-il aux salariés dont les droits sont bafoués? » vitupère
son DSC CGT une pétition de 360 salariés à la main. « Quand un inspecteur du travail est incriminé par une entreprise,
l’autorité administrative dolt organiser, en toute transparence une confrontation contradictoire entre les parties. Ce n’a pas été fait», note le Snutef FSU, en pointant les tiraillements de l’administration entre ses missions emploi et contrôle. L’inspectrice, en temps partiel thérapeutique, attend l’avis du Consell national de l’inspection du travail, qu’elle a saisi, pour retrouver sa crédibilité d’intervention.
L’article en pdf : Droit_des_salaries_resistants_enquete_LS_magazine_06_2014_CNT-TAS