Notre tract au sujet de cette affaire : Marins, travailleurs de seconde zone ?
Avis n° 17- 0006
Le Conseil national de l’inspection du travail,
Vu la lettre en date du 8 janvier 2018 par laquelle M. W., contrôleur du travail à l’unité départementale de la Gironde, section de l’unité de contrôle de O., service de la Direccte de Nouvelle Aquitaine, l’a saisi d’une contestation dirigée contre le relus du chef du Pôle travail de la Direccte de Nouvelle Aquitaine de laisser effectuer des contrôles portant sur l’application de la législation du travail à bord des navires armés par le Conseil départemental de la Gironde et assurant la liaison maritime entre la Pointe de Grave (Le Verdon) et Royan et entre Blaye et le Port de Lamarque ;
Vu les observations de la Direccte de Nouvelle Aquitaine en date du 9avril 2018, selon lesquelles il revient à la Direction générale du travail de fournir les éléments nécessaires afin de savoir si l’inspection du travail est compétente pour contrôler l’application de la législation du travail sur les navires exploités directement par un département ;
Vu les observations du Directeur général du travail en date du 7 juin 2018 selon lesquelles, d’une part, la saisine de M. W. ne relève pas du champ d’intervention du Conseil national de l’inspection du travail, en ce qu’elle met en cause la légalité d’instructions administratives qui ont une valeur réglementaire, ont été prises dans le cadre des pouvoirs de l’Autorité centrale et ne sont pas atteintes d’une illégalité manifeste, et d’autre part,l’inspection du travail n’est pas habilitée à effectuer des contrôles à bord de navires exploités directement par une collectivité territoriale ;
Vu la convention n° C-178 de l’OIT concernant l’inspection des conditions de travail et de vie des gens de mer adoptée le 22octobre 1996 à Genève et révisée en 2006 par la Convention du travail maritime, adoptée le 23 février 2006 à Genève et publiée par décret du 13 juin 2006;
Vu les dispositions du code des transports, notamment ses articles L.5243-2-3, L.5243-4, L.5548-1 à L.5548-5 et L.5641-1 ;
Vu les dispositions du code du travail, notamment en ses articles L.8112-1, L.8112-2,L.8113-8, R.8113-6, D.8121-1 et D.8121-2 ;
Sur le rapport de Mme Guyot et de M. Bailly,
Après s’être prononcé sur la recevabilité de la saisine de M. W. lors de sa séance du 21 février 2018 ;
EST D’AVIS DE RÉPONDRE A LA SAISINE DANS LE SENS DES OBSERVATIONS QUI SUIVENT :
Sur la compétence du Conseil national de l’inspection du travail pour se prononcer sur la saisine de M. W.
La Direction générale du travail observe que dans sa lettre de saisine M. W. met en cause la légalité des directives administratives contenues dans la note de la Direction générale du travail du 12octobre 2017, selon laquelle l’inspection du travail n’est pas habilitée à contrôler l’application de la législation du travail à bord des navires armés par le Conseil départemental de la Gironde, parce que ce service de navette maritime n’est pas assuré par un établissement public disposant d’une personnalité juridique propre. Elle en déduit que cette contestation de la légalité d’un acte administratif relève de la seule compétence de la juridiction administrative et qu’en l’absence de toute illégalité manifeste, ces instructions s’imposaient à M. W., quine peut y voir une ingérence extérieure portant atteinte à son indépendance, alors qu’il est tenu, comme tout fonctionnaire, de se conformer aux instructions de son autorité hiérarchique.
Lors de la première séance portant sur l’examen de la lettre de saisine de M. W., le Conseil a considéré que cette saisine était recevable, au regard de l’article D.8121-2 du code du travail, dans la mesure où son auteur invoquait une atteinte directe et personnelle aux conditions dans lesquelles devaient s’exercer ses fonctions, résultant selon lui de l’acte d’une autorité administrative, à savoir la décision de son chef du Pôle travail de s’opposer, de manière répétée, à toute inspection à bord des navires assurant ce service maritime.
Le Conseil considère :
-
que
la circonstance tenant au fait que l’atteinte directe et
personnelle aux conditions dans lesquelles doivent pouvoir s’exercer
les fonctions d’inspection résulte de l’application d’un acte
administratif pouvant faire l’objet d’un recours ne fait pas
obstacle à sa compétence ;
-
que
n’y fait pas davantage obstacle la circonstance que cette atteinte
résulterait de ce qu’il a été demandé à l’intéressé de faire
application d’un acte général et impersonnel.
A ce titre, l’obligation à laquelle est tenu tout agent de contrôle, en vertu de l’article R 8124-8 du code du travail, de se conformer aux instructions reçues de son supérieur hiérarchique, ne saurait le priver de la possibilité de saisir le conseil national de l’inspection du travail lorsque l’exécution d’une telle instruction est de nature à porter directement et personnellement atteinte aux conditions dans lesquelles il doit pouvoir exercer sa mission.
Il convient donc de se prononcer sur la saisine de M. W.
Sur l’objet de la saisine
1°/ Le personnel travaillant à bord des navires qui assurent la liaison maritime entre Le Verdon et Royan et entre Blaye et le Port de Lamarque relève des dispositions qui régissent les conditions de travail des gens de mer, notamment des dispositions du code des transports applicables à cette catégorie de salariés ;
2°/ A ce titre, en vertu tant des dispositions de ce code (L.5511-1) que de celles des Conventions de l’OIT susvisées, applicables à cette catégorie de travailleurs, dont en dernier lieu, la Convention du travail maritime de 2006, à laquelle renvoie l’article R.8121-13du code du travail, le département de la Gironde, qui assure directement l’exploitation de ces navires, a la qualité d’armateur et se trouve soumis en cette qualité aux dispositions qui régissent les conditions de travail des gens de mer qu’il emploie ;
3°/ La Convention du travail maritime de 2006 s’applique en effet à tous les navires, y compris à ceux qui appartiennent à des personnes publiques en tant qu’armateur, à la seule exception des navires de guerre ; elle n’abroge pas les dispositions non contraires de la Convention sur l’inspection du travail maritime de1996, également citée dans l’article R.8121-13 du code du travail, laquelle impose aux États signataires de mettre en place un service d’inspection des conditions de travail et de vie des gens de mer à bord des navires, prescrit l’organisation de visites de contrôle régulières à bord des navires et exige que des inspecteurs qualifiés soient chargés de ces missions, dans des conditions garantissant leur indépendance, avec notamment le pouvoir de monter à bord des navires, de procéder à tous examens,contrôles et enquêtes pour assurer le respect des dispositions légales et d’exiger qu’il soit remédié aux carences constatées;
4°/ Ces dispositions impliquent que le service de l’inspection du travail, seul qualifié pour contrôler l’application de la législation du travail du personnel maritime n’ayant pas la qualité d’agent public, puisse effectuer des contrôles à cette fin à bord des navires, quel que soit le statut de leur armateur ;
5°/ A défaut, aucun autre service d’inspection offrant les garanties d’indépendance exigées par les Conventions de l’OIT n’aurait d’ailleurs le pouvoir de veiller à l’application de la législation du travail à l’égard des salariés de droit privé travaillant dans un navire et employés par une collectivité territoriale ayant la qualité d’armateur. Au surplus, le contrôle de l’application de la législation et réglementation du travail à bord des navires relevait antérieurement d’un service d’inspection spécialisé avant l’unification des services de l’inspection du travail ;
En conclusion, le Conseil est d’avis qu’en interdisant à l’inspecteur du travail d’effectuer son contrôle à bord des navires armés par le département de la Gironde et en lui demandant de différer l’envoi de son rapport au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, il a été porté une atteinte directe aux conditions dans lesquelles l’inspecteur du travail doit pouvoir exercer sa mission de contrôle à bord des navires assurant la liaison maritime entre la Pointe de Grave (Le Verdon) et Royan et entre Blaye et le Port de Lamarque.
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Fait et délibéré dans la séance du 20 juin 2018, où siégeaient M.Pierre BAILLY, Mme Gaëlle DUMORTIER, Mme Marie-Caroline BONNET-GALZY, Mme Danièle GUIGANTI, Mme Françoise GUYOT et M.Martin CROUZET.