Contrairement à ce que voudrait l’esprit de la galette [1.Donnant à un esclave romain, pour un jour, le pouvoir du maître de maison.], dans notre UT 74, quelle que soit la personne qui se retrouve couronnée c’est toujours le RUT qui nous régale de son discours. Et cette année il a été bien gratiné. On n’en attendait pas moins au vu des événements remarquables qui ont touchés les services : réforme de l’inspection du travail, réforme territoriale, diverses affaires et autres scandales politico-administratifs, accroissement du mal-être au travail. Certes. Mais tout de même, on peut dire qu’on a été particulièrement gâté, le RUT semblant littéralement touché par la grâce des dieux direcctiens [2. C’est assurément leur inspiration qui a guidé sa main pour l’attribution des reliquats de primes.]
Le discours n’a pas ménagé les effets surnaturels. D’un ton grave, le RUT nous a annoncé des chiffres du chômage désastreux, et des augures mauvaises. Néanmoins les mesures emploi, les aides à la compétitivité, l’attaque continue du droit social – qui toutes dans leur genre répondent aux exigences délirantes du patronat, entérinent et renforcent la précarité, et continuent de produire leurs effets récessifs – n’étaient pas présentées comme une part du problème mais comme des solutions. Au programme donc, toujours plus de ce qui ne marche qu’à renforcer les inégalités.
Autre aspect miraculeux, la conflictualité sociale et politique, incarnée ici dans les luttes syndicales n’était pas reconnue comme un des fondements de la démocratie, ni comme ce qui toujours a permis d’arracher aux forces de la domination de précieux espaces de liberté et d’égalité. Non, le conflit était plutôt déploré comme frein à la mise en place des remèdes anti-chômage décrits ci-avant, et, on le déduit aisément, comme entrave à la bonne entente entre les notables locaux (haut-fonctionnaires, directeurs d’entreprise, magistrats, lobbyistes patronaux).
Symptôme du conflit de valeurs généré par la réorganisation, les tensions entre agents devaient quant à elles, par une fumeuse prestidigitation, trouver leur origine dans les prétendues outrances syndicales.
Ajoutons que, d’une manière générale, la conflictualité – qualifiée d’agressive lorsqu’elle fait mouche – a pour propriété bien connue de contrarier les effets sédatifs du discours des rois. Sédatifs, mais aussi culpabilisants et hypocrites [3. Extrait du discours final de Louis XVI, un roi comme on les aime : « Soyez heureux. Je meurs innocent, je n’ai à me reprocher aucun des crimes dont on m’accuse. Je pardonne à mes ennemis : puisse la France être heureuse ! Puissent, sur-tout, les vengeances célestes ne pas retomber sur mon peuple ! ».]. C’est de bonne guerre. Se draper dans des vertus qu’on piétine et accabler l’ennemi de tous les vices est un des principes de la propagande. Nul ne prétendra se passer totalement du recours à cette tactique, n’est-ce pas ? Mais enfin, ceux qui exploitent le mieux le procédé sont souvent ceux qui occupent les positions les plus élevées dans l’ordre social et qui entendent les présenter comme justes et incontestables. Chez nous, cette hypocrisie a trouvé un nouveau nom : la neutralité.
Derrière les mots restent quelques faits têtus. Souvenons-nous. Un procureur, chantre de la neutralité, qui se répand dans la presse, avant un jugement, pour dire qu’une inspectrice est un voyou, qu’un directeur accusé de harcèlement est charmant, que les inspecteurs ne devraient passe syndiquer. Un Directeur qui enferme dans un tiroir, pendant 6 mois, une déclaration d’accident de service. Un DIRECCTE qui diffère une demande d’étude RPS, qui occulte des courriers d’une entreprise contre ses agents. N’oublions pas non plus le Directeur qui discrimine un syndicaliste sur des badgeages hors plage. Toute la ligne hiérarchique a soutenu, dans une manœuvre à mi-mots dénoncée par le CNIT, la tentative de dézinguage professionnel d’une inspectrice par TEFAL. Et l’on pourrait sans peine étoffer cette liste d’entorses à la neutralité couvertes ou commises par les direcctiens et les magistrats locaux (SNR, la validation éclair et illégale d’un PSE, etc.).
Enfin, et avant tout, le discours de la galette a été l’occasion pour le RUT de nous faire part des doléances de « partenaires » attristés par notre incapacité à travailler en toute neutralité. La direction ferait-elle son mea culpa par rapport aux éléments précédents ? Certainement pas. Ce nous, ça n’est pas la direction. Ce sont les agents les plus combatifs qui sont visés ici. Mais alors, qui sont ces « partenaires » ?
Seraient-ce les préventeurs, la CARSAT, la médecine du travail, les organisations syndicales, les représentants du personnel, les usagers du service de renseignement, les allocataires de contrats aidés précaires, les victimes d’accident du travail et leur famille ?
Il ne nous semble pourtant pas que ces gens-là n’aient jamais déploré un manque de neutralité ; ou pas en direction de l’inspection du travail. Car l’inspection applique le code du travail avec le discernement dont elle estime devoir faire preuve ; mais le code, dans son essence, n’est pas neutre. Ces gens désespéreraient plutôt de la casse du code du travail, de sa neutralisation [4. Et voici le sens véritable de la neutralité tel que l’entend le RUT : neutraliser le code c’est contester la raison de son institution et donner tout pouvoir au patronat, puisque le rapport salarial est par nature dissymétrique.].
Non, les partenaires du RUT sont plus vraisemblablement ceux qui bénéficient des exonérations, de la très complaisante politique pénale du travail et qui s’attribuent le rôle fabuleux et solitaire, héroïque, de créateurs d’emploi et de générateurs de croissance : le patronat. Il représente d’abord les grandes entreprises mais il est, plus fondamentalement, le nom du rapport d’exploitation salariale. Quant à l’État, il se montre de plus en plus, comme disait Marx, le fondé de pouvoir du capital. Alors, si certains agents s’efforcent de démentir Marx, le RUT, avec son appel à la bienveillance et à la neutralité ne travaille-t-il pas au triomphe de l’analyse marxiste ? Serait-il finalement le plus trotskiste d’entre nous ?
La neutralité n’est pas revendiquée comme une vertu syndicale. Pour autant, elle n’est pas du côté de cette quasi mafia et des injonctions qu’elle donne aux agents. Quant à l’agressivité… on vient de faire le coup aux syndicalistes d’Air France et de Goodyear. L’argument s’use, à l’utiliser à chaque fois qu’un opprimé ose dire qu’il suffit. Celui qui jette un caillou sur un char d’assaut serait ainsi la source du mal dans le monde… Décidément les dieux direcctiens sont de bien tristes poètes !
Le tract en pdf : le discours d’un roi – galette 2016