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Motions

Justice de classe

Motion adoptée au congrès 2018 de la Fédération CNT TEFP

Argumentaire

L’inspection du travail subit directement l’effet d’une politique et d’une justice de classe.
Les faibles moyens réels accordés à cette police du travail n’ont rien de conjoncturel, cette institution n’a jamais eu depuis sa création les moyens de faire respecter le droit du travail. Les procédures sont faiblement suivies par les procureurs (¾ des procédures disparaissent ou sont classées sans suite).
Les condamnations sont elles-mêmes trop faibles pour être dissuasives, le droit pénal du travail étant lui-même dérogatoire par rapport au droit commun.
Face à ce fiasco judiciaire notre hiérarchie sort du chapeau la fausse bonne solution des sanctions administratives. Mais passer d’un système de sanctions pénales à un système de sanctions administratives revient à sortir les employeurs des tribunaux correctionnels pour les ramener dans le jeu ouaté des négociations administratives entre gens de bonne compagnie. Exit l’audience publique devant un juge, exit les parties civiles (salariés et leurs organisations syndicales) remplacées en dernier recours par une discussion de marchands de tapis dans le bureau d’un hiérarque du ministère du travail. Ce dispositif n’est que la dernière étape d’un processus de distinction séparant le traitement de la délinquance patronale des illégalismes de droit commun sur les biens et les personnes.
Ce constat d’une justice de classe appliquée à notre secteur peut nous amener à formuler plusieurs revendications immédiates.

Motion

La CNT revendique que l’opportunité des poursuites en matière d’infraction à la législation du travail relève uniquement des agents de contrôle de l’inspection du travail et que cette faculté soit retirée au Procureur de la République.
La CNT revendique donc que les infractions en droit du travail soient sanctionnées par la seule voie pénale et que les PV de l’inspection du travail soient tous audiencés.
En outre, la CNT revendique que les agents de contrôle aient la possibilité de faire appel des procédures pénales dont ils sont à l’origine et ce à tous les niveaux de juridiction (Cassation, CEDH, etc.).
Cela doit permettre à l’inspection du travail de rétablir les victimes dans leurs droits ce qui constitue le sens même de la mission de l’inspection du travail.
Enfin, la CNT invite tous les agents de contrôle à :

  • informer systématiquement les organisations syndicales de l’établissement d’un PV pour qu’elles puissent se porter partie civiles ;
  • promouvoir auprès de ces dernières l’intérêt de la partie civile et de la procédure de citation directe.
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Tracts

Documentation au Ministère du travail : encore un effort !

La documentation un outil de travail indispensable…

Au quotidien, en particulier à l’inspection du travail et au service renseignements, nous avons besoin d’une documentation. Il n’est pas possible d’utiliser uniquement le Code du travail ou les conventions collectives pour effectuer notre travail. Nous avons besoin de présentations des textes, d’analyses juridiques, de mises à jour jurisprudentielles, d’éclairages techniques, de guides, de modèles adaptés à notre pratique professionnelle, etc.
La documentation c’est notre instrument de travail au quotidien, sans elle nous sommes bien souvent démunis face aux cas concrets qui nous sont présentés.
Pourtant cet élément déterminant pour effectuer notre travail laisse sacrément à désirer au niveau du ministère.

… indigent au Ministère du travail

Il est anormal que pour une législation « supposée » se décliner sur tout le territoire français, nous n’ayons pas un outil de documentation commun digne de ce nom. Quand on va sur SITERE partie « rémunération », il y a une seule fiche (de la DGT) sur le SMIC! Sérieusement, c’est tout ce qu’on sait dans notre ministère sur le sujet ? Personne n’a rien créé comme document sur ce sujet ?
Pour l’essentiel, le problème ne vient pas de l’absence de documents utiles pour notre travail. Au contraire, nos services ne sont pas les derniers pour en créer, la nécessité nous y oblige de toute façon.
Mais pour avoir une vision globale et exhaustive de ce qui existe, ça devient très compliqué.
La documentation numérique est éclatée entre Sitere, Flash travail, l’abonnement aux « éditions législatives », les dossiers communs régionaux, départementaux, par UC, dans les dossiers persos des collègues. Les documents mis à disposition sur les dossiers communs sont souvent obsolètes, il est impossible d’y faire une recherche en plein texte.
L’essentiel des documents nous parvient par courriel, comme si une documentation c’était une pile de papiers mis les uns sur les autres par ordre chronologique…
Beaucoup de documents qui pourraient servir à tout le monde sont restreints à une diffusion départementale ou régionale. Et pour ce qui est des documents élaborés pour les formations INTEFP, leur diffusion et leur utilisation est plus interdite que si c’était une boite privée externe qui les avaient créés.
La cause de cette situation est à rechercher du côté de nos directions qui considèrent la documentation et les collègues documentalistes comme une sorte d’à-côté, une cinquième roue du carrosse. C’est pourtant au cœur de notre travail réel !
Pour que notre service public soit plus efficace, nous avons besoin d’effectifs bien supérieurs c’est certain. Mais nous avons aussi besoin d’outils qui fonctionnent, de ne pas perdre notre temps à chercher l’information.
DGT-documentation-gaston-lagaffe

Pour que notre documentation soit à jour et bien organisée
cela nécessite :

# de distinguer instruction et documentation. Quand on consulte Sitere, on sent que la DGT confond la documentation et ses instructions (ordres) via circulaires, guides, etc. Les deux ne sauraient être confondus. Si une documentation ministérielle doit comporter ces documents, ils doivent être complétés, sinon nous sommes condamnés au désert qu’est souvent Sitere.
# de permettre l’implication de tous les agents. Pour nourrir et faire vivre la documentation, il faut que les agents qui le souhaitent puissent l’alimenter et la mettre à jour. Si chaque document doit passer par le RUC, le RUD, le Pole T puis la DGT, jamais nous n’aurons une documentation digne de ce nom. Chacun doit pouvoir y mettre des documents (rien n’empêche ensuite les Poles T ou la DGT de reprendre ces documents à leur compte ou d’en faire des synthèses).
# une organisation du travail. L’étendue des domaines couverts par notre ministère est très large. Jamais les documentalistes du ministère, malgré toute leur bonne volonté, ne pourraient à eux seuls effectuer tout le travail nécessaire qui demande par ailleurs parfois une connaissance pointue d’un domaine. C’est en s’appuyant sur les compétences que nous avons dans nos services où nombre de collègues ont développés des connaissances, ont accumulé ou se sont créé de la documentation sur des thématiques particulières que nous pouvons être efficaces.
Qu’est-ce qui nous empêche de permettre à chacun de s’occuper de la mise à jour et de compléter une ou plusieurs thématiques, tout en s’appuyant sur les documentalistes pour coordonner cela, maintenir la qualité de l’indexation, vérifier que toutes les thématiques soient couvertes et maintenues à jour, etc. ? La réponse est simple : nous manquons de temps, faute d’effectifs suffisants.
# un outil informatique. On ne peut se contenter d’une documentation sur un répertoire partagé où les fichiers sont classés dans des dossiers et des sous-dossiers. Il existe des logiciels de documentation qui permettent de mettre des mots-clés sur les documents, de classer un même fichier dans plusieurs catégories, de faire des recherches dans le texte des fichiers, etc. De tels logiciels permettent aussi le travail « collaboratif » où chacun contribue.

Cela fait des années que le ministère n’a de cesse de promouvoir les bienfaits du travail collectif, « en système », à grands renforts de diagnostic / plan d’action.

Que la DGT montre l’exemple sur le sujet de la documentation…

 
Le tract en pdf : Documentation-DGT-ministere-travail

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Intersyndical Tracts

Violences sexuelles et sexistes au travail : une nécessité d'agir au sein même de notre Ministère !

Nos organisations syndicales ont lancé en novembre dernier une campagne contre les violences sexistes et sexuelles subies par les femmes au Ministère du travail. Le constat : si l’omerta se brise peu à peu dans le débat public, les victimes restent nombreuses, et aucune réaction satisfaisante n’est exprimée par le gouvernement.
Concernant notre Ministère : aucun élément statistique précis sur la question, notre direction n’ayant jamais jugé pertinent de diligenter des enquêtes sur le sujet. Nous avons donc décidé de donner la parole aux femmes, à travers un questionnaire mis en ligne : pour permettre à chacune de s’exprimer, faire un état des lieux, montrer que nos services ne sont pas épargnés et que des mesures de prévention doivent être prises ici comme ailleurs.
Il s’agit par ce biais pour nos syndicats de traiter et prendre en charge cette question professionnelle, sociétale et politique des violences subies par les femmes.

Que révèlent les réponses au questionnaire?

Signe que la question intéresse et interroge : 564 réponses ont été apportées au questionnaire.
En outre, au-delà des réponses apportées aux questions (résultats les plus significatifs ici ; tous les résultats sur les sites Internet de nos syndicats respectifs), de nombreux témoignages précis ont été recueillis. Ces témoignages, que nous avons fait le choix de ne pas publier pour garantir l’anonymat des répondantes, mettent en lumière des situations de sexisme décomplexées et l’existence d’agressions sexuelles, dans les services mais aussi à l’INTEFP.
Ces chiffres, équivalents à ceux que l’on retrouve dans les enquêtes plus larges[1. Notamment l’enquête du CSEP sur le sexisme de 2016], montrent que le sexisme est présent de façon importante dans notre Ministère, comme ailleurs.

Sur les agissements sexistes dans nos services?

Près de 70% des agentes répondent qu’elles entendent ou ont entendu des blagues sexistes ou sexuelles de façon récurrente.
47,8% des agentes se sont vues imposer des propos sur leur apparence ou leur vie personnelle qu’elles ne souhaitaient pas entendre.
72,5% des agentes déclarent avoir déjà entendu des préjugés sur les femmes.
Si certaines agentes affirment que les propos entendus sont dits sur le ton de la plaisanterie, sans malveillance et sans que cela ne les dérange, la plupart des répondantes témoignent de propos récurrents et dévalorisants en raison de leur sexe :
Jugements et commentaires sur l’apparence physique: De la part d’un chef, « j’aime bien que tu viennes me voir avec une mini-jupe », « ben dis donc t’as une jupe ras la moule » ; de la part d’un Directeur de stage : « je vais prendre la nouvelle stagiaire, celle qui a de jolis yeux. »
Préjugés sur le rôle et les compétences des femmes: « c’est aux femmes de faire le café », « une femme avec des enfants en bas âge ne peut pas être disponible pour le travail », « tiens, puisque tu es la seule femme présente, tu feras le compte-rendu du groupe de travail », « les femmes ont l’intelligence dans leur soutien-gorge », « t’es pas trop con pour une gonzesse »,  un chef de service qui se dit dévalorisé de n’avoir que des femmes dans son service…
Surnoms dévalorisants: « pompom girls » pour désigner les agentes, « ma belle », « petite nana »…
Plusieurs témoignages sur le fait que lorsqu’on s’offusque de blagues ou propos sexistes, on a invariablement droit à des remarques supplémentaires sur notre manque d’humour, ou le fait qu’on serait coincées, ou que la réaction est disproportionnée ou violente.

Sur les violences sexuelles?

5 % des répondantes indiquent que la pornographie est présente sur leur lieu de travail.
25,6 % des agentes ont déjà vécu une ou plusieurs situations d’attitudes insistantes et gênantes (« Le directeur de l’époque m’a proposée de coucher avec lui pour devenir inspecteur du travail »), et 21,7% d’entre elles signalent que quelqu’un a eu envers elles des gestes non désirés.
20 % des agentes témoignent avoir été victimes d’avances sexuelles non souhaitées.
53 agentes déclarent avoir subi des attouchements sur les seins, les fesses ou les cuisses, dans le cadre de leur travail.
« J’ai été victime d’une agression sexuelle sur mon lieu de travail, de la part d’un collègue qui m’a plaquée un soir contre le mur du bureau, m’a caressée et a essayé de m’embrasser ; « un DA m’a embrassée sur la main puis est remonté jusqu’à l’épaule alors que j’étais au tél avec un usager ».
3 agentes déclarent avoir subi un viol.
Ces chiffres et les témoignages très nombreux recueillis ne peuvent être regardés comme négligeables ; ils doivent amener le Ministère à définir enfin une véritable politique de prévention afin que les femmes cessent de subir de telles violences dans le cadre de leur travail.

Sur leur traitement et les suites données au sein de nos services?

Il ressort des réponses que dans la majorité des cas, malgré les conséquences sur leurs conditions de travail et leur vie personnelle, les agentes se taisent (33,5% n’en ont parlé à personne au sein des services, et seulement 13,7 % en a informé sa hiérarchie) ; elles ne demandent pas le bénéfice de la protection fonctionnelle (elle n’a été mise en œuvre que dans 2,8% des cas), et ne déclarent pas d’accident de service (c’est le cas de 99,1% des répondantes), par crainte sans doute de ne pas être entendues et/ou par méconnaissance de leurs droits.
Et quand elles le font… elles notent l’absence de réaction des directions contre les auteurs des agissements. En effet, seules 2,8% des agentes déclarent que les agissements qu’elles ont subis ont donné lieu à sanction disciplinaire de leur auteur.
Enfin, les agentes estiment, dans leur grande majorité, à près de 67,5%, qu’elles sont insuffisamment informées par le Ministère sur leurs droits et démarches.
Il est temps de combattre pour nos droits !

Nos syndicats exigent l’application immédiate dans nos services des textes existant dans la fonction publique[2. Protocole d’accord de 2013 relatif à l’égalité professionnelle femmes-hommes, circulaires du 4 mars 2014 relative à la lutte contre le harcèlement et du 22 décembre 2016 relative à l’égalité professionnelle ; la DGAFP va très prochainement publier une nouvelle circulaire « Lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans la fonction publique », accompagnée de Fiches-réflexes sur la Lutte contre le harcèlement sexuel], et revendiquent en particulier :

  • Des notes de service précisant les procédures à suivre si un cas de sexisme ou de harcèlement survient, incluant une enquête, traitée sans retard en cas de plainte ainsi que des sanctions si les agissements sont établis.
  • La formation des agent.es à ne plus subir et à dénoncer ces propos et agissements.
  • La formation adéquate des responsables hiérarchiques. Ces formations devront être dispensées par des associations féministes.
  • La garantie pour les victimes de bénéficier de protections : soutien et, si nécessaire, aide à leur maintien et leur retour dans l’emploi ainsi que, en premier lieu, protection de leur plainte ou témoignage.
  • L’effectivité de la protection fonctionnelle dans les cas de harcèlement sexuel.
  • Une politique de prévention à soumettre au CHSCT.

Et l’affirmation sans concession que le sexisme est une violence  faite aux femmes qui ne sera aucunement toléré dans les services !
Pour agir contre ces violences, nos organisations syndicales ont par ailleurs décidé de mettre en place un réseau de syndicalistes référentes sensibilisées sur ces questions, que vous pouvez saisir au besoin (pour un conseil, un soutien, une demande d’intervention…) :
Lien sur le site de la CGT-TEFP : http://cgt-tefp.fr/reseau-violences-sexuelles-sexistes
Lien vers le site de la CNT-TAS : https://www.cnt-tas.org/contact/
Lien vers le site de SUD-TAS : http://www.sud-travail-affaires-sociales.org/spip.php?article843


L’action contre les violences faites aux femmes au travail fait partie de nos missions : nous revendiquons des moyens!

Et dans les entreprises, qu’en est-il de la situation des femmes ? A la suite de la formidable libération de la parole des femmes à laquelle nous avons assisté à l’automne dernier, le gouvernement s’est vu obligé d’annoncer que la lutte contre les violences faites aux femmes serait une priorité nationale en 2018, et a lancé, à grand renfort médiatique, le 5ème plan interministériel de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes 2017-2019.
Parmi les mesures listées dans ce plan, figure pour nos services, la formation et/ou sensibilisation des agent.es de contrôle, sur la question des agissements sexistes et du harcèlement sexuel.
Cette mesure, si elle est pour nous indispensable (nos organisations syndicales l’ont d’ailleurs revendiqué dans la lettre ouverte adressée à la Ministre en octobre dernier – lettre restée à ce jour sans réponse), risque pourtant de s’avérer insuffisante et rester de l’ordre du pur affichage si elle se limite à des actions de sensibilisation à destination des agent.es.
Il est en effet indispensable que les agent.es de contrôle soient formé.es tant en matière de traitement des plaintes que de méthodologie d’intervention et d’enquête sur les cas de violences sexistes et sexuelles au travail, et que l’INTEFP construise en urgence un réseau de formatrices et formateurs sur le sujet, formés par des professionnel.les de référence, telle que l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT).
Une formation/sensibilisation doit également être dispensée à tout.es les agent.es au contact du public, et placé.es en situation d’accueillir des femmes victimes de harcèlements et agressions sexuelles et de recueillir des plaintes (accueil, services de renseignements, services emploi,…).

En plus de ces exigences de formation des agent.es, nos organisations syndicales demandent un plan d’actions ambitieux, intégrant au moins les points suivants.

Amélioration de la coopération des services sur ces questions avec ces professionnel.les et associations spécialisées et institutionnaliser ces partenariats.
Renforcement de l’expertise des agent.es des services, notamment en diffusant des documents juridiques, d’information et de méthode, des annuaires, etc. comme cela se fait sur l’ensemble des autres sujets et en désignant, au niveau national et/ou régional, des agent.es formé.es pouvant être des appuis sur ces problématiques.
Extension des prérogatives et moyens d’actions des inspecteur.rices du travail : possibilité de notifier en propre des mises en demeure pour non-respect par l’employeur des principes généraux de prévention ; pouvoir d’imposer une expertise par le biais d’une mise en demeure ; possibilité en cas de saisine d’une plainte circonstanciée de soustraire les salariées pour lesquelles un risque sérieux d’atteinte à l’intégrité physique ou morale existe,…
Enfin, parce qu’il est totalement illusoire de prétendre renforcer la mobilisation et la lutte contre les violences faites aux femmes au travail dans le contexte actuel de suppressions massives de postes, nos organisations syndicales revendiquent l’arrêt du plan social en cours au sein du Ministère du travail, et exigent des recrutements à hauteur des besoins des usagers et usagères.
 
Le tract en pdf : tract analyse questionnaire violences sexistes et sexuelles au Ministère du travail
 
Le détails des résultats du questionnaire : résultats questionnaire violences sexuelles et sexistes au Ministère du travail

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La liberté d'expression sanctionnée!

Atteinte sans précédent au droit syndical et à la liberté d’expression au Ministère du travail

Les organisations syndicales du ministère du travail viennent d’apprendre la décision, signée du Directeur des ressources humaines, de suspendre de ses fonctions une collègue, Inspectrice du travail, dans l’attente d’une commission disciplinaire qu’il a convoquée pour le 14 décembre. La gravité de cette décision doit être soulignée ; il s’agit d’une mise à pied conservatoire, ce qui veut dire que la faute commise par notre collègue et camarade justifierait, selon le ministère, qu’elle soit éloignée du milieu de travail pour lequel elle constituerait un danger.

Quelle est la « faute grave » qui a motivé une procédure disciplinaire aussi lourde ? Ce qui est reproché à notre collègue, c’est d’avoir porté la parole de son syndicat sur la politique de suppressions de postes au sein de notre ministère, lors d’une manifestation syndicale et devant la caméra d’un journaliste,. Et sur quoi s’appuie le DRH M. Blondel pour justifier une procédure aussi attentatoire au droit syndical et aux libertés publiques ? Notamment sur le tout nouveau Code de déontologie de l’inspection du travail, dont nous avons pourtant rappelé à ce même Monsieur Blondel, à plusieurs reprises, combien ses dispositions présentaient de réels problèmes de compatibilité, notamment avec la liberté d’expression syndicale.

Aujourd’hui le ministère du travail fait fi de droits pourtant garantis par la constitution française et le droit international, et prétend faire un exemple, et ainsi empêcher à l’avenir toute expression contestataire de ses agents, quand bien même ils s’exprimeraient en tant que représentants de leur organisation syndicale. Combien sommes-nous à avoir déjà parlé à un journaliste ? A avoir pris la parole pour dire ce que nous pensions des réformes qui nous touchent en tant que fonctionnaire, en tant qu’agent de ce service public ? Combien serons-nous demain à être poursuivis si nous émettons la moindre interpellation envers notre employeur lors d’une manifestation, ou même d’une réunion de service, voire lors d’un désaccord avec notre chef ?

A l’heure où les services et le droit du travail subissent des réformes successives qui font qu’ils ont de plus en plus de mal à fonctionner il faut remarquer que cette suspension de notre collègue n’est pas un cas isolé. En effet, en Auvergne Rhône-Alpes un autre militant du syndicat SUD s’est vu rappelé à l’ordre pour sa participation en tant que militant syndical dans une réunion publique traitant des ordonnances Macron, et deux militants CGT 75 ont reçu le mois dernier un blâme pour leur participation à une action de soutien aux travailleurs sans-papiers.

A travers notre collègue suspendue et traduite en conseil de discipline, c’est l’ensemble des agents qui est touché dans sa liberté d’expression la plus élémentaire, il s’agit d’une menace adressée à tous les agents de notre ministère.

En tant qu’organisations syndicales, défendant les agents d’un ministère social censé se préoccuper de la qualité du travail, nous ne pouvons accepter une telle dégradation de notre propre condition.

C’est pourquoi nous exigeons l’arrêt immédiat des poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de notre collègue, et sa réintégration dans son service et dans ses droits.

Nous demandons le retrait de toutes sanctions et l’arrêt de toutes les procédures engagées à la suite de l’exercice de la liberté d’expression et de la liberté syndicale.

Nous appelons d’ores et déjà l’ensemble des agents du ministère du travail à se mettre en grève et à se rassembler à Paris le 14 décembre prochain pour soutenir notre collègue et dénoncer les attaques faites à la liberté d’expression.

Une attaque contre l’un d’entre nous est une attaque contre nous tous, soyons solidaires !

intersyndicale-CNT-CGT-FSU-SUD
Le tract en pdf : Tract intersyndical répression liberté d’expression novembre 2017

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Bas-Rhin – Strasbourg Intersyndical Tracts

Déontologie: la Direccte Grand Est fait du zèle

Tract CNT CGT SUD FSU FO de la Direccte Grand Est

Ça fait bien longtemps que la direction ne nous réunit plus que pour causer boutique : la « grande » Direccte, la réforme et le PSE du ministère…

Cette réunion-ci n’y coupe pas et aujourd’hui, la haute et grande direction située dans le fort fort lointain, a décidé de mettre le paquet, de nous réunir pour causer déontologie. Finie la rigolade !

Cette grande messe intervient dans un contexte défavorable aux droits des travailleurs, le tout dans un climat interne de répressions syndicales.

Les ordonnances sur la réforme du code du travail viennent d’être signées. La norme sera alors élaborée de plus en plus au sein des entreprises, ce qui rend le contrôle de plus en plus difficile.

Les suppressions de postes en section d’inspection aggravent le tableau, nous rendant de moins en moins disponibles pour contrôler des textes de plus en plus hétérogènes.

Cela s’ajoute à l’orientation de notre activité, en fonction des préoccupations politiques du gouvernement qui ne répondent pas aux besoins des travailleurs.

Nos missions changent, nous éloignant de plus en plus d’une inspection du travail de qualité, au service de celles et ceux qui en ont le plus besoin.

En interne, la DIRECCTE GRAND EST a durci le ton vis-à-vis des agents et des représentants du personnel :

  • Sanction pécuniaire forfaitaire au moment de l’attribution du CIA pour des dizaines d’agents ayant suivi des mots d’ordre syndicaux alors qu’ils ont accompli leurs missions voire plus (intérim long, autorité administrative…) !
  • Menaces de plainte pénale contre les représentants syndicaux lors de dénonciations de situations de souffrance dans plusieurs UD !
  • Absence totale du respect des instances du personnel qui a entrainé en septembre la démission de la quasi-totalité des membres du CHSCT ! Que fait alors la DIRECCTE ? Elle reconvoque le CHSCT, et le fait délibérer avec deux membres restant pour la totalité de la région.

Ce vent de répression est un message adressé à des agents jugés trop remuants par une administration qui cherche de plus en plus à contrôler ses troupes.

C’est dans cette logique que s’inscrit le code de déontologie, dont on peut être surpris de le voir incorporé dans le Code du travail.

Des cabinets d’avocats ont déjà compris que le patronat allait pouvoir s’en servir pour se protéger de l’inspection du travail, par exemple pour faire retirer un dossier à un agent de contrôle. Ils feront de ces règles les futurs obstacles à nos fonctions et de probables atteintes à l’indépendance des agents de contrôle.

Attention ! Le code de déontologie est aussi une lettre de mission pour la hiérarchie de l’inspection
Et on voit bien l’ampleur de leur tâche 😉

D’abord, il faudra bien se souvenir que l’essentiel de ces règles déontologiques s’appliquent à tout le monde, y compris au DGT et à toute la chaine hiérarchique (R. 8124-4).

Ainsi, tout le monde y compris la hiérarchie doit prêter aide, assistance aux autres et faire preuve de respect mutuel dans l’exercice des missions (R. 8124-11)… Y a du boulot !

Tout le monde y compris la hiérarchie doit se taire et surtout ne rien dire contre le système d’inspection : dans l’exercice de leurs missions, les agents s’abstiennent de toute expression ou manifestation de convictions personnelles, de quelque nature qu’elles soient ; en dehors du service, ils s’expriment librement dans les limites posées par le devoir de réserve. Ils ne peuvent notamment tenir des propos de nature à nuire à la considération du système d’inspection du travail ; ils ne peuvent se prévaloir de la qualité d’agent du système d’inspection du travail dans l’expression publique de leurs opinions personnelles (R. 8124-19).

Rappelons que grâce à la loi, le droit syndical, le droit de grève et la liberté d’opinion sont garantis aux fonctionnaires (articles 6, 8 et 10 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983).

Tout le monde y compris la hiérarchie bénéficie du libre exercice du droit syndical (R. 8124-12). Même la hiérarchie a le droit de faire grève  et d’exprimer son désaccord avec les ordonnances macron, la suppression des effectifs !

Tout le monde y compris la hiérarchie doit consacrer l’intégralité de son activité professionnelle à ses fonctions (R. 8124-17). La loi de 2016 ajoute que le cumul d’activités ne doit pas faire obstacle à l’exercice des fonctions principales ni porter préjudice d’une manière quelconque à l’autorité ou à l’impartialité nécessaires dans les relations avec les employeurs et les travailleurs (article 25 septies loi n°2016-483 du 20 avril 2016)… Ouhlala… ça craint !!!

Le conflit d’intérêt concerne tout le monde y compris la hiérarchie, même si certains vont être plus surveillés que d’autres car ils seront soumis à déclaration d’intérêt : impartialité, objectivité, aucune interférence entre l’exercice de son activité professionnelle et des intérêts publics ou privés (R. 8124-15).

L’administration pense, bien sûr aux agents de contrôle,
nous pensons aussi à ceux qui occupent des fonctions hiérarchiques.

Ceux qui exercent une autorité hiérarchique doivent veiller au respect des droits reconnus aux agents et des garanties d’indépendance dans l’exercice de leurs missions, mettre en œuvre la protection juridique dont les agents bénéficient dans l’exercice légal de leurs attributions, apporter par tout moyen approprié un soutien aux agents rencontrant des difficultés dans l’exercice de leurs missions (R. 8124-6).

Ceux qui doivent obéir, doivent se conformer aux instructions reçues de leur supérieur hiérarchique (R. 8124-8).

La loi du 13 juillet 1983 (article 28) précise un détail d’importance – ces ordres ne doivent pas être manifestement illégaux et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Est-il besoin de préciser que cela ne doit pas nuire à la santé des agents ?

Rassurons-nous, si on se pose des questions, on pourra saisir le référent déontologue, mais aussi le CNIT (R. 8124-33) : mais qui est ce référent déontologue ?

Quand un agent, quel que soit son grade ou sa fonction, intervient plusieurs fois sur un même dossier pour que l’IT envoie une copie d’un courrier à un tiers extérieur, quand il utilise sa fonction pour critiquer le système d’inspection dans une revue juridique, quand il ne cesse de considérer et de dire que l’IT fait n’importe quoi, ne fait pas son travail, n’en fait jamais assez… est-ce bien déontologique ?


On aurait pu s’amuser à écrire un code de déontologie tellement plus simple, moins complexe, plus lisible comme … un nouveau code du travail quoi qui pourrait se résumer ainsi :

Article 1 : le droit d’expression, le droit syndical…terminé ! Fermez vos gueules.
Article 2 : exécutez les ordres sans commentaires.
Article 3 : participez aux actions de propagande de la DGT et du ministère.

C’est pas plus simple la vie au travail comme ça ?

L’administration pseudo-moderne revient aux années 50, quand M. DEBRE disait : « Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait »

 
Le tract en pdf : déontologie tract fsu cnt cgt sud fo Grand est 9-11-2017
 

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La lutte c'est la santé ! Pour une politique de la souffrance.

La lutte c’est la santé !

Pour une politique de la souffrance

Dossier

« Rappelle-toi surtout, pendant ces années de souffrances

trop dures, de quoi tu souffrais le plus. Tu ne t’en rendais

peut-être pas bien compte, mais si tu réfléchis un moment,

tu sentiras que c’est vrai. Tu souffrais surtout parce

que lorsqu’on t’infligeait une humiliation, une injustice,

tu étais seul, désarmé, il n’y avait rien pour te défendre. »

Simone Weil, « Lettre ouverte à un syndiqué », La Condition ouvrière, 1951

« Car on ne peut accepter la vie qu’à la condition

d’être grand, de se sentir à l’origine des phénomènes,

tout au moins d’un certain nombre d’entre eux.

Sans puissance d’expansion, sans une certaine domination

sur les choses, la vie est indéfendable. »

Artaud, L’Ombilic des Limbes

Le thème de la souffrance au travail émerge dans le débat public français à la fin des années 1990. Auparavant volontiers marginalisé ou souffrant même d’un déni, il s’impose alors progressivement au point de devenir incontournable.

Dans le champ scientifique de nombreuses productions vont voir le jour et de nouvelles disciplines vont apparaître et s’affirmer en pensant à nouveaux frais une psychopathologie du travail. Dans le champ politique, le législateur va notamment consacrer la souffrance au travail comme préoccupation publique par l’inscription et la répression dans la loi du harcèlement au travail. Suivant ce mouvement les tribunaux se sont saisi du thème et ont développé une riche jurisprudence devant la multiplication des contentieux. La souffrance est désormais devenue un « risque » à part entière et l’évaluation et la prévention des risques telle que prévue par le Code du travail a intégré la santé mentale à côté des traditionnels risques physiques. À tel point qu’évaluer les dits « risques psychosociaux » est devenue une tarte à la crème de quasiment toute entreprise.

Doit-on en conclure que la souffrance au travail est désormais prise au sérieux et qu’un grand consensus national se serait imposé jusque dans les entreprises pour rechercher le bien-être des salariés ?

Rien n’est évidemment moins sûr… L’évocation, pour ne pas dire l’incantation, de la prise en charge des risques psychosociaux semble désormais relever d’une figure de style, passage obligé, supplément d’âme de la perpétuation de l’exploitation et de la domination. Car si le capitalisme a su intégrer le thème de la souffrance, il semble que ce soit précisément en en désamorçant la charge explosive qui aurait pu mettre en question les rapports de domination qui en sont constitutifs.

Ainsi, plus de 15 ans après l’émergence et l’installation du thème de la souffrance au travail, un sentiment mitigé voire de dépit semble gagner nombre d’acteurs et de professionnels amenés à rencontrer et prendre en charge la souffrance au travail. La souffrance n’a pour ainsi dire jamais disparu et ne semble même pas en voie de décrue tant l’intensification du travail et ses effets pathogènes semblent continuer envers et contre tout.

Comment comprendre et envisager cet échec au moins partiel ? La psychologie du travail a-t-elle manqué son objet ?

C’est partant de ce constat et des interrogations qu’il suscite que nous voudrions ici reprendre ce thème, non pour nier les importants apports théoriques des différents travaux en psychologie du travail dans la pensée de la souffrance ces dernières années, mais pour reposer la question de la souffrance comme question pleinement politique.

Intégrer la souffrance à la lutte

Sortir du déni

L’émergence de la souffrance au travail dans le débat public s’est initialement construite autour de deux livres en particulier ayant eu un grand retentissement à leur parution en 1998 : Le harcèlement moral de Marie-France Hirigoyen, et Souffrance en France de Christophe Dejours.

Le premier est centré autour de la figure du pervers narcissique. Ce faisant, l’ouvrage ne parle pas spécifiquement des situations de travail et de leur éventuel caractère pathogène mais se borne à constater la possibilité de l’expression de la personnalité perverse dans la sphère professionnelle. Un chapitre est alors consacré au travail et à la dégradation des relations de travail sous l’angle des conditions favorables à l’expression de la perversité ». Au rang de ces « conditions favorables », Marie-France Hirigoyen évoque tour à tour la menace du chômage, la concurrence acharnée entre salariés, l’augmentation des contraintes et l’intensification du travail qui en découle.

L’ouvrage semble néanmoins souffrir de la fermeture de son objet initial tout en cherchant dans le même temps à le dépasser. Évoquant dans un premier temps « l’entreprise qui laisse faire » le pervers, il développe ensuite son propos vers « l’entreprise qui encourage les méthodes perverses » et envisage l’éventualité d’un harcèlement managérial tout en n’employant pas expressément cette expression. Mais précisément s’agit-il encore de perversion quand on constate que l’organisation du travail produit une intensification du travail, une compétition entre salariés avec leurs corollaires de stress et de peur ? De plus si « le pouvoir constitue une arme terrible lorsqu’il est détenu par un individu (ou un système) pervers », pourquoi ne pas intégrer la subordination, constitutive de la relation de travail au sein de l’entreprise capitaliste, au rang des « conditions favorables » ? Reste que cet ouvrage a en son temps constitué un puissant révélateur de la dégradation des situations et des relations de travail. Il a également contribué à sortir nombre de « victimes » du sentiment de l’isolement en se reconnaissant dans les situations décrites. Signe de ce succès le pouvoir politique finira par introduire la notion de harcèlement moral dans la loi en 2002.

Autre est le projet de Christophe Dejours qui prend comme objet explicite de son analyse la souffrance au travail et le « consentement » à cette souffrance. Il s’agit là d’un « retournement épistémologique », retournement initié dans son ouvrage Travail, usure mentale (1990), qui redéfinit l’objet de la recherche en psychopathologie du travail, la souffrance au travail, comme « souffrance compatible avec la normalité ».

Ce faisant le projet est double : partir de la souffrance au travail comme ressort du consentement à la « banalisation du mal » à travers des « stratégies de défense » ; mais également comme point de départ d’une résistance possible. Pour ce faire il s’agit de commencer par sortir du déni. Le déni c’est d’abord celui des organisations politiques et syndicales. Dejours voit dans la désyndicalisation une cause mais aussi un effet de la tolérance à la souffrance d’autrui. Dans les années 70 l’influence d’un certain marxisme, qui a tôt fait de qualifier de « petit bourgeois » tout ce qui a trait à la subjectivité, a fait négliger la thématique de la souffrance eu travail. « Supposées antimatérialistes, ces préoccupations sur la santé mentale étaient suspectes de nuire à la mobilisation collective et à la conscience de classe ».

L’ouvrage fixe donc un cadre et un objectif : ne pas nier la souffrance subjective au travail et intégrer cette dimension à la lutte collective. Il faut pour cela relégitimer la parole sur la souffrance contre ceux qui la rangeraient au rang de la sensiblerie. À cet égard Dejours écrit de très belles pages sur l’usage de la virilité comme forme dévoyée du courage dans le travail. Le courage viril passe par l’apprentissage de la soumission volontaire et la capacité à infliger la souffrance à autrui. Il faut ainsi repenser un courage qui prend le risque de désobéir et d’être exclu de la communauté des forts et des virils en s’opposant à la banalité du mal.

Le projet initié est ainsi de promouvoir une véritable clinique5 du travail qui pense la personne en situation. Il va donner lieu à l’apparition de plusieurs disciplines telle la psychodynamique du travail chez Dejours mais aussi la clinique de l’activité chez Yves Clot.

Derrière la souffrance individuelle, le travail dégradé

Dans cette clinique du travail l’attention à la souffrance individuelle n’est pas une fin, elle doit d’abord nous permettre de retrouver et de réaffirmer le travail dans sa dimension collective. Derrière cette souffrance individuelle on retrouve un travail dégradé qu’on pourrait caractériser comme une « contrainte à mal travailler ». Être contraint de mal faire son travail, de le bâcler, de tricher même pour satisfaire un mensonge institutionnel sur fond de déni du réel est une source de souffrance majeure. Celle-ci s’est notamment développée du fait de l’intensification du travail observée ces dernières années ; intensification qui touche aussi bien les services, l’industrie que les administrations. On assiste notamment au retour d’un néofordisme dont le lean management n’est que le dernier avatar. Il faut souligner à cet égard le caractère peu original du lean management malgré le flot de novlangue qui entoure sa promotion. Il s’agit là encore du vieux projet totalitaire d’endiguer l’énergie, de capturer la pensée libre, de contrôler temps et mouvements pour se tenir dans le cadre institué. Les mêmes causes produisent les mêmes effets pathogènes…

Ce retour d’un néo-taylorisme est d’autant plus remarquable qu’il s’accompagne dans le même temps d’une injonction paradoxale à l’autonomie et à la prise de responsabilité. On valorise les « compétences » individuelles (au détriment des qualifications renvoyant à un statut) avec son corollaire d’entretiens individuels d’évaluation censés les mesurer et pour l’atteinte d’objectifs prédéfinis. Chacun est sommé d’être entrepreneur de sa vie et est renvoyé vers ses ressources

propres dans l’illusion d’une détermination de soi par soi… et en concurrence avec tous les autres. Et ce alors même que les travailleurs ne maîtrisent ni les moyens ni les objectifs de la production. Ainsi « à la prescription de l’activité du taylorisme et la dissociation du geste qu’il impose succèdent (s’ajoutent) aujourd’hui la prescription de la subjectivité et le déni de la contribution subjective des salariés à la vie des organisations ». Ce phénomène d’individualisation dans le travail détruit les collectifs, les capacités d’actions des syndicats en amenant de la désolidarisation généralisée.

De ce point de vue la prégnance de la référence au « stress » dans le monde du travail témoigne du décalage croissant entre l’augmentation des exigences et la réduction des ressources collectives mobilisables. La souffrance émerge alors d’un développement empêché, d’une amputation du pouvoir d’agir sur fond de collectif en miettes.

À cet égard on peut tenter de faire se rejoindre les travaux de Dejours en psychodynamique du travail et ceux de Clot en clinique de l’activité. Là où la psychodynamique du travail insiste sur le dysfonctionnement de la dynamique de reconnaissance par autrui comme facteur de souffrance, Clot va centrer son propos sur le pouvoir d’agir face à son éventuelle amputation. Ce dernier insiste en particulier sur la nécessité de prendre en compte l’activité empêchée comme dimension fondamentale du travail réel.

On peut néanmoins faire se rapprocher les deux perspectives à travers la question de l’identité au travail. Être reconnu c’est aussi en dernier recours et fondamentalement se reconnaître soi dans son propre travail. L’impossibilité du travail bien fait empêche cette reconnaissance. Le sujet ne peut se reconnaître dans le travail qu’on lui fait faire, l’activité perd son sens. Il est devenu comme étranger à sa propre vie. On retrouve ici la problématique classique de l’aliénation. Or le renoncement au travail bien fait, aux valeurs qui guident l’investissement dans une activité professionnelle a un coût psychique très lourd. « Quand la confrontation sur la qualité du travail est devenue impraticable, suractivité et sentiment d’insignifiance forment un mélange “psychosocial” explosif ». Des personnes qui souhaitent travailler dans les règles de l’art se heurtent à des conflits de critères qui renvoient à des conflits de valeur. Ces conflits de critères refoulés, parce que non discutés et non discutables, viennent s’enkyster dans le corps et la tête de chacun et la dégradation du travail vient dégrader la construction de sa propre identité au travail. Cette perte d’identité est personnelle mais aussi collective puisque les repères de métiers élaborés par le collectif de travail se trouvent disqualifiés. C’est sur fond de ce mélange morbide entre travail désaffecté et surinvestissement dans le travail que l’absence de reconnaissance par autrui, et au premier rang l’absence de reconnaissance managériale, devient la goûte d’eau qui fait déborder le vase.

Lutter contre ce travail pathogène ne signifie donc pas poursuivre, dans une fuite en avant, une reconnaissance hiérarchique foncièrement aléatoire et qui peut se retourner contre la qualité du travail lui-même. Il s’agit avant tout de retrouver du pouvoir d’agir sur son activité pour réenclencher une dynamique vertueuse de construction de son identité et d’accomplissement de soi. Au-delà, le travail permet au sujet de s’inscrire dans une histoire collective, celle de la réorganisation de la tâche par les collectifs professionnels, d’un travail d’organisation du collectif et de construction d’une identité professionnelle qui ne se confond pas avec le prescrit de l’organisation.

…repolitiser la souffrance au travail

Le risque persistant du psychologisme et la tarte à la crème des risques psycho-sociaux

L’apport majeur des travaux en clinique du travail est de sortir la question de la souffrance au travail du « psychologisme ». Par psychologisme j’entends une appréhension de la souffrance dans laquelle « les conflits sociaux peuvent être déplacés sur le plan des problèmes psychiques, autrement dit peuvent accabler l’individu sous la forme d’une affaire privée ».

Le développement spécifique d’une psychologie du travail est ainsi un apport indéniable d’un point de vue théorique en ce qu’elle permet d’analyser et de décrypter les ressorts d’une souffrance au travail par le travail ; elle est aussi un outil de résistance possible, notamment pour les syndicats qui se sont emparé à différents degrés du sujet. De ce point de vue la phase du déni initialement dénoncée par Dejours a été dépassée.

Reste à se pencher sur les résultats obtenus et les réactions institutionnelles. Disons le tout de suite, si l’on en croit les auteurs cités, les résultats ne sont pas reluisants. De fait dans la préface à la réédition de Souffrance en France, Christophe Dejours note que « dix ans plus tard […] la situation s’est aggravée, parce qu’aucune mesure n’a été prise en France ni à l’étranger pour favoriser, en matière d’organisation du travail, les choix qui pourraient être nettement moins délétères pour la santé mentale ». Même constat chez Yves Clot qui relève dans Le travail à cœur publié en 2010 que « selon les différentes enquêtes les Français sont très peu satisfaits, et même parmi les moins satisfaits du travail en Europe […] la situation française semble même se dégrader ».

Si l’on se situe du point de vue des mesures prises visant la répression de comportements pathogènes au travail, la thématique du harcèlement, comme nous l’avons déjà noté, a abouti au vote d’une loi le réprimant. Mais ce vote n’a pu se faire qu’à la faveur d’une double dépolitisation. D’une part au travers d’une reformulation légale des conflits professionnels en conflits interpersonnels ; d’autre part et corrélativement en éludant la question de la subordination. Tel qu’il est défini par le code du travail le harcèlement est aussi bien horizontal que vertical, descendant qu’ascendant. On trouve d’ailleurs régulièrement des employeurs ou des cadres pour nous expliquer qu’ils sont harcelés par leurs salariés ou des syndicalistes.

Certes il convient de moduler quelque peu le propos puisque le développement et l’évolution d’une jurisprudence sur le sujet a pu ponctuellement intégrer et condamner des formes de harcèlement managérial ; harcèlement managérial qui affirmait en creux la dimension collective du travail et la subordination juridique des salariés. Il n’en reste pas moins que la loi sur le harcèlement reste bornée par la problématique de départ qui l’a vue naître, à savoir une pathologisation du harcèlement dans la figure du pervers et une dichotomie pénale habituelle interpersonnelle : coupable/victime. Cette loi n’a à cet égard pas pleinement permis une sortie du psychologisme.

Qu’en est-il du côté de la prévention ?

On a vu tout d’abord se développer dans la sphère du travail des dispositifs de prise en charge de la souffrance sous l’angle traumatique. Ce modèle est une importation des différents dispositifs de prise en charge de la victime de type cellule d’écoute ou soutien psychologique. Initialement conçus pour les victimes de catastrophe, ces derniers ont peu à peu été intégrés à l’entreprise en guise de supplément d’âme du traitement de la souffrance au travail. Ils demeurent alors situés au niveau du traitement du symptôme et déconnectés d’une vision de transformation des situations de travail. « La lutte contre la souffrance au travail consiste en de l’orthopédie psychologique à visée adaptative qui réduit la subjectivité à un objet de prescriptions censée restaurer le “bien être” au travail ». Prévention dite tertiaire en ce qu’elle vise à traiter le malade afin de le réadapter en vue de son retour.

En amont d’un tel traitement des conséquences pour les salariés déjà en rupture un traitement des causes est préconisé dans le cadre d’une prévention primaire. La souffrance au travail est ainsi devenue un risque parmi d’autres à évaluer et à prévenir. Les risques psychosociaux prennent désormais place à côté des risques physiques (risque chimique, biologique, mécanique…). C’est ainsi que s’est développé un véritable marché du diagnostic et de l’expertise en risques psychosociaux à qui l’on sous-traite bien souvent l’analyse. Une fois le diagnostic réalisé, celui-ci est censé enclencher un plan d’action. Une telle affirmation pour évidente qu’elle paraisse ne l’est pourtant pas, tant pour beaucoup d’employeurs la réalisation dudit diagnostic tient lieu de plan d’action qui se suffirait à lui-même. Un plan d’action donc, oui, mais lequel ?

Les fameux « plan d’action » tournent la plupart du temps autour de deux types de mesure.

Tout d’abord des dispositifs qu’on pourrait qualifier de renforcement de l’individu, au même titre qu’un renforcement musculaire. Au-delà et en amont du traitement des traumatismes de salariés déjà en rupture, on a vu ainsi fleurir des stages de gestion du stress ou, pour les cadres essentiellement, des accompagnements de type « coaching » visant à un développement des ressources individuelles. Effet pervers de la psychologisation, il s’agit de rendre l’individu plus fort et plus performant en dissolvant la question du travail. Il n’y a pas alors à proprement parler de psychologie du travail mais des dispositifs d’accompagnement et d’adaptation de l’individu à la situation de travail. Détecter et prendre en charge les « fragiles » pour aider leur adaptation, on peut se demander si l’on est-on vraiment sorti du psychologisme avec ce type de prévention des « risques psychosociaux ».

Une autre approche, promue par la clinique de l’activité, consiste au contraire à centrer le débat sur le travail par la discussion autour des règles de métier. Il s’agit ici précisément d’éviter une approche hygiéniste des risques psychosociaux, qui transforme la fragilité des situations en fragilité des personnes. En d’autres termes il faut soigner le travail plutôt que l’individu, reconnecter « bien faire » et « bien être ». Ainsi, quelle que soit l’analyse de la situation de départ, en clinique de l’activité le plan d’action se termine toujours peu ou prou, par la préconisation d’une analyse des pratiques professionnelles autour de l’élaboration vivante des règles de métier entre pairs. Si l’objectif affiché est de retrouver une maîtrise sur sa situation de travail en développant collectivement son pouvoir d’agir, il n’en demeure pas moins que cette hypothétique maîtrise retrouvée reste fondamentalement limitée et temporaire.

Car, quand bien même la direction de l’entreprise accepterait de laisser place à ces temps d’échange en dehors du regard hiérarchique, il ne s’agit là que d’une suspension provisoire du lien de subordination. Sitôt le temps d’échange refermé le salarié retourne à sa situation de travail et aux rapports de pouvoir qui s’y jouent et à la subordination juridique qui le dépasse. L’éventuel pouvoir d’agir retrouvé se heurte à la structure inchangée et globalement inchangeable au dehors. Ainsi dans le meilleur des cas on a souvent l’impression que la montagne de la clinique de l’activité accouche de la souris d’une intéressante discussion entre collègues… avant que tout le monde retourne bosser. Cette situation et ce décalage est d’autant plus remarquable dans les grosses structures de type administration ou des groupes nationaux ou internationaux fonctionnant selon une gestion centralisée.

Face à un tel mur, le risque est une régression du collectif dans un collectif en quelque sorte décollectivisé qui se limite à l’interrelationnel et à des micro-discussions techniques sur les « bonnes pratiques ». Les contraintes liées à la structure globale, aux rapports de domination qui l’organisent, ne pouvant être prises en compte, le social tend à se réduire à de la sociabilité avec un groupe centré… sur le groupe. Et d’un objectif initial de travailler collectivement le travail pour le changer on glisse à une vision normative où il faut évoluer dans ses pensées, dans ses actions pour passer d’un moment où on ne se comprend pas, on ne s’aime pas, à un moment où le « groupe se termine bien », les gens ont évolué et sont plus ouverts à travailler ensemble afin, censément, de mieux vivre la situation de travail. Ainsi, en l’absence de remise en cause possible des structures du travail, ou à tout le moins de lutte en ce sens, on peut se demander si la psychologie du travail ne se retourne pas, là encore, en psychologie de l’adaptation.

On trouvera peut-être que nous sommes injustes avec la clinique de l’activité qui n’est, après tout, pas responsable de l’éventuel mur opposé par la direction des entreprises à toute visée de transformation du travail. Oui et non. Car au-delà des discussions entre pairs une telle approche, telle que conçue par Yves Clot, se propose de « gérer » et prétend dépasser le conflit d’intérêt inhérent à la relation salariale par ce type de dispositif. Pour Yves Clot « l’hostilité » dans les relations salariales en France relèverait selon lui de « l’inachèvement de son système de relations professionnelles », en effort collectif pour définir – à partir de, mais au-delà même de la relation salariale – les critères d’un travail propre, défendable, décent. » C’est ici que l’on ne peut plus suivre la clinique de l’activité telle que promue par Clot. Replacer la souffrance au travail au cœur d’une discussion collective entre pairs et hors présence hiérarchique est une chose, prétendre dépasser le conflit d’intérêt inhérent à la relation salariale par une discussion sur les critères de qualité du travail en est une autre qui relève au mieux d’une naïveté et participe dans tous les cas d’une dépolitisation de la question de la souffrance.

On risque ici de retrouver ce que j’appellerais le « syndrome de l’ergonome ». Là où l’ergonome prend toujours le risque de voir ses propositions d’améliorations techniques récupérées par les détenteurs des moyens de production pour supprimer du personnel et augmenter les cadences, le diagnostic en risques psychosociaux, même avec les meilleures intentions initiales du monde, voit toujours le risque d’être détourné en recettes en vue d’une meilleure adaptation de l’individu aux conditions de production.

Que peut-on en conclure ? Que faire ? La psychologie du travail n’est-elle au final qu’une psychologie de l’adaptation à la situation de travail ou constitue-t-elle malgré tout un nouveau levier de prise de conscience et de lutte pour la santé ?

La lutte collective c’est la santé !

Entre risque d’un retour au « déni » de la souffrance au nom d’une théorie révolutionnaire surplombante et psychologie de l’adaptation à la situation de travail, il nous paraît indispensable de repolitiser la question de la souffrance au travail.

Repolitiser la question de la souffrance au travail, c’est d’abord nommer le système dans lequel elle prend place et s’intensifie. Si, comme le dit Camus, mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde, la première chose à rappeler est que le travail dans notre société capitaliste est dans son immense majorité un travail salarié, basé sur la subordination. S’en tenir là est insuffisant, mais ne rien en dire est suspect et constitue le point aveugle de la psychologie du travail qui s’est développée ces vingt dernières années.

Le discours de Dejours à ce sujet est ambigu. S’il semble bien poser en arrière fond de la banalisation du mal ou de « l’injustice sociale » une logique systémique il paraît dans le même temps ne pas pouvoir ou vouloir l’assumer. Ainsi, évoquant le « progrès de l’injustice en régime libéral » il se refuse dans le même temps à y voir selon ses propres termes « le fait d’une logique endogène propre au système ». Ce faisant, Dejours s’embourbe dans des contradictions en faisant constamment implicitement référence au consentement à un système qu’il ne nomme ni ne définit jamais clairement tout en prenant soin de nier son existence17. L’illustration la plus flagrante de cet embarras sont les circonlocutions employées pour nommer

et éviter dans le même temps ce point aveugle. On pourrait à cet égard faire une compilation des expressions utilisées pour éviter de nommer ledit système : « régime libéral », « machinerie de guerre économique », « système néolibéral », « raison économique », « libéralisme sans entrave », etc. Le même embarras pourrait aisément être relevé chez Clot.

Ce que semblent redouter Dejours ou Clot par-dessus tout est le risque de la démobilisation dans une logique du « triompher ou périr ». Il faut pourtant sortir de cet entre-deux intenable du « ni résignation, ni dénonciation18 ». Si on ne peut que souscrire à un refus d’un « système » conçu comme « fatalité » imposant ses « lois naturelles » dans l’idéologie libérale, la logique même d’intensification du travail est d’une part consubstantielle au système capitaliste notamment dans sa logique d’accroissement constant de la plus-value relative pour parler en termes marxistes. D’autre part, la subordination constitue l’étayage du travail capitaliste. Il n’y a de management, et conséquemment de management pathogène, que sur fond de subordination juridique des salariés, constitutive du procès d’exploitation capitaliste. Nommer ainsi le système ou les logiques qui y sont à l’oeuvre ne signifie nullement les accepter ou se résigner devant l’ampleur de la tâche mais invite à reproblématiser la souffrance et à tracer une direction pour la lutte.

Pour ce faire il faut tout d’abord sortir la question de la souffrance d’une analyse en termes de « risques psychosociaux », tel un environnement toxique, pour la replacer du point de vue de la santé. Il convient ensuite de poursuivre les perspectives ouvertes par la clinique de l’activité sur le pouvoir d’agir pour le poser dans toute sa généralité et sa radicalité, c’est-à-dire en posant la question de la démocratie au travail.

La grille de lecture en termes de risques psychosociaux situe la souffrance à partir d’un risque extérieur « comme s’il s’agissait d’un nuage toxique planant au–dessus de l’entreprise […] qui atteint certains des salariés, en premier lieu bien sûr ceux dont les caractéristiques personnelles les fragilisent19 ». Une telle approche par « l’exposition » des salariés à un « risque » se développe en général dans un projet de le mesurer, la mesure étant la garantie de la « neutralité ».

Il faut renverser cette perspective, la souffrance n’est pas l’effet de l’exposition à un risque mais l’empêchement de la santé. Il convient ici de revenir un peu en arrière et de faire un détour par la pensée de la vie telle que l’a posée le philosophe Georges Canguilhem : la vie n’est ni ajustement à des normes, adaptation à des contraintes extérieures, ni l’infinie répétition du même. Elle est du côté de l’invention des normes, de la création. Ce faisant, la santé est cette capacité à créer et recréer ses propres normes, à agir sur mon environnement : « Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi ». Ainsi selon Canguilhem la santé réside dans l’activité normative d’interaction avec le milieu, et non dans une simple conformité « normale » à un milieu donné.

Comme on l’a vu la clinique de l’activité s’inscrit dans cette filiation en envisageant la santé au travail comme développement des possibles individuels et collectifs. Y. Clot développe le concept de pouvoir d’agir dans le cadre plus spécifique de la santé au travail entendu comme pouvoir d’agir sur le monde et sur soi-même, collectivement et individuellement : « il mesure le rayon d’action effectif du sujet ou des sujets dans leur milieu professionnel habituel, ce qu’on peut aussi appeler le rayonnement de l’activité, son pouvoir de recréation ». Il s’agit au sens propre d’une démarche d’autonomie. A contrario la perte de sens de l’activité par l’hétéronomie du travail la dévitalise, la désaffecte. On est alors en activité sans se sentir actif.

Or, encore faut-il que cette activité d’élaboration collective du travail soit possible c’est-à-dire tout simplement permise. Car qu’est-ce que penser la possibilité de création et recréation des normes d’activité par le collectif et pour le collectif si ce n’est poser la question pleinement politique de la démocratie ?

Les discussions autour des règles de métier ou de l’identité professionnelle censées développer le pouvoir d’agir, comme le promeut la clinique de l’activité, s’inscrivent dans un système organisationnel déjà là. Or, l’organisation n’est pas un simple collectif horizontal : « la notion d’organisation désigne un ensemble structuré de rôles, de rapports de pouvoir, de normes, établi pour répondre à des objectifs de production de biens et de services. Elle recouvre dans cette conception, une série de contraintes et d’obligations avec lesquelles les membres de l’organisation composent pour s’y construire une place et éventuellement en tirer bénéfice » Dans ce cadre assumer le conflit pour définir le « travail bien fait », ce n’est pas seulement confronter et assumer des controverses autour des règles de métier entre pairs, c’est aussi s’affronter aux objectifs de la production définis par l’organisation.

Ainsi sortir d’une vision de la santé comme adaptation au contexte pour une entrée par la qualité du travail qui cherche à créer du contexte rejoint inévitablement la question démocratique dans un monde, celui de l’entreprise, qui en est la négation. Car discuter collectivement du travail et de ses normes c’est déjà commencer à se le réapproprier et donc déposséder ceux qui en sont les détenteurs et ont vocation à décider. Développer l’autonomie c’est développer l’autonomie contre l’hétéronomie de l’organisation. La mise en discussion collective des normes de production est en soi un travail d’institution dans et au-delà des institutions actuelles. Autant dire qu’un tel processus est une lutte et un rapport de force sauf à vouloir à tout prix euphémiser la violence des rapports de production dans le travail capitaliste. C’est ici que le silence de la clinique de l’activité est assourdissant, comme si elle n’osait pas aller au bout de ses propres intuitions.

Pourtant si l’on prend au sérieux ce processus, c’est-à-dire qu’on ne le réduit à une anodine discussion entre pairs, il s’agit bien d’un processus d’auto-institution de la société au sens où Castoriadis emploi cette expression : « la culmination de ce processus est le projet d’instauration d’une société autonome : à savoir une société capable de s’auto-instituer explicitement, donc de mettre en question ses institutions déjà données, sa représentation du monde déjà établie. Autant dire : d’une société qui, tout en vivant sous des lois et sachant qu’elle ne peut vivre sans loi, ne s’asservit pas à ses propres lois ; d’une société donc, dans laquelle la question : quelle est la loi juste ? reste toujours ouverte ».

Dire cela n’est pas se résoudre à la résignation en attendant une hypothétique socialisation des moyens de production et l’avènement d’une société entièrement démocratique par un acte héroïque. C’est au contraire fixer comme perspective de lutte contre la souffrance d’engager d’ores et déjà ce processus de réappropriation. Le travail dès lors qu’il est collectif peut impliquer un espace de subversion des ordres pour produire des règles qui peuvent être mises au service de l’émancipation. Il s’agit de créer et de multiplier les espaces de réappropriation collective du travail avec en ligne de mire la réappropriation de la totalité de l’espace collectif, donc politique, de la production. Le premier plan d’action reste donc l’action et la résistance collective qui se réapproprie le travail, autant que faire se peut, ici et maintenant. Car « une organisation peut aussi se définir comme une mise en commun de ressources individuelles pour permettre la réalisation d’une action collective ».

Là encore nous retrouvons une inspiration de Castoriadis pour qui le collectif est « à la fois un regroupement de production et de lutte. C’est parce qu’ils ont à résoudre en commun des problèmes d’organisation de leur travail, dont les divers aspects se commandent réciproquement, que les ouvriers forment obligatoirement des collectivités élémentaires qui ne sont mentionnées dans l’organigramme d’aucune entreprise. C’est parce que leur situation dans la production crée entre eux une communauté d’intérêts, d’attitudes et d’objectifs s’opposant irrémédiablement à ceux de la direction que les ouvriers s’associent spontanément, au niveau le plus élémentaire, pour résister, se défendre, lutter».

Dans cette perspective l’expertise n’a de sens que si elle est partie intégrante d’un rapport de force. Plus, c’est dire que l’expertise doit elle-même abandonner sa « neutralité », c’est-à-dire sa position experte en surplomb, pour être co-construite avec et pour les salariés en lutte. Sans cela elle sera inévitablement rattrapée par le double écueil qui la guette en permanence entre impuissance et outil de gestion des ressources humaines. À l’inverse de la sous-traitance de l’expertise qui externalise la gestion des risques psychologiques, elle doit également être réappropriée comme savoir collectif.

Il nous paraît donc indispensable de partir de la souffrance… pour mieux la dépasser. La souffrance n’a pas sa valeur en elle-même, elle peut en revanche être principe d’action. Si le déni la concernant participe de la banalisation du mal, on ne peut s’en tenir au compassionnel sous peine de susciter une médicalisation du social par le soin apporté aux plus « fragiles ». Reconnaître sa souffrance, reconnaître celle des autres, doit amener la constitution et la prise de conscience d’un sujet collectif. Elle reste néanmoins une expérience sociale négative infra-politique si elle ne permet pas de poser à nouveaux frais la question de la santé au travail. Il s’agira d’éliminer le négatif par la chasse aux risques psychosociaux, nouvelle extension du domaine des ressources humaines, soustraitée au marché d’une psychologie du travail. Si la gestion des ressources humaines n’est pas assez diligente dans ce domaine il sera alors fait appel aux autorités publiques. Toutes interventions qui laisseront bien sûr intactes le pouvoir de direction des employeurs, l’exploitation et la domination du travail par ceux qui détiennent les moyens de production.

 

Pourtant derrière, ou malgré la souffrance, les travailleurs résistent, continuent à travailler, à faire valoir d’autres critères. Or, c’est précisément ici que la plainte peut devenir savoir et se politiser. Lutter contre le travail pathogène ce n’est pas limiter l’exposition aux risques psychosociaux, c’est se réapproprier le travail et le maintenir collectivement en débat, c’est-à-dire maintenir cette réappropriation vivante. La politisation de la souffrance passe ainsi par la restauration du pouvoir d’agir des collectifs de travail, cette restauration étant elle-même condition du développement de la santé, au-delà la souffrance. C’est qu’ici la santé est plus que l’absence de trouble, elle est force vitale, capacité à agir sur son environnement et non adaptation à celui-ci. Un tel projet est en soi une promesse de subversion de l’ordre capitaliste et de l’hétéronomie qui le constitue. Le contrôle de l’ouvrier sur ses oeuvres et la revendication  de l’autonomie ouvrière retrouvent ici une nouvelle jeunesse.

 

Gilles Gourc

(article paru initialement dans le n°38 de la revue Refractions)

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Lettre ouverte : #BalanceTonPorc à l’inspection du travail… ou pas ?

Vendredi 19 octobre 2017
CNT – CGT – SUD A l’attention de :
Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes
Muriel Pénicaud, Ministre du travail

Madame la Ministre, Madame la Secrétaire d’Etat,

Nos organisations syndicales souhaitent vous interpeler sur les violences sexuelles et sexistes : celles sur lesquelles nous avons vocation à intervenir, et celles que nous subissons.

Ces jours-ci, l’affaire « Weinstein » a permis à des journalistes, à des actrices de rendre publiques l’ampleur et la gravité des agressions et harcèlements sexuels dans leur milieu professionnel. Dans ce sillage, un appel a été lancé et largement suivi sur Twitter (#balancetonporc) qui montre que cette situation touche tous les milieux professionnels, repris par de nombreux médias à portée nationale.

Cette actualité coïncide de surcroît avec le lancement déjà annoncé d’une nouvelle campagne interministérielle contre les violences faites aux femmes.

Nous nous saisissons donc de cette occasion pour vous alerter publiquement.

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Lundi matin, sur France Inter, on pouvait entendre le témoignage d’une salariée d’une agence de services à la personne, relatant comment elle avait été agressée sexuellement par un client puis menacée de voir ses heures réduites par son employeur auprès de qui elle s’en était plainte. Son témoignage se terminait sur ce constat accablant :

« J’ai contacté l’inspection du travail de mon secteur pour savoir si je pouvais me retourner contre mon employeur. On m’a dit qu’il y avait un vide juridique. Donc j’ai dû gérer le traumatisme et la pression toute seule. Ça a été un coup en plus. ».

En effet, aucune formation n’est dispensée aux agent.es au contact du public (contrôle, accueil, renseignements, notamment), contrairement à ce qui est réalisé dans d’autres ministères placés en situation d’accueillir des femmes victimes de harcèlements et agressions sexuelles et de recueillir des plaintes.

Il ne s’agit pas de mettre en place, comme actuellement, de simples actions de communication et de sensibilisation ; il ne s’agit pas non plus de dédier à la question une poignée de demi-journées réservées à quelques encadrant.es pour l’ensemble des cinq ministères sociaux, comme cela a été entrepris avec l’A.V.F.T.

Il existe une expertise scientifique (la psycho traumatologie particulière aux violences sexuelles), juridique (la qualification appropriée des faits : une main aux fesses n’est pas un agissement sexiste mais une agression sexuelle !) et pratique (notamment les méthodes d’investigation : non, ce n’est pas une parole contre l’autre !).

Il est inadmissible que notre ministère n’ait aucun plan de formation consistant. Par ailleurs, nous relevons que notre ministère qui se gargarise de prioriser les actions de l’inspection du travail préfère mettre l’accent sur les travailleur.euses détaché.es que sur les violences faites aux femmes.

Les salariées qui sollicitent nos services font les frais de ce laxisme, aggravant leur traumatisme, les conséquences de leur agression, les privant de la protection et des recours qu’elles auraient dû pouvoir trouver auprès des professionnels de l’Etat ou avec leur aide.

Les agent.es également se trouvent démuni.es face à ces situations dramatiques, tels que les viols d’apprenties mineures, et renvoyé.es à leurs insuffisances ou erreurs éventuelles et la culpabilité y afférent.


Nous vous demandons de nous communiquer un plan d’action comportant au moins les points suivants :

  • Organiser, dans le cadre de la formation initiale des agent.es de tous les corps et grades ainsi que dans les plans de formation continue, des formations à l’accueil des victimes et au traitement des plaintes, en confiant ces formations à un réseau de formatrices et formateurs formé.es par des professionnel.les et des associations
    spécialisées.
  • Améliorer la coopération des services sur ces questions avec ces professionnel.les et associations spécialisées et institutionnaliser ces partenariats.
  • Renforcer l’expertise des services, notamment en diffusant des documents juridiques, d’information et de méthode, des annuaires, etc. comme cela se fait sur l’ensemble des autres sujets et en désignant, au niveau national et/ou régional, des agent.es susceptibles de servir de référent.es et d’appui, à l’instar de ce qui se fait en matière d’égalité professionnelle mais aussi de transports, de travail illégal, d’agriculture, de dialogue social, etc.

Nous vous rappelons également qu’il est parfaitement inutile de prétendre renforcer l’action des services de l’Etat dans un contexte de réduction massive d’effectifs.

Comme le soulignait l’A.V.F.T. dans une Tribune publiée par le journal L’Humanité des 6, 7 et 8 octobre 2017 (pièce jointe) :

« La longévité de l’association lui a permis d’observer un double mouvement contradictoire. Tandis que le législateur a renforcé bon gré mal gré le droit positif en matière de harcèlement sexuel, dans le même temps les services publics permettant de faire valoir ces droits n’ont cessé de s’effriter, notamment ceux de l’inspection du travail. »

« Nous avons connu une époque où la saisine de l’inspection du travail par la salariée victime de harcèlement sexuel déclenchait quasi automatiquement une enquête (…). Les éléments alors recueillis étaient fondamentaux pour établir le harcèlement sexuel et permettre à la salariée de faire valoir ses droits en justice. »

Sur les 5 dernières années, le nombre d’agent.es de contrôle est passé de 2 289 à 1 800, soit 489 de moins : c’est 1 poste sur 5 ! Au 1 er janvier 2018, pour la seule région Ile-de-France, c’est 1 poste sur 10 de plus qui va être supprimé !


Nous revendiquons donc l’arrêt du plan social en cours au Ministère du travail, et des recrutements à hauteur des besoins des usagers et usagères. C’est une imposture de prétendre lutter contre les violences sexuelles au travail tout en sabrant les effectifs des agents chargés de veiller au respect des droits des femmes victimes de tels agissements.


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Enfin, nous soulignons que l’Etat ne peut se passer d’être exemplaire en son sein… Nous sommes loin du compte au Ministère du travail !

En dernier lieu, nous avons encore rappelé nos revendications par un tract national diffusé en janvier 2017 (pièce jointe), resté sans aucune suite à aucun niveau.

En effet, de nombreux cas sont relatés à nos organisations syndicales d’agressions sexuelles, d’exhibitionnisme, de harcèlement sexuel et de discriminations. Les rares agentes qui nous ont permis d’intervenir se sont heurtées au mépris le plus total de l’administration, quand ce n’était pas à la violence institutionnelle.

Ainsi d’un agent accusé de harcèlement sexuel, qui reconnaissait les faits, et a simplement été changé de service au terme de plus de six longs mois, tandis que ses victimes étaient contraintes de demander leur mutation pour se soustraire à la violence des réactions qu’elles subissaient !

Ainsi d’un agent reconnu coupable de harcèlement sexuel, lui aussi changé de service hors procédure disciplinaire, parti à la retraite quelques mois plus tard et à qui il a aussitôt été fait appel pour participer à des jurys d’examen et à des formations !

Ainsi d’un signalement transmis en CHSCT régional concernant des agressions sexuelles sur plusieurs agentes, qui se voit opposer la réaction suivante : « Elles ont porté plainte ? Non ? Alors il n’y a pas de situation » !

Et nous pourrions multiplier ces exemples à l’envi.

Ces pratiques enferment les agentes dans le silence et le Ministère ne se donne même pas les moyens de connaître la réalité des violences sexistes et sexuelles subies par elles de la part de la hiérarchie, de collègues, d’employeurs et d’usagers.

C’est intolérable et cela ne doit plus être toléré !


Nous attendons également les mesures que le Ministère entend prendre pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles contre lesquelles il doit protection à ses agentes.
Nous sommes lassé.es d’attendre et n’hésiterons plus à donner publicité et à former des recours en responsabilité.


Derrière ses labels « diversité », « égalité » et « sexisme pas notre genre », tout ce que nous pouvons constater,
c’est que, pour l’instant et par sa passivité, le Ministère du travail participe plus à ce qu’il faut bien nommer la «culture du viol» [1. Muriel Salmona, Interview du 16 octobre 2016 au site « Révolution féministe »* : « La méconnaissance par les professionnels (...) des effets psycho traumatiques et des mécanismes neurobiologiques de survie mis en place par le cerveau de la victime lors d’un trauma majeur comme un viol (...) alimente la « culture du viol » qui se résume en trois points : elle n’a pas été violée (elle ment, elle exagère, elle se trompe) ; c’est de sa faute (elle l’a provoqué, elle l’a bien cherché, elle ne s’est pas protégée, elle ne s’est pas défendue) ; elle a aimé ça (les femmes aiment être forcées, un non veut dire oui, en fait elle était consentante mais elle ne l’assume pas). »
* Psychiatre psychothérapeute spécialisée dans la prise en charge des victimes de violences, également chercheuse et formatrice en psychotraumatologie, et Présidente de l’Association Mémoire Traumatique et Victimologique.
https://revolutionfeministe.wordpress.com/2016/10/13/violences-sexuelles-stop-a-la-culpabilisation-des-victimes-interview-
de-la-dre-muriel-salmona/]
qu’à la lutte contre les violences faites aux femmes.
Soyez assurées de l’entière solidarité de nos organisations syndicales avec toutes les femmes.

Le lettre en pdf : Lettre ouverte Ministère du travail, sexisme et violences

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En région Rhônes-Alpes Tracts

Réorganisation des services en ARA : ça continue… en pire !

Le projet de réorganisation des services travail en région ARA vient enfin de sortir. Pas de grande nouveauté, juste une confirmation de nos craintes et inquiétudes déjà exprimées depuis des mois. Suppression de postes, renforcement de la spécialisation et valorisation constituent sans surprise les orientations de cette nouvelle réorganisation des services.

Toujours plus de valorisation avec toujours moins

Derrière le blabla habituel sur le renforcement du pilotage, de l’animation et de l’ « approche en système », ce projet peut difficilement cacher qu’il obéit avant tout « à la nécessité d’ajuster l’organisation des différents services de la Direccte Auvergne-Rhône Alpes à l’évolution à la baisse des effectifs budgétaires et du plafond d’emplois notifié à la Direccte pour cette année 2017 ».

On apprend au passage que la Région ARA est déjà sous dotée par rapport aux autres régions puisque le nombre de salariés par section est de 2% supérieur à la moyenne nationale, et le nombre d’établissement par section est de 6% supérieur à la moyenne nationale.

C’est le DIRECCTE qui le dit : « la charge moyenne des sections de la région est un peu plus forte que celle constatée dans la majorité des régions métropolitaines. » Devant un tel constat on s’attend donc à une réaction énergique de notre DIRECCTE pour défendre le bout de gras. Et bien non :

« les réponses jusqu’à présent apportées par la DRH suite au diagnostic qu’elle a elle-même posé ne permettent pas de rééquilibrer durablement et réellement cette situation. Elle ne permet pas de procéder à un rééquilibrage de la taille des sections pour la rapprocher de la moyenne des autres régions. » Circulez ya rien à voir !

Mais quand même, tout n’est pas noir puisqu’on nous explique plus loin que pour prendre en compte ce déséquilibre et devant la baisse continue des effectifs (2% par an ces dernières années), nous n’aurons finalement qu’une baisse de 4% des effectifs de contrôle sur 3 ans au lieu de 6% si on continuait au même rythme. En gros : c’est quand même mieux que si c’était pire !

Concrètement nous allons perdre 18 sections généralistes sur la région.

Lorsque l’on détaille (page 13) par département, les départements touchés sont :

– Ain : passage de 17 à 16 sections

– Allier : passage de 11 à 8 sections

– Ardèche : passage de 8 à 7 sections

– Cantal : passage de 6 (dont 4 seulement sont pourvues) à 5 sections

– Loire : passage de 24 à 22 sections

– Haute Loire : passage de 8 (dont 7 seulement sont pourvues) à 6 sections

– Puy de Dôme : passage de 22 à 19 sections

– Rhône : passage de 73 (dont 66 seulement sont pourvues) à 69 sections

Quel impact sur les effectifs de secrétariat ?

Les secrétaires ne sont pas en reste. Nous passerons d’un effectif global de 108,6 postes existants, pourvus ou non, à 80 postes !

Pas de jaloux cette fois, absolument tous les départements de la région sont touchés par ces baisses du nombre d’agents de secrétariat !

Qui dit suppressions de poste, dit « reconfiguration des unités de contrôle […] rendue nécessaire par le contexte de baisse des effectifs alloués à la Direccte pour exercer ces différentes missions et par la nécessité de tirer les conséquences de l’augmentation des effectifs dédiés à la lutte contre le travail illégal et les fraudes aux prestations internationales par redéploiement des effectifs de contrôle ». En un mot : nouveau redécoupage généralisé des sections en 2018 !

A l’issue de ce redécoupage, le nombre moyen de salariés par section passera 8679 à 9317 et le nombre moyen d’établissements par section passera de 835 à 896 (page 12).

A ces suppressions de postes d’agents de contrôles et d’assistants, il faut également ajouter un poste d’ITRM et un des postes de médecin inspecteur du site Clermont (actuellement vacant). Notons sur ce dernier point qu’il y a actuellement seulement 4 postes de médecins inspecteurs sur 7 qui sont pourvus. Qu’à cela ne tienne il suffit de supprimer une bonne fois pour toutes un des postes vacants. Il ne reste toujours que 4 postes effectivement pourvus mais il n’y a plus que deux postes vacants au lieu de trois. Et là on se sent déjà mieux.

Face à un tel tableau on pourrait s’inquiéter mais tout va bien puisque dans le même temps il est prévu de renforcer « l’animation et le pilotage ».
Il est ainsi notamment prévu la création d’ :
– 1 poste d’animateur du plan d’action régional – référent transports et agriculture
– 1 poste d’adjoint au chef de département dialogue social et relations professionnelles
– 1 poste d’adjoint au chef de département santé sécurité

Le département « animation et pilotage » passera de 2 postes à 4,5 postes. Ouf ! Nous sommes sauvés !

Un renforcement de la spécialisation

La réorganisation c’est aussi un renforcement de la spécialisation.

L’URACTI verra ses effectifs renforcés pour atteindre 7% des effectifs de contrôle comme le veut la DGT. Concrètement, en ARA, il est prévu la création de 6 postes d’agents de contrôle dont un poste d’adjoint au responsable de l’uracti à Clermont Ferrand pour passer à 18 agents sur la Région.

Concernant les transports les objectifs de contrôle ne seraient pas atteints. Pour pallier cette situation notre DIRECCTE veut généraliser des sections à dominante transport à toutes les UD (tout ça sur fond de renforcement de la pression hiérarchique, pardon, de l’ « animation » des sections transport).

Concernant l’amiante le principe du réseau sur la base de volontaires est maintenu. Cependant ce réseau sera renforcé et il aura désormais « l’exclusivité des interventions en zone confinée réservée aux membres du RRPA ».

Concernant les « entreprises en réseau » il est prévu une « organisation spécifique » pour les entreprises suivantes : SNCF, entreprises de distribution d’énergie, entreprises gestionnaires des réseaux téléphonie, La Poste. Ces entreprises seront regroupées dans un nombre limité de sections départementales voire interdépartementales.

On le voit, de réformes en réformes, nous continuons dans la droite ligne de la réforme de 2014 : toujours moins d’agents de contrôles et d’assistants, toujours plus d’encadrement.

A l’inspection on n’a pas de pétrole mais on a des pilotes !

le tract en pdf : tract réorganisation ARA septembre 2017

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Intersyndical Tracts

Inspection du travail Où va-t-on ? Que voulons-nous ?

Plus de deux ans après une réforme de l’inspection bouleversant les services de fond en comble, la réorganisation semble loin d’être terminée.

Les suppressions de poste continuelles semblent déjà justifier les prochaines réorganisations à venir.

On le sait, le ministère du travail n’a jamais été jugé prioritaire. Il subit de plein fouet les conséquences des politiques d’austérité et les choix politiques opérés par les gouvernements successifs.

Derrière la surcharge…

Entre 2009 et 2017, les effectifs de référence des DIRECCTE ont diminué de près de 20 %, passant de 9 826 à 7 983,6 (ETP rémunérés). S’agissant plus spécifiquement des missions d’inspection nous avons perdu près de 10% de secrétaires de section sans oublier les 10% d’agents de contrôle en moins sur le terrain depuis la création des unités de contrôle en 2014 et ceux à venir pour 2017.

Alors que les collègues croulent sous la charge de travail, notre administration a développé depuis la réforme une rhétorique de l’infantilisation permanente visant à culpabiliser les agents.

Version paternaliste soft : vous avez des difficultés ? on va vous aider et vous apprendre à travailler en vous proposant des formations : rédaction, lecture rapide, action territoriale, etc.

Version paternaliste hard : vous avez des difficultés ? Il n’y a pas de problèmes d’effectifs, le problème c’est que vous foutez rien. La preuve ?! C’est WIKIT qui le dit !

Le plan d’action est alors tout trouvé : il s’agit de faire un diagnostic permettant de repérer les agents « décrocheurs ». Il fallait oser, ils l’ont fait.

…la mise au pas programmée de l’inspection du travail

Après de longs mois de lutte, la réforme Sapin avait maintenu la section comme cellule de base rattachée à un territoire. C’est bien cet échelon, garant d’une certaine autonomie et indépendance de l’agent, qui risque de sauter si nous ne faisons rien.

Ainsi la pénurie est aujourd’hui utilisée comme prétexte à de nouveaux projets de réorganisation poursuivant l’œuvre du plan Sapin. Il est procédé au redécoupage des sections pour les ajuster au nombre d’agents, ce qui est présenté comme une solution au « désordre » des intérims que ces réformes et les suppressions de postes ont provoqué. Au-delà certains DIRECCTE voudraient, dès à présent, mettre en place une organisation et une répartition du travail à la main des RUC.

Mutualisation des secrétariats sans agents de contrôle dédiés, organisation territoriale en « système » au niveau de l’UC avec répartition du travail à la main du RUC : voilà ce qui nous guette à terme.

Une telle évolution est tout sauf un simple ajustement technique aux suppressions de poste.

Il s’agit bien d’un changement complet de la vision de notre service public.

Un service public qui n’aurait de « public » que le nom et qui s’éloignerait progressivement du contact avec les salariés rattachés à un territoire, pour ne plus fonctionner qu’à partir d’une succession de plans d’actions élaborés aux différents échelons hiérarchiques.

Cette évolution de fond s’effectue parallèlement à une révolution des modalités de sanctions en réorientant les sanctions du pénal vers des sanctions administratives à la main de notre hiérarchie.

Ce à quoi nous assistons c’est à la mise en place progressive du rêve technocratique de la DGT d’une inspection aux ordres dont les petits chefs distribuent le travail à ses agents chaque semaine, qui vont là où leur dire d’aller et qui font ce qu’on leur dit de faire.

Le public dans tout ça ? On connaît le discours : vous n’avez pas à traiter la « demande individuelle » ça relève des prud’hommes. Et pour le renseignement ? il y a déjà les services renseignements. Peu importe si ces derniers sont déjà exsangues et en voie de « mutualisation » avec la mise en place d’une plate-forme téléphonique qui va encore intensifier leur travail et le déconnecter des agents de contrôle.

Répondre aux plaintes des salariés, c’est créer une relation de confiance. Pour faire notre travail de contrôle, nous sommes grandement aidés lorsque nous disposons d’informations transmises par les salariés. Si ces derniers n’ont plus confiance en nous ou pensent que nous ne ferons rien, nous ne serons plus qu’une forme de police au service des priorités étatiques ou gouvernementales du moment au lieu d’être au service du public que sont les travailleurs.

Ce scénario, loin d’être une lubie, est déjà en œuvre dans les autres services s’occupant de la délinquance en col blanc, comme les impôts ou la répression des fraudes.

Que voulons-nous ?

Pour notre part, nous continuons de défendre un véritable service public de l’inspection au service des salariés. Affirmer cette vision c’est fixer des objectifs en terme de moyens et une orientation de notre action.

C’est dire que nous voulons un service public qui assume et revendique que sa mission est d’aider les salariés à garantir leurs droits, d’améliorer leurs conditions de travail et de limiter autant que faire ce peut leur exploitation. Dans ce cadre, le public ne doit pas être une variable d’ajustement à éliminer entre deux plans d’action, il est notre seule légitimité.

Un tel service public doit d’abord garantir un service de proximité sur tout le territoire privilégiant l’accueil physique des usagers et assurant le lien avec les agents de contrôles.

Il doit ensuite prioritairement organiser des actions, et notamment des actions collectives, en fonction des remontées du terrain et en contact avec les organisations de salariés. Bien sûr nous n’avons pas la naïveté de croire que l’on peut se contenter des plaintes pour orienter notre action. Certains risques et certains secteurs ne font pas ou peu l’objet de plaintes et doivent pourtant être couverts par notre action. Des échanges entre agents doivent être organisés pour fixer ces priorités collectives.

Enfin notre service public doit garantir l’autonomie et l’indépendance des agents de contrôle contre toutes pressions extérieures ou internes indues cherchant à faire obstacle à leurs missions.
Arrêter l’inflation d’échelons hiérarchiques, arrêter le délire technocratique qui s’auto-alimente chaque jour un peu plus dans une course à la valorisation, et retrouver un service public au service des travailleurs, voilà pourquoi nous luttons.

Le scénario qui nous est promis n’est pas une fatalité,

il ne tient qu’à nous de le faire échouer.

Organisons-nous collectivement autour de notre vision du service public.

Faisons converger les luttes qui ont lieu dans les UD

pour imposer notre vision du service public !

 
Le tract en pdf : Tract inspection du travail : Où allons-nous ? Que voulons nous ?

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Intersyndical Tracts

Pour les effectifs et la défense des missions de service public

Intersyndicale nationale du ministère du travail

intersyndicale nationale du ministère du travail CNT-CGT-CFDT-UNSA-FSU-FO-SUD contre les suppressions de postes

Le 18 mai dans les services mobilisons-nous pour les effectifs et la défense des missions de service public !

Effectifs : la saignée

Le ministère du travail, jugé non prioritaire, subit de plein fouet les conséquences des politiques d’austérité et des réorganisations, en administration centrale comme en services déconcentrés.
Pour exemple : entre 2009 et 2017, les effectifs de référence des DIRECCTE ont diminué de près de 20 %, passant de 9 826 à 7 983,6 (ETP rémunérés). Ce sont les contrôleurs du travail (-23%, baisse accélérée par le PTE) et les adjoints administratifs (-26%) qui servent de variable d’ajustement.
Toutes les missions sont touchées, et plus particulièrement le pôle 3E , les services emploi : (-13% entre 2008 et 2014), les SRC (-15%), les secrétariats de sections (-10%), le services d’appui (-10%) ou l’informatique (27%), sans oublier les 10% d’agents de contrôle en moins sur le terrain depuis la création des unités de contrôle en 2014.

Jusqu’où et quand ?

Alors que, partout, des postes sont vacants et que les collègues croulent sous la charge de travail, les recrutements sont au point mort. Ceux pour les postes d’adjoints administratifs se comptent sur les doigts d’une main ! Seulement 28 postes d’inspecteur du travail sont ouverts au concours cette année… alors qu’au moins 128 inspecteurs et 305 contrôleurs étaient susceptibles de partir entre 2016 et 2017, cherchez l’erreur !
Ces recrutements seront très loin d’assurer le renouvellement des effectifs du fait de la structure des âges au sein du ministère : selon les bilans sociaux du ministère, 27 % des A, 43 % des B et 60 % des C ont plus de 55 ans et devraient partir en retraite dans les prochaines années. Dans les services de renseignement, ce sont 48% de départs à la retraite qui sont annoncés d’ici 5 ans.
En refusant de déclarer la totalité des postes vacants, le ministère entretient la pénurie et accroît les difficultés quotidiennes des services.

Un prétexte à de nouvelles réorganisations

Pire, il prend cette pénurie comme prétexte à de nouvelles réorganisations ou à des fermetures de site comme à Maubeuge, projets à l’œuvre depuis de nombreuses années.
La délégation générale au pilotage des DIRECCTE/DIECCTE (DGP) déploie ainsi un projet « 3MO » (Modernisation des Missions, des Moyens et des Organisations) visant à adapter les services aux suppressions de postes et à la réforme territoriale, et ainsi institutionnaliser un mode très dégradé de fonctionnement.
Ce projet propose de mutualiser (renseignement téléphonique ; création de services interdépartementaux…), d’ « alléger » la gestion administrative (procédures MOE ; déclarations des organismes de formation ; télédéclaration des ruptures conventionnelles), d’externaliser les missions (agrément des services à personne aux conseils départementaux ; frais de déplacements des conseillers du salarié à l’Agence de services et de paiement ; homologation des accords d’épargne salariale à l’URSSAF ; enregistrement dématérialisé des accord) voire d’en supprimer (délivrance de certains titres).
De même, l’inspection du travail n’est pas épargnée. Il est procédé au redécoupage des sections pour les ajuster au nombre d’agents, ce que le ministère présente comme une solution au « désordre » des intérims que ses réformes et les suppressions de postes ont provoqué. Il prépare la fin des sections : certains DIRECCTE voudraient, dès à présent, mettre en place une organisation où les dossiers seraient distribués et une répartition du travail ignorant la section généraliste et territoriale rattachée à un agent de contrôle.
Particulièrement, les services de renseignement en droit du travail sont dès aujourd’hui visés : l’instauration d’un numéro de téléphone national unique et la généralisation des prises de rendez-vous via un logiciel dédié. C’est une attaque majeure contre un service de proximité privilégiant l’accueil physique des usagers et assurant le lien avec les agents de contrôle, déjà mis à mal par le sous-effectif conduisant nombre de services à fermer certains jours.

Nous pouvons bloquer la spirale !

Seule l’administration semble croire que l’on peut toujours faire mieux avec moins. Elle dégrade nos conditions de travail, nous met chaque jour un peu plus en difficulté pour exercer correctement nos missions, détériore le service rendu aux usagers : le ministère assume désormais ouvertement qu’il faut finir avec un service public du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle au service des travailleurs (avec ou sans emploi) en axant prioritairement nos missions sur le service aux employeurs.
En systématisant ce recul de la présence du service public au plus près des citoyens et en empêchant ses agents de répondre au mieux aux attentes des salariés, le gouvernement, à travers son ministère, renforce les inégalités, nourrit leur sentiment d’abandon.
En 2012, dans un contexte comparable de baisse des effectifs et d’intensification du travail des agents, notre colère s’est exprimée, nous nous sommes levés en masse, le ministère a été contraint de reculer, nous avons réussi à arracher la reconnaissance en accident de service du suicide de deux de nos collègues !

RIEN N’EST IRRÉVERSIBLE ! RÉAGISSONS !

Rassemblons-nous autour de nos revendications :

  • Arrêt des suppressions de postes en administration centrale et en services déconcentrés
  • Mise à la vacance nationale de tous les postes non pourvus
  • Recrutement statutaire pour pourvoir tous les postes vacants et augmentation des effectifs, notamment de catégorie B et C, pour rattraper les baisses d’effectifs des années passées
  • Aucune suppression de section
  • Maintien de services de renseignements, gratuits, de proximité avec accueil physique, non au numéro unique
  • Retrait du projet « 3MO » ou « comment gérer la pénurie …»
  • Maintien de tous les sites et de toutes les missions dans les unités départementales
  • Aucune fermeture de service (SRC – FSE) dans les anciennes capitales régionales
  • Aucun transfert d’effectifs dans le cadre des délégations de compétences aux régions dans le cadre de la loi NOTRe

L’intersyndicale nationale appelle, sur la base de ces revendications, les agents à la mobilisation localement dans chaque service, chaque UD/UR, le 18 mai prochain (sous forme de rassemblement, conférence de presse, manifestation, interpellation des candidats aux législatives, etc.).

 Dans les assemblées générales et les mobilisations locales, portons, dans l’unité, la perspective d’une journée nationale de grève et de mobilisation commune dans les plus brefs délais.

 
Le tract intersyndical en pdf : Tract interOS national contre les suppressions de postes 18 mai 2017